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Pourquoi les paniqués du "toujours plus" de la BCE se trompent : l’explication technique qui justifie l’injection de milliers de milliards d’euros
©Capture écran France TV

Super Mario

Alors que la BCE continue de soutenir l'économie de la zone euro à coup de centaines de milliards d'euros, certaines voix commencent à s'élever en brandissant l'inefficacité de la politique monétaire. Une vision qui passe pourtant à côté des mécanismes théoriques de base d'une économie confrontée à des taux d'intérêts proches de 0.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Pour Le Figaro, c'est "argent partout, croissance nulle part", pour Libération, "Draghi n'a "pas de limites" mais plus beaucoup de cartes en mains. Bref, la confiance dans les capacités de la politique menée par la Banque centrale européenne est faible. Alors que Mario Draghi avait enclenché une première vague de sa politique de "quantitative easing" (assouplissement quantitatif, soit une opération de création monétaire) en janvier 2015, en faisant la promesse d'abreuver les marchés financiers de plus de 1000 milliards d'euros, les résultats ne semblent plus convaincre qui que ce soit. (Et ce, malgré le fait que la moitié de la croissance de la zone euro au cours des deux dernières années soit attribuable à la politique de la BCE). Mais c'est la croissance exponentielle des montants mis en jeu qui semble discréditer totalement les choix effectués par les gouverneurs de la Banque centrale. Et pourtant, la situation actuelle était parfaitement prévisible, et ne traduit en rien un quelconque échec d'une politique dont l'efficacité peut difficilement être mise en défaut.

Tout d'abord, il convient de prendre en compte l'objectif de la Banque centrale. En choisissant de "créer de la monnaie", la BCE ne fait rien d'autre que d'obéir aux fondements de la théorie monétaire, dont l'équation de base est : MV = PQ. Derrière ce barbarisme se cache l'essentiel. M étant la monnaie, et V étant la vélocité (qui peut se traduire grossièrement dans la confiance des acteurs économiques). Puis, pour la seconde partie de l'équation, P correspond au niveau des prix et Q à la production. PQ est donc l'équivalent du PIB, mesuré en terme nominal, c’est-à-dire en tenant compte de l'inflation, et qui est également le synonyme de la demande.

Au final, nous savons ainsi que la monnaie multipliée par la confiance est égale au niveau de la demande, c’est-à-dire, en quelque sorte, au niveau de l'activité économique. Nous savons également que la monnaie est sous contrôle total d'une Banque centrale. Donc, en toute logique, la BCE a bien le contrôle sur le niveau de la demande. Plus elle crée de monnaie, plus la demande accélère.

Mais alors ? Puisque la BCE a créé l'équivalent de 700 milliards d'euros depuis un an, pourquoi l'activité économique n'a pas suivi le même mouvement ? Pour une raison simple : la vélocité. Ainsi, sous ce terme apparemment compliqué se cache une simple mesure de la confiance. Il s'agit du rythme à laquelle la monnaie est dépensée au sein de l'économie. Si les gens préfèrent épargner plutôt que de dépenser, la vélocité sera faible, et inversement, si l'argent brûle les doigts d'une population avide de consommation, la vélocité sera élevée. Et aujourd'hui, du côté de la vélocité, ce n'est pas la grosse fête. Mais il y a une bonne raison à cela.

En effet, l'ambitieux programme de la BCE fait face à une difficulté majeure. Afin de relancer l'activité économique, et avant la mise en place des opérations de création monétaire, la BCE avait décidé de baisser les taux de façon massive. Or, plus les taux sont bas, et ils sont aujourd'hui proches de 0, plus la vélocité s'affaisse. La logique est alors la suivante : lorsque des investisseurs détiennent de la dette d'Etat, et que le rendement de celle-ci devient faible, voire négatif, les investisseurs vont alors se réfugier dans la monnaie. Ils détiennent de la monnaie en guise d'épargne, et s'assoient dessus, ce qui vient oblitérer de façon massive la vélocité. Dans le cas des Etats-Unis, et selon les calculs effectués par la Réserve Fédérale de Saint Louis, la vélocité d'avant-crise était de 17,2, (chaque dollar de la base monétaire était dépensé 17,2 fois par an dans l'économie) et celle-ci s'est écroulée pour atteindre le seuil de 4,4 en 2014, soit une chute brutale de 75%.

Dès lors, et afin de faire face à un tel vent de face, les autorités monétaires n'ont d'autre choix que de sortir l'artillerie lourde en créant des gigantesques sommes de monnaie pour contrer cet effet multiplicateur qui agit contre elles. Plus les taux sont bas et plus les montants qui seront engagés devront être conséquents. L'objectif est de décoller la pulpe qui reste bien collée au fond de la bouteille.

Evidemment, la débauche monétaire inquiète. Si les montants colossaux qui sont déversés dans l'économie faisaient face à une vélocité qui serait en phase d'accélération, une explosion inflationniste deviendrait alors envisageable. Oui. En théorie. Mais c'est sans compter la capacité des Banques centrales à reprendre ce qu'elles ont donné, et au regard du contexte actuel, le temps n'est pas venu de se préoccuper des conséquences d'une trop forte croissance sur les prix. Afin que cet heureux événement ne se réalise, il faudrait déjà voir l'économie européenne retrouver son niveau de croissance potentiel, de voir arriver le plein emploi, et d'assister à de franches hausses de salaire. C'est seulement à ce moment que la BCE pourra se poser la question de retirer le bol de punch de la fête. Mais entretemps, la politique monétaire n'est pas soudainement devenue inefficace, elle se contente simplement d'être aussi complexe que prévue. Cependant, et malgré ces difficultés, rien ne permet de douter du pouvoir des banques centrales. Les Etats-Unis sont parvenus à redresser la barre avec une telle politique, et la zone euro peut faire de même, il faut simplement éviter d'être mesquin. Une mesquinerie qui peut s'observer dans les graphiques suivants, issus d'une présentation réalisée par le vice-président de la BCE, Vítor Constâncio:

La croissance de la base monétaire (le M évoquée plus haut) a été largement supérieure aux Etats-Unis qu'en Europe.

Ce qui a conduit à une bien plus forte croissance du PIB aux Etats-Unis qu'en Europe :

La prétendue inefficacité de la politique menée par la BCE n'est que le résultat de la timidité de la politique suivie, malgré les montants mis en jeu. La relance de l'économie européenne ne pourra pas se matérialiser en marchant sur des œufs. Il faut agir franchement. Ce qu'indiquait notamment l'ancien chef économiste du FMI, Olivier Blanchard : "Le QE (assouplissement quantitatif), plus il y en a, plus ça marche, c’est comme l’amour".

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