Pourquoi les hommes ont toujours préféré les rondes (mais pourquoi nos corps n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils étaient)<!-- --> | Atlantico.fr
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L'actrice Marilyn Monroe s'habillait en taille 42... ce qui correspond à du 46 actuel.
L'actrice Marilyn Monroe s'habillait en taille 42... ce qui correspond à du 46 actuel.
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Série, l'évolution des goûts

Le physique est chez beaucoup d'entre nous une obsession. Il n'est pas rare de se demander si cela a toujours été le cas, si les femmes ont toujours surveillé leur poids pour plaire et si enfin les hommes ont partagé cette obsession du corps parfait. 5ème épisode de notre série sur l'évolution des goûts.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Atlantico : Le physique idéal notamment chez les femmes évolue fréquemment. Pourquoi le corps de la femme "parfaite" a-t-il tant changé au cours de l'histoire ? Qu'elle était la place du corps à ces différentes périodes ? 

Michel Maffesoli : Quel était le corps idéal de la femme à travers les âges, il est difficile de le savoir. Regardons quelques tableaux, les plus connus : la Vénus de Milo n’est pas grosse du tout, même si elle a les hanches plus larges que nos mannequins adolescentes ; certaines femmes sont même presque maigres, ainsi la femme du tableau du Saint Georges terrassant le dragon de Paolo Uccello ou la dame à la Licorne, jeune princesse svelte. Les Vierges, même à l’enfant, ne sont ni grosses, ni maigres. La Joconde a un type matrone, on imagine une poitrine profonde sous la robe, et plus tard les femmes d’Ingres (Le bain turc) ou de madame Vigée Lebrun (Les femmes de la paix ramenant l’abondance) sont plus grassouillettes et il faut le dire appétissantes. En revanche, un peu plus tard, la Vénus de la naissance de Vénus de Bouguereau a presque une taille mannequin.

>> Lire également l'épisode précédent de la série sur l'évolution des goûts : L’histoire de la musique en 3 révolutions majeures

J’ai pris volontairement des figures mythiques, Vierges ou Vénus, car les portraits de femmes se voulant plus ressemblants ne traduisent pas le type idéal de la beauté féminine de l’époque. Quoiqu’il en soit, c’est vrai que la maigreur n’a pas toujours été un absolu de beauté et notamment les seins et les hanches larges n’ont pas toujours été vilipendés.

C’est sans doute la modernité et particulièrement l’époque de l’émancipation féminine qui a diffusé l’idéal de la femme sinon maigre du moins svelte. Mais souvenons-nous de la “mode garçonne” qui fit au début du siècle dernier quelque scandale.

L’archétype féminin a malgré tout toujours été plutôt fait d’abondance de poitrines et de hanches ainsi que de déploiement de chevelures ! Il n’est pas sûr qu’il n’en soit pas encore ou de nouveau ainsi et que les femmes maigres aient tellement de succès au-delà des pages des magazines !

On a souvent l'impression que la femme "idéale" doit être considérablement plus mince qu'elle a pu l'être par le passé. Qu'en est-il ? La minceur représentait-elle déjà un idéal auparavant ? Ou au contraire préférait-on un corps plus en chairs ? 

La sûreté de manger à sa faim est somme toute récente dans l’histoire de l’humanité et n’est pas de tous les continents.

Il est clair que dans des pays où la maigreur résulte de la disette, elle ne peut pas être assimilée de la même façon à un idéal! Il est vrai que la photographie, notamment de mode, a largement poussé l’idéal féminin vers la maigreur, car si le peintre peut rendre esthétiques et appétissants les bourrelets et les rides, il n’en est pas de même du photographe.

Mais je pense que cet idéal de maigreur a beaucoup à voir avec un intérêt certain pour la figure de l’androgyne. La femme s’est affinée en même temps que l’homme est devenu plus frêle ; la maigreur est moins un idéal féminin qu’un idéal androgyne.

Si le corps féminin parfait change régulièrement, en est-il de même pour le corps masculin ? 

Le scribe de Saqqarah (2620-2350 avt JC) est maigre et musclé, mais l’homme notable de la 3ème république est ventripotent. L’habit lui-même traduit des idéaux différents : le costume trois pièces avec la montre à gousset correspond à ces hommes bien nourris, rubiconds qu’étaient les bourgeois des deux siècles derniers ; au contraire les chevaliers, Napoléon sur son cheval cabré ou le Guillaume Tell de Dali sont sveltes et d’allure sportive.

De même que les jeunes gens en jeans serrés ou descendant le long des fesses, de nos cités. Il est certain en tout cas que la modernité a accentué les caractères distinctifs, discriminants de l’homme et de la femme, insistant sur les attributs de la richesse et du pouvoir des hommes (le ventre et le costume trois pièces) et les seins et les hanches des femmes.

L’androgyne, l’ambigu, l’homme efféminé comme la femme sportive ou d’allure “femme d’affaires”, en tailleur pantalon, la femme d’Yves Saint Laurent jouent avec l’ambiguïté et une certaine confusion des sexes. Le sexe, le genre ne sont plus considérés comme naturels et donc ne se traduisent pas forcément par des corpulences différenciées.

Notre époque, la postmodernité, voit, me semble-t-il revenir un certain attrait pour les signes distinctifs : seins  et fesses rebondis pour les femmes, poils, muscles et moustaches pour les hommes. Comme un retour de l’animalité!

Aujourd'hui dès les premiers rayons de soleil il est d'usage d'avoir la peau halée, l'importance du bronzage est-il récent ? Le rôle joué par la couleur de la peau est-il le même dans tous les pays ? Comment l'expliquer ?  

Bien évidemment que non. Tout d’abord, il y a des couleurs de peau que le soleil affecte peu, sinon pour les rider à terme. D’autre part, on voit bien que l’exposition au soleil quand elle était une contrainte pour le plus grand nombre, était évitée par les élites. Souvenez-vous de Scarlett O Hara dans Autant en emporte le vent, qui a le visage et les mains brunies par les travaux des champs à la fin de la guerre !

Mais quand le hâle devient le signe des vacances et de la possibilité de jouir du soleil, il est recherché. Notre époque est par rapport au soleil ambivalente, comme elle l’est d’ailleurs par rapport à beaucoup de choses. Le soleil est à la fois un signe de plaisir, une composante de l’hédonisme, le bronzage fait partie du corporéisme, mais on sait aussi que le soleil est dangereux. C’est aussi ce qui fait son attrait, car dans un monde où l’on recherche à éliminer tous les dangers, le goût du risque s’exacerbe.

Plus généralement, qu'est-ce que ces changements disent de l'évolution de la société ? 

La recherche d’un corps idéal, l’attention au corps, le goût pour les activités sportives, la cosmétique, mais aussi pour les jeux du corps, y compris les divers jeux sexuels font partie de l’ambiance postmoderne.

L’époque moderne plus économiciste, plus focalisée sur la production et l’épargne, sur la carrière et la conquête du pouvoir faisait moins de cas des apparences et du corps. L’époque actuelle, postmoderne, se caractérise par un corporéisme, un amour du corps très important.

En ce sens les efforts que font hommes et femmes pour maigrir avant l’été et les jeux de plage, comme le développement des salles de sport, de la chirurgie esthétique, de la consommation cosmétique participent de cette passion corporéiste.

Mais on aurait tort de n’y voir qu’un matérialisme vulgaire. En effet, c’est la Nature elle-même à laquelle rendent hommage les différents adeptes de régimes sains, d’activités physiques, d’échange d’images de leurs corps etc. Respecter son corps, aimer son corps et celui de l’autre, c’est aussi participer d’une érotique sociale qui est tout sauf égoïste.

Mais il est clair que cette érotique ne se satisfera pas toujours du culte des femmes trop anguleuses.

Gilbert Durand parlait d’un régime diurne et d’un régime nocturne de l’image. Au premier, le glaive, la conquête, l’angle, la discrimination. Au second, la coupe, la féminité, la jouissance. Il me semble que notre postmodernité ressortit plutôt du régime nocturne et donc que les formes rondes vont l’emporter, en tout cas dans l’inconscient collectif.

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