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Pourquoi les humains sont aussi mauvais en matière de prédiction d’avenir dès lors que les scénarios les plus probables ne leur conviennent pas
©Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

Trop tard

Plusieurs études au cours des précédentes décennies ont montré l'ancrage d'un optimisme irréaliste. C'est le fait de penser que les bonnes choses ont plus de chances d'arriver que les autres (maladie, accidents, divorces etc.). Même au début de la crise économique en 2008, l'économiste Sergey Smirnov constate "une profonde réticence inhérente à prédire des choses indésirables".

Jean-Michel   Fourcade

Jean-Michel Fourcade

Jean-Michel Fourcade est docteur en psychologie clinique. Il est président de l'Association Fédérative Française des Organismes de Psychothérapie (AFFOP) et directeur de la Nouvelle Faculté Libre - NFL - Formation en psychothérapie intégrative.

il est l'auteur de plusieurs livres, dont "Les bio-scénarios, clés énergétiques du corps et de l'esprit" (2007).

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Comment expliquer, selon vous, que l'être humain ait tendance à toujours faire preuve d'optimisme vis à vis de leur avenir ? Qu'il exclue les maladies et les accidents, qui arriveront aux autres plus qu'à lui-même ?

Jean-Michel Fourcade : Un optimisme irréaliste fait que les gens pensent que les mauvaises choses leur arrivent moins qu’aux autres, et cela influence leur façon de prendre leurs décisions, comme le montrent de nombreuses enquêtes. Pourquoi ?

Ces mauvaises choses nous ramènent à la fragilité de l’existence humaine et à la réalité de la fin de chaque existence individuelle, c’est-à-dire  à la mort.

La conscience de la finitude de l’existence fait naître en chacun de nous de la peur et/ou – quand cette peur est suffisamment refoulée – de l’angoisse. Force est de constater que l’être humain fonctionne au quotidien comme si ces réalités ne le concernent pas, mais seulement les autres.

Le psychiatre-psychothérapeute américain, Irvin Yalom (Psychothérapie existentielle, Editions Gaalade Paris, 2008) prend acte de la permanence de la tentative d’échapper à l’angoisse de la mort à venir. Mais alors que Freud prétendait qu’il n’y a pas de représentation de la mort dans l’inconscient – ce qu’il n’affirmerait plus aujourd’hui car les figures représentant la mort sont nombreuses, directes ou indirectes, personnelles ou archétypales, dans les rêves – Yalom fait de l’angoisse de la mort le cœur du conflit névrotique, et non, comme le pensait Freud, le conflit entre les pulsions et les interdits.

En réalité nous devons distinguer les mécanismes de défense qui nous permettent de ne pas être paralysés par la peur, par l’angoisse de la mort – le déni, la forclusion partielle ou totale – , de refouler cette angoisse, de la rendre inconsciente, et – comme dans le refoulement des conflits liés aux interdits – la mauvaise gestion de ce refoulement qui permet à l’angoisse de revenir sous des formes handicapantes.

On pense en fait que nous sommes moins sujet aux risques que la moyenne. Ne serait-ce pas parce que justement nous ne connaissons pas ces moyennes élevées des accidents et maladies ? 

Le « Ca n’arrive qu’aux autres » est donc à la fois absurde et salutaire. Absurde car les études épidémiologiques, les statistiques des accidents montrent que ça arrive à beaucoup. Salutaire parce que cela nous renvoyant à la mort à laquelle personne (à ce jour) n’échappe, ne pas y penser est la condition nécessaire pour continuer à être actif, créatif, et prévoir que nos actes nous apportent une meilleure vie.

Le cas des accidents de la route est exemplaire : les campagnes de prévention, qui nous rappellent les statistiques, ont un effet sur leur diminution (de courte durée). Mais les taux ont d’une année sur l’autre ont une constance et de si faibles variations que celanous amène à reconnaître que l’évolution (positive) est peu liée à la conscience individuelle des accidents et plus aux normes qui font le cadre de la circulation : normes acceptées de comportement (la loi sur la vitesse autorisée), normes de sécurité matérielle dans la construction des routes (signalisations, protections physiques). La comparaison entre l’acceptation sociale des normes de vitesse entre le Brésil et la France montre l’importance de la dimension de l’acceptation sociale des règles dans ces réalités.

L'optimisme irrationnel peut-il jouer un rôle sur le comportement (mois de prudence, d'anticipation) qui amènerait à accroître justement le risque de voir se produire les effets non désirés ?

L’envers de cette question est la croyance est que lorsque les êtres humains savent, ils agissent rationnellement pour avoir le meilleur résultat possible en tenant compte de ce qu’ils savent –  postulat à la base de la théorie du libéralisme économique. Or ce sont les croyances qui coïncident rarement avec le savoir « scientifique » - lui-même souvent rempli de croyances non démontrées –qui expliquent les comportements. Même chez les sujets les plus éduqués, la prudence et l'anticipation liée à la reconnaissance des réalités négatives obligent à un effort pour préserver l’optimisme créatif.

Le psychothérapeute est plus sollicité aujourd’hui par la souffrance de ceux dont les parents n’ont pas pu ou su leur donner la sécurité affective intériorisée qui permet d’affronter les réalités négatives de l’existence. Cet élément est plus déterminant que la connaissance des statistiques.

Est-ce que cet "optimisme irrationnel" a toujours été présent ou s'est-il développé au fur et à mesure que la médecine progressait et que l'espérance de vie augmentait ? 

Votre question fait le lien avec ce que je répondais à votre première question : les progrès de la médecine et de l’hygiène de vie (nutrition, sport etc.) ont permis de sortir de la présence quotidienne que  la mort avait dans l’ère pré-médicale – comme le montrent les études des mentalités sous l’Ancien Régime. Autre exemple : la notion d’enfance comme âge et période spécifique de la vie n’apparait en psychologie que lorsque la mortalité infantile diminue.

Notre époque augmente l’optimisme irrationnel  en escamotant socialement la « présence » de la mort, par exemple pour les rites de relations avec les morts et les rites funéraires. Cela s’étend aux accidents, aux maladies dont les « assurances » gomment la réalité psychologique et émotionnelle douloureuse.

Aussi nos contemporains rencontrent-ils les maladies, les accidents et la mort de façon plus difficile, plus douloureuse, que par le passé et les actions « d’accompagnement » psychologique pour ces réalités sont devenues des spécialités dont le statut scientifique et économique est comparable aux spécialités en médecine.

La psychologie existentielle - rejoignant la philosophie – nous ramène à une compréhension de l’homme et de la vie qui vont à l’encontre de cette évolution et replacent au centre de nos préoccupations les questions fondamentales que notre époque évite : la maladie, les accidents, la mort, la liberté humaine, la responsabilité, la solidarité, le sens que nous donnons à notre vie.

Une approche biaisée de refus de voir un avenir angoissant peut-elle être remplacée par une autre approche biaisée où les gens auraient peur d’aller à l’encontre d’une vision ?

Ainsi que je le disais en répondant à votre deuxième question, en donnant en exemple l’effet très temporaire de campagnes pour la lutte contre les accidents de la route, le psychisme humain oublie vite les informations négatives qui lui sont données. Nous en avons une autre exemple dans l’effet des campagnes pour l’utilisation du préservatif dans le lutte contre le VIH ; dès que les campagnes s’arrêtent on constate que l’utilisation du préservatif (ou toute autre comportement de prévention) diminue.

Nous pouvons affirmer que dans la culture occidentale,  porteuse depuis le XVIème siècle d’un accroissement énorme de savoir scientifique et de puissance technologique, l’oubli des évènements négatifs (individuels ou sociaux) est plus fort que leur mémoire. Ce qui permet de comprendre l’affirmation de Milan Kundera : « Rien ne sera réparé, tout sera oublié ».

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