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Pourquoi les banques n'ont aucun avenir sans recours au "Big Data" (et comment faire accepter cette collecte de données personnelles à leurs clients)
©Reuters

Bonnes feuilles

Alors que les Français délaissent leur agence et gèrent directement un nombre croissant d'opérations, les frais bancaires ne cessent d'augmenter malgré la pression des pouvoirs publics et des associations de consommateurs. Ce paradoxe est, en réalité, le symptôme d'un secteur bancaire qui peine à se transformer. Extrait de "Changeons la banque !", de Benoît Legrand, publié aux Editions Cherche-midi (1/2).

 Benoît  Legrand

Benoît Legrand

À 46 ans, Benoît Legrand dirige en France la banque ING, pionnière et leader mondial de la banque en ligne depuis près de 20 ans. D’origine belge, il a vécu dans plusieurs pays d’Europe et d’Asie. Fort de ses expériences successives dans la banque d’investissement, la banque de détail, la banque privée et la banque en ligne, il décrypte les évolutions technologiques et sociétales qui transforment aujourd’hui radicalement le rôle des banques.

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Les bonnes résolutions affichées par les banques après la crise de 2008 seraient-elles restées des voeux pieux ? Investissant massivement dans la communication, elles ont voulu persuader les consommateurs qu’elles étaient « citoyennes », à l’écoute des clients, soucieuses de transparence et de fiabilité. Mais la confiance ne se décrète pas... Selon une étude d’Ernst & Young de 2014, plus d’un client sur deux dans le monde n’a pas complètement confiance dans sa banque principale. En cause, non seulement le manque de transparence et les tarifs élevés, mais surtout une expérience client en décalage avec les attentes de ces derniers. Pourtant, plus de 70 % des clients se disent prêts à payer plus, à souscrire de nouveaux produits ou à augmenter leurs avoirs, si leur banque leur proposait de meilleurs conseils pour les aider à atteindre leurs objectifs financiers. Une conclusion s’impose : le salut passera par une ultrapersonnalisation pertinente et par la pleine maîtrise du Big Data.

« BIG DATA IS WATCHING YOU »

Les banques connaissent mal leurs clients, et pourtant elles ont accès à une myriade d’informations : leur emploi du temps et leurs habitudes de consommation. Elles savent si leurs clients profitent des soldes de janvier, s’ils préfèrent Darty à la Fnac pour le matériel hi-fi, s’ils partent en vacances dans le Sud-Ouest l’été et en Savoie l’hiver. Elles savent s’ils aiment le théâtre, le cinéma ou les matchs de foot. Retraits en distributeurs, achats par carte bancaire, transactions sur Internet, consultations de compte en ligne, ces opérations retracent les allées et venues de tout un chacun. Une banque a donc les moyens de tout connaître d’un client. Je comprends évidemment ce que ce pouvoir – l’exploitation des données – peut avoir de vertigineux, voire de glaçant. Certains s’en émeuvent, alors qu’aujourd’hui Google, Facebook et Apple collectent, avec notre consentement, nos données personnelles dans des proportions beaucoup plus importantes. Ces derniers sont parvenus à nous rendre totalement dépendants de leurs services, à tel point que nous acceptons leurs « conditions générales » sans même les lire. L’utilisation du Big Data devrait avoir pour but ultime d’augmenter la satisfaction du client. Chez ING, c’est l’objectif que nous nous sommes fixé depuis l’origine : donner à nos clients les moyens de mieux gérer leur budget et leur faire des propositions commerciales pertinentes, uniquement s’ils en ont expressément émis le souhait. On a prêté au Big Data les pires intentions. Son appellation anxiogène est issue du roman de George Orwell, 1984, où les habitants d’Océania, un pays sous la coupe d’un régime policier et autoritaire, n’ont plus de secret pour Big Brother. Le chef du parti a installé ses télécrans jusque dans les maisons... Le Big Data nous ferait-il entrer dans une dictature de la transparence ? Il faudrait être naïf pour croire que notre vie privée est tout aussi privée qu’elle le fut auparavant. Cependant est-ce réellement un problème ? Le Big Data n’est en soi pas une technologie démoniaque. Il s’agit de la collecte de données structurées et « non structurées » (les lieux fréquentés, les sites visités, les messages postés...) fournies par l’analyse de nos mails, de nos publications sur les réseaux sociaux, de nos transactions sur Internet, de notre utilisation d’objets connectés. Ce n’est donc ni « bien » ni « mal ». Comme pour beaucoup de choses, seul l’usage que l’on en fait peut l’être.

PAS D’AVENIR SANS BIG DATA

La bonne nouvelle, c’est que le pouvoir des consommateurs est devenu tel que, en cas d’excès ou d’abus, ils sont aujourd’hui capables d’exercer un contre-pouvoir réel et une pression sur les entreprises qui agiraient de la sorte. En outre, nous allons certainement au-devant d’une réglementation plus forte et encadrée de ce genre de pratiques, même si les autorités sont en général plus lentes à réagir que les acteurs économiques.

À l’horizon 2018, le marché mondial des services liés au Big Data devrait peser 42 milliards de dollars. Et la croissance exponentielle des données dont disposent les entreprises en général, et les banques en particulier, est l’occasion de réformer et d’améliorer leurs relations avec leurs clients. Mais qu’en pensent ces derniers ? En quelques années, les mentalités ont considérablement évolué à l’égard de ce sujet délicat. En Occident, plus de la moitié des consommateurs accepteraient que les entreprises exploitent leurs données personnelles s’ils étaient convaincus que cette utilisation n’entraîne aucune conséquence dommageable pour eux. 66 % des consommateurs en France partagent cette opinion, 57 % en Allemagne, 53 % aux États-Unis. Si les Américains sont plus circonspects que leurs homologues français ou allemands, c’est sans doute à cause de l’avènement de scandales liés au Big Data, comme le vol massif de données personelles dans la chaine de magasin Target en 2013.

On appréhende le Big Data avec moins d’angoisse qu’auparavant, mais non sans vigilance. L’espionnage de mails, d’appels téléphoniques, de textos dans le monde entier par l’Agence nationale de sécurité américaine a marqué les esprits, les incitant à la prudence. D’ailleurs, une étude réalisée en 2013 par le Boston Consulting Group 3 montre bien que la génération Y est au fait des dérives de cette technologie : en France, les 18-34 ans et les plus de 35 ans pensent (à 75 %) qu’il faut être vigilant quand on partage des informations personnelles en ligne. L’exploitation du Big Data repose en effet sur une base fragile : la confiance. Un vieux proverbe dit qu’elle part en courant et revient en marchant. C’est encore plus vrai pour les banques, où elle peut être très longue à établir et ruinée en quelques secondes, à la suite d’un séisme boursier ou d’un piratage de données. Les banques en sont particulièrement conscientes et mettent en place tous les dispositifs nécessaires pour s’en prémunir. Plus une banque connaît ses clients, plus elle est à même de les protéger, en détectant les transactions qui lui semblent suspectes.

Si le Big Data entre peu à peu dans les moeurs, j’ai le sentiment qu’en France, les consommateurs ont encore des comportements qui frôlent la schizophrénie à son égard. On le diabolise, par amour de la liberté, et dans le même temps on choisit de l’ignorer en acceptant une docile soumission aux Gafa. On résiste à un des grands bénéfices du Big Data : simplifier notre vie. Il peut permettre aux mélomanes d’avoir des places de concert à moitié prix ou aux gourmets de se régaler dans un grand restaurant sans se ruiner. Ces pratiques se généralisent aujourd’hui à une vitesse folle. Et, de plus en 2 « Le Big Data face au défi de la confiance », étude BCG 2014. 3 Étude « The trust advantage: how to win with Big Data », 2013. plus, les consommateurs attendront de leurs banques qu’elles leur proposent des offres ciblées et personnalisées.

À ne pas exploiter le Big Data, les banques courent à leur perte. Leur grand défi sera de l’utiliser en offrant une valeur ajoutée, perçue comme telle par leurs clients, et en renforçant la relation de confiance. Une question de technologie et surtout de convictions.

EN BREF

Même si l’avènement du Big Data génère en nous des craintes légitimes, 66 % des Français sont disposés à partager leurs données. Bien encadrée, cette technologie représente une formidable opportunité pour faire passer la relation bancaire traditionnelle dans le XXIe siècle. Grâce à une connaissance très fine de leurs clients et à la montée en puissance d’une intelligence artificielle démystifiée, les banques auront très vite les moyens de mieux répondre à leurs attentes. Pour autant, il faut bien sûr qu’elles ne soient pas intrusives, mais surtout qu’elles soient pertinentes et respectueuses de l’intérêt des clients.

Extrait de "Changeons la banque ! - Plaidoyer pour une banque qui rend plus autonome", de Benoît Legrand, publié aux Editions Cherche-midi, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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