Pourquoi les araignées sont maintenant bien plus grosses en ville<!-- --> | Atlantico.fr
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La chaleur des villes et la facilité à y trouver de la nourriture seraient responsable d'une augmentation de la taille des araignées
La chaleur des villes et la facilité à y trouver de la nourriture seraient responsable d'une augmentation de la taille des araignées
©Reuters

Peur sur la ville

La chaleur des villes et la facilité à y trouver de la nourriture seraient responsable d'une augmentation de la taille des araignées, selon une étude australienne.

Emmanuel Delfosse

Emmanuel Delfosse

Emmanuel Delfosse est technicien à la section diptères du service entomologie au muséum d'histoire naturelle de Paris.

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Romain Julliard

Romain Julliard

Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle, biologiste, spécialisé en Biologie de la Conservation, dans la conception, l'animation et la valorisation d'observatoire de la biodiversité (projet Vigie Nature), les thèmes de recherche principaux de Romain Julliard portent sur l'homogénéisation fonctionnelle de la biodiversité, ses mécanismes (réorganisation des communautés sous l'effet des changements globaux) et ses applications (construction d'indicateur de biodiversité).

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Atlantico : Lizzy Lowe et d'autres chercheurs de l'université de Sydney ont mis en évidence l'augmentation de la taille et du nombre d'œufs des araignées en milieu urbain (lire ici). Selon eux, le principal vecteur serait les surfaces propres aux villes comme les routes et les trottoirs quoi conservent la chaleur qui influerait sur ces deux éléments. Est-ce une théorie plausible ? Comment expliquer une telle influence de la chaleur ?

Emmnuel Delfosse :Certaines araignées n’apprécient pas de vivre dans les villes et l’étude s’est donc restreinte à un certain nombre d’espèces et de spécimens (seulement une famille de quelques espèces pour servir de modèle), mais aussi dans une ville en particulier. Il faut donc relativiser les résultats car nous ne pouvons en faire de généralités pour toutes les espèces. Il faudrait aussi voir précisément ses résultats. Les routes et les trottoirs conservent la chaleur ? Je crois que c’est l’ensemble de la ville qui conserve de la chaleur avec les productions énergétiques diverses. Ce n’est pas chose nouvelle que de savoir que la température peut influer sur la taille d’une espèce. Nous l’avons observé chez d’autres arthropodes, comme les phasmes ou les cétoines par exemple. Mais la nourriture est importante aussi. Ainsi, il peut y avoir plusieurs mues de différence entre les insectes qui bénéficient de davantage de chaleur et de nourriture que les autres.

Romain JulliardAu cours de leur vie, les araignées grossissent au rythme de leur consommation de proies (essentiellement des insectes et pour l’espèce considérée dans cette étude, capturés dans leur toile) et la taille de ponte est proportionnelle à leur masse. Les insectes ne sont actifs que dans une certaine gamme de température, il n’aime ni le froid ni la canicule. Chaque espèce d’insectes a ainsi une plage de température pendant lequel il est actif. Pour la majorité d’entre eux, c’est entre 15 et 30 °C. La ville, parce que les surfaces minéralisées absorbent mieux la chaleur du soleil que les surfaces végétalisées et restituent cette chaleur la nuit, sont plus chaudes que la campagne de 1 à 2 °C environ. On parle d’îlot de chaleur. Tant que les températures ne sont pas trop chaudes, cela permet aux insectes d’être plus actifs et donc, toute chose égale par ailleurs, aux araignées, immobiles au centre de leur toile, d’attraper plus de proies. Pour que cette théorie marche, il faut que l’abondance des insectes combinée à leur taux d’activité soit supérieure en ville qu’à la campagne. Or, les surfaces minéralisées offrent très peu de ressources et sont donc habituellement pauvres en insectes…

L'autre facteur serait l'abondance de nourriture pour deux raisons. Les araignées peuvent trouver leur nourriture grâce aux réverbères et autres lumières qui attirent les insectes dans leur toile et aux déchets des ménages. Même si les araignées à l'échelle individuelle grossissent, constate t-on des générations d'espèces visiblement plus grosses ? Les araignées naissent-elles plus grosses ?

E.D : Oui, les araignées peuvent bénéficier d’une certaine abondance de nourriture et sans doute de moins de biodiversité car tous les insectes ou autres arthropodes ne s’adaptent pas à la ville. Les déchets ménagers attirent des insectes et leurs prédateurs, donc des proies potentielles pour les araignées. Certains spécimens sont plus gros, pas tous. Encore une fois, il ne faut pas généraliser. Par ailleurs, les différences de taille ne sont pas forcément très visibles chez certaines espèces. J’ai effectivement observé des Aranéides plus grosses qu’auparavant dans les villes, en France (la fameuse épeire diadème : Araneus diadematus)..

R.J : Il y a deux phénomènes possibles : d’une part, la ville pourrait favoriser les espèces d’araignées les plus grosses. D’autre part, pour une espèce donnée, la sélection naturelle pourrait en ville favoriser les individus génétiquement les plus gros. Il n’y a à ma connaissance pas de données sur ces deux phénomènes, ni de théorie pour expliquer l’avantage d’une grande taille en ville. 

Quels peuvent être les autres éléments expliquant l'augmentation de la taille et des œufs des araignées ?

E.D : C’est génétique. Des conditions idéales permettent ce type d’adaptation.

R.J :  Deux autres facteurs peuvent expliquer le patron observé : il pourrait y avoir moins de parasites des araignées en ville. Or, les espèces ont en général du mal à coloniser le milieu complexe et nouveau qu’est la ville pour la biodiversité, d’autant plus si elles ont elles-mêmes un cycle de vie complexe comme les parasites. En particulier, l’espèce étudiée (naturellement de très grande taille, le corps sans les pattes, peut atteindre 4 cm !) voit souvent sa toile envahie d’une espèce d’araignée plus petite qui lui vole sa nourriture, et qui est, elle, moins abondante en ville. D’autre part, et c’est probable, il devrait y avoir moins d’espèces compétitrices (autres espèces d’araignées et toutes les espèces insectivores, comme les oiseaux et les chauves-souris) ce qui devrait pour un nombre de proies données augmenter le succès de capture des espèces d’araignées capable de coloniser la ville. La plus grande taille des araignées serait donc selon cette interprétation, le signe d’un déséquilibre, avec un excès de proies en ville par rapport au nombre de prédateur.

Les villes se multiplient et s'agrandissent. Les araignées vont-elles, elles aussi, continuer à grossir ? 

E.D : Non, c’est génétique. Elles ne pourront pas dépasser une certaine taille. Il pourrait y avoir de temps en temps des individus un peu plus gros mais il y a une limite génétique à ce phénomène. En outre, la taille des arthropodes et limitée par leur exosquelette. Les plus gros arthropodes sont présents dans les océans, pas sur terre. Les villes se multipliant et s’agrandissant sans cesse, détruisant et souillant tout sur leur passage vont par contre faire disparaître nombre d’araignées.

R.J : Sauf si la grande taille confère un avantage en ville (ce qui reste à démontrer), la grande taille des araignées est probablement un phénomène transitoire. La ville est un milieu en déséquilibre que les espèces sauvages n’ont pas fini de coloniser. Si cette grande taille est bien le signe d’un rapport prédateur – proie plus favorable aux prédateurs qu’il n’est à la campagne, alors le nombre de prédateurs devrait augmenter et donc la compétition entre eux pour les proies disponibles, ce qui devrait amener les araignées présentes en ville à retrouver une taille normale.

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