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Pourquoi les nouveaux modes de consommation de contenus obligent à une complète refondation de l’audiovisuel public français
©Reuters

Nouvelle ère

Nouvelles technologies, baisse de l'audience, concurrence accrue... Plusieurs phénomènes amènent à penser que l'audiovisuel public français évolue dans une autre époque. Une structure plus légère, dénuée de carcans idéologiques, et des contenus plus audacieux lui permettraient pourtant de remplir ses missions essentielles.

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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Atlantico : Vous venez de publier avec la Fondapol une note sur l'état de l'audiovisuel public français. Selon vous, la télévision publique devrait être refondée pour mieux répondre à son objectif de pluralité et de diffusion de la culture. Quels sont les éléments qui vous amènent à penser à cette refondation ? Sous quelle forme celle-ci devrait-elle se faire ?

Olivier Babeau : A l’heure du numérique, le paysage audiovisuel est en train de se fondre petit à petit dans l’environnement beaucoup plus large et ouvert de la vidéo sur Internet. De plus en plus, la consommation de vidéo se fera non pas sur le mode "poussé" (en linéaire, en suivant un programme défini) mais sur un mode "tiré", c’est-à-dire à la demande. Déjà, entre 2000 et 2009, la part d’audience des 5 plus grandes chaînes a reculé en France de 90% à moins de 70%. La multiplication inouïe des "chaînes", avec la montée en puissance des hébergeurs de vidéos tels que YouTube ou Dailymotion, le rôle grandissant des réseaux sociaux et le développement de nouvelles offres "over the top" comme l’Apple TV vont profondément reconfigurer l’offre de contenus. Dans ce contexte nouveau, il est urgent de refonder l’audiovisuel public français. Pensé initialement comme instrument politique (il était rattaché au ministère de l’Information), il est depuis 1953 censé avoir trois finalités : divertir, informer et cultiver. Ce sont ces missions que je passe au crible du principe de subsidiarité en vertu duquel, comme l’écrivait Frédéric Bastiat, "il est raisonnable de ne confier à la fonction publique que ce que l’activité privée ne peut absolument pas accomplir".

Que constatons-nous ? D’abord que plus personne n’a besoin de l’Etat pour se divertir. Le secteur privé le fait beaucoup mieux et à moindre coût (France TV coûte 3 à 4 fois plus cher en termes de coût de la filière de production que TF1 ou M6). Pour ce qui est de l’information, même si cela peut se discuter à l’ère des blogs et des services de messageries diffusant instantanément les nouvelles, ce qui rend plus difficile une vraie manipulation, on peut soutenir l’utilité d’une chaîne d’information publique. C’est sur le troisième pilier, celui de la culture, que doit à notre sens être radicalement rebâti l’audiovisuel public. Soumise à des objectifs d’audience, France 2 a en réalité totalement abandonné l’objectif initial de diffusion de la culture "exigeante", au mieux hypocritement reléguée au milieu de la nuit. Je propose un big bang de l’audiovisuel public autour de la réaffirmation, en-dehors de tout objectif d’audience, de son rôle de producteur de contenus culturels exigeants.

L'an dernier, la Cour des comptes pointait une gestion budgétaire et financière de l'audiovisuel public peu rigoureuse. Les sénateurs, eux, critiquaient une gouvernance "hors normes empêchant la moindre définition d'une stratégie de long terme". Mais une ouverture à la concurrence, si elle permettrait de faire baisser les coûts, permettrait-elle vraiment que les missions initiales soient remplies ? 

Le problème est que l’audiovisuel public, parce qu’il est focalisé sur un objectif d’audience, est déjà en concurrence avec le secteur privé. Une concurrence non seulement injuste, car financée avec de l’argent public et sans vraie contrainte budgétaire, mais aussi absurde : en 2015, France Télévisions a par exemple renchéri sur les offres des acteurs privés français pour l’achat des droits du catalogue d’Universal ; elle contribue aussi à l’inflation des salaires des animateurs dont elle se dispute le recrutement avec les autres chaînes, et à celle des droits sportifs !

France 2 doit être privatisée, afin qu’elle s’épanouisse dans son rôle de chaîne généraliste commerciale grand public. France Ô et France 4 supprimées. France 3 pourrait être, en coordination avec France 5 et Arte, cette nouvelle chaîne de la culture proposant théâtre, talk-shows, expositions, visites de musée, documentaires, etc. La liste des formats est évidemment ouverte, le seul critère devant être de produire des contenus que le privé n’auraient pas intérêt spontanément à produire. Ces contenus seraient non seulement proposés sur les chaînes conservées, mais aussi vendus aux chaînes privées qui souhaiteraient les acquérir, ou bien diffusées le plus librement possible. Dans le monde de la consommation à la demande de contenus, le mieux que l’on puisse faire pour la démocratisation de la culture est d’entretenir une accessibilité massive de contenus culturels de grande qualité.

Cette proposition traduit, on l’aura compris, une très grande ambition pour la culture française. Il s’agit non pas de fournir ce que le public demande, comme sur un marché normal, mais, comme l’écrivait joliment Jean Vilar à André Malraux, ce que le public "désire obscurément". Marivaux fait aussi dire à son personnage, dans La Double inconstance : "ce que je veux, j’attends qu’on me le dise" : c’est exactement cette partie de la culture plus difficile qui n’attire pas spontanément les foules qui doit devenir l’objet unique de l’audiovisuel public.

Plus largement, comment voyez-vous cette redéfinition de l'audiovisuel public ? Et à quelles déficiences constatées ces changements permettraient-ils de répondre ?

L’audiovisuel public doit être réorganisée autour d’une structure beaucoup plus légère, totalement indépendante du politique et des a priori idéologiques. Des dirigeants nommés pour un mandat long (plus de 5 ans), inamovibles, auraient la charge d’orchestrer la sélection et le travail de producteurs privés (aucune production en interne). Des procédures très strictes doivent être mises en place pour éviter tout favoritisme ou clientélisme dans la sélection des producteurs. On pourrait imaginer d’utiliser des outils de crowdsourcing pour aider ce choix, afin que la "sagesse de la foule" des gens intéressés choisissent les sujets ou les formats.

La redevance doit être remplacée par une subvention directe de l’Etat, comme c’est le cas en Belgique par exemple, qui pourrait par exemple représenter un pourcentage fixé de la TVA : il serait logique que la culture soit financée par la consommation, puisqu’elle est une nourriture pour l’esprit. Imaginez ce qu’avec 3 milliards, pour garder l’ordre de grandeur actuel du budget, la France pourrait produire de contenus audacieux, promouvoir le travail d’artistes français, contribuant ainsi mieux que jamais au développement et au rayonnement de sa culture !

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