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Pourquoi la figure du père a tant de mal à trouver sa place dans la société actuelle
©Reuters

Papa et maman

Dans "Au nom des pères", Marc Mangin analyse la position et l'impossible définition des pères dans nos sociétés occidentales. Entretien.

Marc Mangin

Marc Mangin

Marc Mangin a été journaliste pendant trente ans, spécialiste des questions asiatiques. Il est également photographe et auteur d'une dizaine d'ouvrages, parmi lesquels Chine, l'empire pollueur (Arthaud, 2008), une série de récits de voyages : Tu m'as conquis tchador (2010), La Voie du bœuf (2011), Au sud de la frontière (2014), et un roman, Le Théorème d'archipel (2015) ou bien encore Au nom des pères (2017). 

 

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Atlantico : Vous évoquez dans votre livre le fait que les pères soient une espèce en voie de disparition. Qu'entendez-vous par là ? Selon vous, quelle est aujourd'hui la place du père dans la société et comment a-t-elle évoluée au fil des années ?

Marc Mangin : On a du mal à définir ce qu'est le père. Lorsque j'ai fait le travail de recherche autour de ce livre, "Au nom des pères", je me suis aperçu qu'il n'y avait pas de définition réelle du père.

Lorsqu'on cherche à le définir, on se concentre sur la fonction sociale qu'exerce le père, contrairement à la mère qu'on définit avec le rapport qu'elle entretient avec l'enfant directement.  La mère porte l'enfant pendant neuf mois et il y a donc un lien indiscutable avec lui que l'on a du mal à retrouver chez le père, avec qui le lien est moins évident. Au final, vu que l'on a du mal à définir le père par rapport à l'enfant, on finit par confondre la mère avec la maternité sans pour autant qu'il y ait d'équivalent de l'autre côté.

Je me suis aperçu que nous vivons dans un système qui ne favorise pas l'épanouissement du groupe mais plutôt l'épanouissement individuel et que dans ce contexte la, le père, incapable de se définir dans cet organigramme, a tendance à disparaître.

Aujourd'hui j'ai encore l'impression qu'on fonctionne sur un modèle totalement dépassé par rapport à la réalité. On entend encore parler du patriarcat mais même s'il y a toujours de vieux fossiles prêts à se manifester comme des hommes préhistoriques, dans l'ensemble du monde occidental dans lequel nous vivons ce caractère patriarcal est dépassé. Faute de modèle, faute de pouvoir identifier la paternité et le père, on a une disparition du "père" Nous sommes dans un système économique qui a tout intérêt à diviser les groupes, à les faire éclater de manière à pouvoir mieux contrôler les individus. Je pense que c'est un facteur déterminant. Nous sommes une espèce programmée pour vivre en groupe et on s'aperçoit que depuis un demi-siècle au moins ces groupes ont tendance à disparaître. Plus ces groupes disparaissent, plus les populations se précarisent et plus elles se précarisent, plus elles se retrouvent à la merci de ce système qui peut les exploiter et leur faire faire ce dont il a envie.

Quand je parle de la disparition du père, ce n'est pas celle du père en soit, c'est la disparition d'un ensemble qui permet de le définir. La disparition du père c'est aussi la disparition de la mère, car elle n'existe que par le père, et vice-versa. Tant qu'il n'y a pas d'enfant, il n'y a pas de père ou de mère. Les mots même n'existent qu'à partir du moment où ces deux personnes ont créé un tiers.

La figure de la mère dans nos sociétés n'a pas gommé celle du père, c'est le système lui-même qui a gommé le père.

En Arkansas, une récente loi stipule que les femmes n'auront plus le droit d'avorter sans l'accord de l'homme.  Est-ce que cette loi et les réactions qu'elle a entrainée sont révélatrices d'un malaise de fond dans la société et de la figure paternel qui se bat pour continuer d'exister ?

Ce qui s'est passé dans l'Arkansas ce n'est pas une démarche égalitaire, c'est au contraire un vieux relent de patriarcat car, à partir du moment où dans un couple l'un doit demander l'autorisation à l'autre, il y a un rapport de subordination avec un chef et un exécutant. On ne peut pas considérer les rapports humains dans un cadre de subordination, c'est le contraire de l'égalité. Il ne faut pas être dans un rapport de subordination, de compétition mais bien d'égalité.

On voit bien que le rapport d'égalité hommes-femmes est combattu. Comment expliquer qu'en 2017 en France on ne soit pas encore parvenu à imposer l'égalité salariale ?

On est dans un rapport de compétition. Par ce simple fait on va dresser une moitié de la population contre l'autre moitié. Cette inégalité joue énormément sur les rapports entre père et mère.

Je ne pense pas que cela soit une revanche ou l'expression d'une figure paternelle qui se bat pour exister : le système qui a promulgué cette loi c'est un système auquel collaborent autant d'hommes que de femmes. Il me semble que le procureur général de l'Arkansas est une femme, que les lois  sont votées par des hommes et des femmes. Je ne vois pas l'intérêt des pères d'imposer cette règle. En ce qui concerne l'IVG, ce sont des lois qui ont été adoptées pour protéger les femmes, faire en sorte qu'elles n'aient pas recours à des faiseurs d'anges avec toutes les complications et les risques que cela comportait à l'époque et comporterait encore aujourd'hui. Finalement ce texte, contraire à la Constitution des Etats-Unis, s'inscrit dans une démarche régressive et non progressiste. Ce n'est pas l'élimination des enfants qui doit être décidée de manière mutuelle mais bien la conception. C'est cela le progrès, la politique qui devrait être menée si on vise à corriger les inégalités. D'emmener les adultes, par l'éducation à leur faire comprendre que l'enfant n'est pas un objet mais un être humain qui est le prolongement d'une histoire qui ne nous appartient pas. On n'est pas du tout dans cette démarche dans l'Arkansas.  

Comment se fait-il qu'on en soit arrivé cet extrême, c’est-à-dire que la femme ait tout pouvoir décisionnaire ? Comment expliquer que cette philosophie soit si indiscutable moralement, n'est pas la une spoliation de la figure paternelle qui peut engendrer des situations difficiles à vivre pour l'homme également ? 

C'est n'est pas là une spoliation du père. Ce sont toujours des décisions difficiles à prendre. Il y a un principe qu'il faut reconnaître, c'est le droit à disposer de son corps. C'est un principe éthique, moral  et juridique. Si nous avons le droit de disposer de notre corps, à partir de ce moment-là la question me parait réglée. C'est dans le corps de la femme que se forme un embryon. Comme je disais précédemment, ce n'est pas l'élimination de l'embryon qui doit se décider mutuellement, c'est la conception. Je pense que les hommes prennent parfois la sexualité avec beaucoup de légèreté. Dans les années 70, on parlait beaucoup de la contraception masculine et je ne pense pas que les hommes à cette époque auraient été opposés à la pilule contraceptive pour les hommes. Mais pourquoi était-il plus facile de concevoir une pilule contraceptive pour les femmes ? Car on ne les regarde pas avec un souci d'égalité. On a considéré que les femmes allaient pouvoir prendre des produits chimiques et on s'aperçoit que la pilule contraceptive telle qu'elle a été vantée n'est pas si inoffensive que ce que l'on a voulu nous faire croire à l'époque. On n'a pas cherché à développer un système contraceptif équivalent pour les hommes à cause de ce rapport de subordination. Aujourd'hui, si l'on revient à la question qui est posée sur l'IVG ce n'est pas du corps de l'homme dont il est question.

L'égalité, c'est reconnaître et accepter les différences et donc accepter que les règles soient différentes.

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