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Pourquoi la France a terriblement besoin de développer une stratégie vers l’Europe centrale et orientale
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Vers l'est

La France est traditionnellement une puissance atlantique et occidentale avec une forte propension à regarder vers le Sud, mais elle continue malheureusement à quasi totalement ignorer son flanc Est.

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues est un politologue européen, Directeur des programmes de l’International Republican Institute pour l’Europe et l’Euro-Med, auteur de La Quadrature des classes (2018, Marque belge) et Europe Champ de Bataille (2021, Le Bord de l'Eau). 

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Durant les deux premières semaines de son mandat, Emmanuel Macron a clairement mis en scène les priorités de sa politique étrangère en se déplaçant en Allemagne, au Mali, puis en déjeunant avec le Président Trump avant le début du sommet de l’OTAN à Bruxelles. Le sommet versaillais avec Vladimir Poutine n’y change rien, la politique étrangère « macronienne » semble donc s’articuler autour de trois grands axes : l’Europe, bien sûr, mais aussi la relation transatlantique qui reste une priorité malgré les oppositions idéologiques marquées avec Donald Trump – preuve s’il en était besoin que l’Alliance atlantique reste plus forte que les différences entre ses membres, et bien sûr la Méditerranée et l’Afrique occidentale, un « Sud » qui reste une zone prioritaire d’intervention pour la politique française.

Il n’y a rien de surprenant dans cette orientation : depuis la Second guerre mondiale (au moins) et malgré un scepticisme plus marqué qu’en Allemagne, la France reste une puissance atlantique et ouest-Européenne, il est donc normal que l’UE et l’OTAN forment la clef de voute de la stratégie extérieure de la France. L’orientation méridionale remonte elle au moins au XIXe siècle, et fait de la France aujourd’hui le gendarme de l’Afrique de l’Ouest, en particulier dans un Sahel occidental qui est en train de devenir un point chaud du globe. En bref, la France est traditionnellement une puissance atlantique et occidentale avec une forte propension à regarder vers le Sud, et l’orientation de la politique étrangère du Président Macron est donc de ce fait tout à fait logique.

Il manque pourtant une dimension importante dans cette stratégie. En effet, si la France regarde vers l’Ouest et le Sud, elle continue malheureusement à quasi totalement ignorer son flanc Est. Pire, elle n’a pas pu articuler de vraie stratégie politique sur l’Europe centrale et orientale depuis la chute du mur de Berlin, choisissant de déléguer ses responsabilités dans la région au mieux à l’Allemagne (lui abandonnant ainsi un leadership économique qui n’est pas pour rien dans la prospérité économique de cette dernière depuis dix ans), au pire à la Russie en lui laissant les mains libres en ex-URSS, ce qui a d’ailleurs provoqué de vrais problèmes aux débuts de la crise ukrainienne, la France étant cette fois-ci forcée de choisir entre l’appel de la liberté pour des Ukrainiens soutenus par l’Allemagne et les Etats-Unis, ou une politique pro-russe essentiellement économique mais aux conséquences potentiellement dramatiques pour la région.

La France a finalement choisi de s’accorder avec Berlin plutôt qu’avec Moscou, ce qui reste là aussi logique au vu des orientations atlantistes et européennes de la France, sans parler de sa tradition séculaire de soutien moral aux peuples aspirant à la liberté. Mais cela n’a pas été sans conséquences : on a pu le voir durant ces deux dernières années, la Russie s’est clairement invitées dans la politique française, non seulement en renforçant son lobbying auprès des parlementaires, mais aussi en cherchant à influer directement sur la campagne électorale : en 2017, le Kremlin avait clairement choisi ses candidats, et Vladimir Poutine ne l’a pas caché. Plus encore, les services russes ont cherché à influer directement sur l’élection par ses outils de propagande (Sputnik et RussiaToday/RT, depuis peu en langue française, ont été très actifs dans la dissémination de « fake news » tout au long de la campagne), ses réseaux et sa politique de guerre digitale, dont le hacking de la campagne Macron à la veille du second tour n’est que la partie visible de l’iceberg.

Un constat s’impose : qu’elle le veuille ou non la France ne peut plus ignorer les territoires à l’Est de Berlin. D’abord parce qu’à partir du moment où nous avons choisi (et confirmé en 2017) notre orientation occidentale, la Russie continuera de tenter de s’immiscer dans nos affaires.Et si elle a échoué cette fois-ci, ne nous attendons pas à ce qu’elle abandonne la partie – les services russes agissent dans le long terme, et les investissements dans les rédactions francophones de Sputnik et RT ne vont pas s’arrêter alors que celles-ci ont à peine commencé à opérer. Pire encore, le Kremlin a clairement désigné l’Union Européenne comme un ennemi géopolitique – alors qu’elle est une priorité pour la France, et va donc intensifier ses opérations pour affaiblir l’Union – ce qui va à l’encontre des intérêts vitaux de la France. N’ayant pas réussi à le faire par l’Europe occidentale en 2017 (l’expérience des Pays-Bas et de la France constituant des échecs cuisants), les services russes vont donc probablement renforcer leur travail de sape, que ce soit militairement en Ukraine, mais aussi en termes de « soft power » en Europe centrale et dans les Balkans, où ils ont récemment progressé de manière spectaculaire, non seulement en Serbie et en Macédoine qui  ne sont pas membres de l’UE, mais aussi en Hongrie, en République tchèque et (en particulier) en Slovaquie, où un récent sondage de l’IRI montre un renouveau de vulnérabilité à l’influence russe. Or ces pays sont déjà membres de l’Union européenne, et la crise des migrants y a ouvert une brèche de confiance des populations vis-à-vis de l’UE, brèche qui peut être exploitée par un Kremlin pour miner l’UE de l’intérieur. Pour ce faire, elle est de plus en plus tentée de renouer avec un panslavisme qui avait déstabilisé l’Europe au début du XXe siècle, avec les conséquences que l’on connait – en particulier dans les Balkans, où le Kremlin a récemment verse de l’huile sur le feux en Macédoine pour monter les populations slaves contre les Albanophones.

La France n’a donc pas le choix, elle doit donc investir et s’investir en Europe centrale et orientale et il n’y a probablement pas de meilleur moment que maintenant pour le faire : l’élection d’Emmanuel Macron a en effet produit, comme partout ailleurs, son effet dans cette partie de l’Europe : elle rajeuni l’image de la France et lui a donné une image de dynamisme qu’elle avait perdu depuis les années 70.  Plus encore, elle a redonné espoir à des populations urbaines qui désespéraient depuis l’émergence des nouvelles droites conservatrices de trouver un champion européen capable de porter l’étendard de leurs aspirations libérales et européennes – en cela Macron permet de renouer avec l’image révolutionnaire et progressiste qui avait inspiré des générations d’Européens de la région, de Lajos Kossuth à Tomas Masaryk.

Enfin, le nouveau président français suscite des craintes parmi les élites conservatrices dans ces pays, qu’elles soient de droite (en Pologne et en Hongrie) ou de gauche (en Bulgarie et en Roumanie). Ceci est paradoxalement un atout : suivant l’adage qu’on n’est jamais plus respecté que lorsqu’on est craint, il y a là une ouverture pour faire passer le message de la France : si la diplomatie française réussit à nouer un dialogue constructif avec ces leaders – et elle aura déjà à moitié réussi si elle abandonne la condescendance chiraquienne qui a malheureusement fait tant de mal à l’image de la France dans la région au début des années 2000, elle pourra retrouver de l’influence dans cette partie du monde. Notamment elle pourra être plus décisive que l’Allemagne pour promouvoir les libertés publiques dans la région, n’ayant pas le syndrome de culpabilité qui affaiblit grandement la capacité d’action diplomatique de l’Allemagne dans la région.

Le chemin d’un retour de la France en Europe centrale et orientale est certes long. Mais les dividendes (économiques et politiques) d’une nouvelle politique orientale européenne de la France sont potentiellement si grands – pour un investissement initial bien moins élevé qu’une intervention militaire au Mali par exemple – qu’il serait bon ne l’inclure dans la stratégie internationale de ce nouveau quinquennat. 

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