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Pourquoi la décision de Theresa May de proposer de nouvelles élections s’inscrit dans la droite ligne du respect de la volonté des électeurs britanniques, initié par le Brexit
©Neil Hall / Reuters

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Mardi 18 avril, Theresa May a annoncé qu'elle souhaitait la tenue de nouvelles élections legislatives en juin pour renforcer la majorité pro-Brexit. Mais en faisant cela, elle court le risque de connaître un revers cinglant : si elle ne l'emporte pas, elle pourrait mettre en danger et le Brexit et sa place à Downing Street.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Ce mardi 18 avril, et à la surprise généralMardi , Theresa May a appelé à le tenue d'élections législatives afin de renforcer sa majorité. Comment peut on interpréter une telle décision politique intervenant en plein coeur des discussions relatives au Brexit ?

Edouard Husson : Extraordinaire Theresa May! Et admirable Grande-Bretagne! Tandis que les Etats-Unis risquent de s'enfoncer, dans une crise durable parce que Trump a cédé quasi-immédiatement au complexe digito-militaro-industriel; tandis qu'Angela Merkel révèle sa panique de perdre le pouvoir en septembre prochain en faisant voter une loi destinée à censurer les réseaux sociaux, le monde dirigeant britannique, lui, trouve une voie institutionnelle de respect de la souveraineté populaire (laquelle dit de plus en plus fortement non au néo-libéralisme); à Londres, on est en train de faire voler en éclat l'opposition, artificiellement construite par tous les tenants de "l'Ancien Régime", entre "libéraux" et "populistes". Oui, nous sommes tous surpris. Et c'est tant mieux. Le régime politique britannique est bien vivant. Reparcourons ensemble toute la séquence: élections à la Chambre des Communes de 2015, David Cameron emporte la majorité absolue; loin de s'abriter derrière elle pour gouverner tranquillement, il tient sa promesse d'un referendum sur l'appartenance à l'UE. Il le perd - largement du fait du coup de tête d'Angela Merkel face aux "réfugiés" - et bien, il quitte le pouvoir. Les experts continentaux expliquaient doctement qu'on allait confisquer le résultat du référendum, comme on l'avait fait tant de fois dans le reste de l'UE. Mais au royaume de l"'habeas corpus", chez les héritiers de la résistance sans faille au nazisme, au pays de Margaret Thatcher, on ne joue pas avec la liberté.  Theresa May est portée à la succession de David Cameron et d'un parti majoritairement favorable au "Remain"? Elle considère qu'elle doit respecter la volonté du peuple! La Cour Suprême explique-t-elle que le Parlement doit voter le Brexit? Theresa May respecte cette décision. Rappelez-vous, c'était il y a quelques semaines, le landerneau parisien, bruxellois, berlinois bruissait d'une confidence pour initiés: ça allait bientôt être la fin du "cauchemar" des privilégiés, le Parlement allait rétablir les classes supérieures dans leurs droits inaliénables, ceux des plus forts! Patatras, le Parlement britannique décida de respecter, lui aussi, la volonté du peuple. Et bien maintenant qu'elle a transmis à Bruxelles la décision du peuple, ratifiée par le Parlement et mise en forme par son gouvernment, Theresa May entame le dernier mouvement d'une magistrale symphonie politique: elle fait ce qu'ont fait tous ses prédécesseurs en pareille situation, déclencher de nouvelles élections à la Chambre des Communes quand le rapport de force politique lui est complètement favorable.   

Theresa May ne prend elle pas justement un risque de voir se constituer une majorité anti-Brexit qui serait en totale contradiction avec le référendum ? 

Je comprends que nous nous posions la question depuis Paris, ville où jacobins et réactionnaires ont réussi, non sans mal, au bout de quatre ans d'agitation politique, à faire décapiter un roi, Louis XVI, qui voulait être "roi en son parlement" et était en train de poser les bases d'une première révolution industrielle à la française. Nous sommes les orphelins non pas de la monarchie mais du constitutionnalisme et de la culture parlementaire que désirait Louis XVI, et qui sont morts avec lui le 21 janvier 1793. Depuis nous alternons entre ces périodes de dispersion des énergies et d'élans d'unanimité passagère qui frappaient de Gaulle et ont guidé ses choix constitutionnels sans qu'il réussisse mieux que la IIIè République (par bien des aspects authentiquement parlementaire) à créer un équivalent de la cohésion politique britannique. En l'occurrence nous parlons bien du pays de la Grande Charte, de l'habeas corpus, de la Glorieuse Révolution, de la lutte solitaire contre Napoléon puis Hitler. J'y insiste, on ne joue pas avec la liberté aux pays des Pitt père et fils, de Disraeli et de Gladstone. La grande force des Britanniques, c'est qu'au services de principes fondamentaux, ils n'ont pas écrit des ouvrages abstraits comme le Siéyès de Qu'est-ce que le Tiers Etat ou le Lénine de Que faire?; ils ont établi un système simple, le scrutin uninominal à un tour. Ne cherchez pas à savoir où se trouve la poule et où se trouve l'oeuf: est-ce la solidarité ancienne au sein des réseaux politiques britanniques qui a conduit à mettre en place un système suscitant le bipartisanisme et la possibilité pour un seul parti de rafler la mise? Ou bien ce système qui incite à la solidarité partisane? Peu importe, le résultat est l'émergence de forces politiques à la fois solides et modérées Jamais on n'imaginerait en Grande-Bretagne les atermoiements étalés sur des semaines des Républicains français quand François Fillon a été mis en cause par les médias et la justice: un vote du groupe parlementaire, pour ou contre le candidat aurait réglé l'affaire en quelques jours. Les élections à la Chambre des Communes portent toujours sur une question simple: souhaitez-vous que l'actuel Premier Ministre de Sa Majesté  conserve sa majorité politique? Theresa May est la révélation politique des douze mois écoulés. Elle accomplit un sans faute, jusqu'à maintenant, pourquoi les Britanniques la priveraient-ils de la majorité qu'elle mérite?  C'est d'ailleurs ce que nous disent les sondages, qui donnent vingt points d'avance aux Tories sur le Labour. Bien entendu cette majorité comportera des individus qui ont voté pour le Remain et d'autres qui ont voté pour le Brexit. Et c'est une très bonne chose: les uns et les autres débattront; le Brexit ne peut pas être mené n'importe comment; en même temps, le Premier Ministre pourra compter sur une profonde légitimité populaire en même temps qu'une très forte majorité parlementaire. Elle ne fera qu'une bouchée d'Européens continentaux pensant comme des technocrates et dispersés.  

Peut on encore imaginer un retournement de tendance, qui aboutirait à une marche arrière du gouvernement sur ce point ? 

Je fais au contraire le pari que Theresa May va être largement confortée pour deux autres raisons: l'Angleterre, élites et peuple réunis, y verra l'occasion de mettre fin aux tentations écossaises de quitter le Royaume-Uni. Vu la démoralisation des élites de l'Union européenne, il est peu probable qu'un référendum écossais donnerait la victoire à l'indépendance; l'UE, en pleine dislocation politique et sociale, ne fait franchement pas envie. Mais Theresa May révèle son sens stratégique en coupant court aux vélléités écossaises: elle sera confirmée à Downing Street par un vote qui enterrera durablement la question. La seconde raison non moins importante est l'attractivité pour les investisseurs d'une Grande-Bretagne stable politiquement. Le Brexit n'a pas du tout signifié que la Grande-Bretagne se coupait du monde, au contraire: Theresa May, fidèle à la tradition du pays en cela aussi, plaide pour "Global Britain", une Grande-Bretagne qui ait une vision mondiale. D'une part, elle rompt avec le thatchérisme en voulant que l'Etat joue à nouveau un rôle dans la stratégie économique du pays; d'autre part, elle n'a pas l'intention de fermer les frontières. Au contraire, elle veut profiter de la désunion européenne continentale pour convaincre l'ensemble du monde, les Européens comme les autres, qu'il n'y a pas de meilleur endroit où investir que la Grande-Bretagne. Comme le pays est profondément divisé par les effets de la mondialisation, les Britanniques vont se rallier en force au credo économique de Madame May. Rappelez-vous qu'on nous prédisait le pire pour l'économie britannique après le vote du Brexit; rien des cataclysmes annoncés ne s'est produit; les Britanniques ont toutes les raisons de choisir la stabilité que représente l'héritière inattendue de Margaret Thatcher. Et tant mieux car l'on peut voir dans cette stabilité politique britannique la seule antidote actuelle à l'autoritarisme qui tend à redevenir majoritaire dans le monde sous l'effet de la crise du néo-libéralisme.  Le courage du peuple britannique, le 24 juin 2016, qui a voté le Brexit contre toutes les intimidations; le réalisme des milieux dirigeants britanniques, concentré dans l'action de Theresa May: nous voyons une porte s'ouvrir vers un avenir politique autrement plus encourageant que le choix entre le Charybde de la dislocation sociale (magistralement analysée par Christophe Guilluy) et le Scylla du populisme à la Trump. Et s'il était possible de réconcilier les milieux dirigeants et leurs sociétés? Et s'il était imaginable de recoudre le tissu déchiré de sociétés malmenées par  tant de votes confisqués? 

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