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Pourquoi la crise des migrants est plus profonde qu’il n’y paraît
©YOAN VALAT / POOL / AFP

Dieu se rit…

Anne Hidalgo a interpellé l'Etat pour que ce dernier mette en place un "plan d'urgence" face à la crise des migrants à Paris. Pour autant, quelle est la part de responsabilité de la maire de Paris dans cette situation ?

Pierre Liscia

Pierre Liscia

Pierre Liscia est porte-parole du mouvement Libres ! de Valérie Pécresse et auteur de La Honte (Albin Michel).

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Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico : La maire de Paris, Anne Hidalgo, a appelé l'Etat à la mise en place d'un "plan d'urgence" pour traiter les problèmes relatifs aux campement de migrants aux abords de la capitale, en pointant une situation devenue "alarmante", selon les mots du communiqué. Un tel appel est-il réellement adapté à l'ampleur du défi global ? En quoi le défi des flux migratoires dépasse-t-il largement les capacités d'un "plan d'urgence" ? 

Arnaud Lachaize : Non, le sujet fondamental n'est pas vraiment celui d'un nouveau "plan d'urgence" pour l'hébergement. La France connaît une pression migratoire croissante depuis quelques années. Elle se manifeste dans la hausse du nombre des demandeurs d'asile: 20 000 en 1996, 100 000 en 2017 et 122 000 en 2018, un record absolu, alors que partout ailleurs en Europe, le flux de demandeurs d'asile tend à se stabiliser depuis deux ans. En outre, le nombre des premiers titres de séjour remis à des étrangers est lui aussi en hausse: 120 000 en 1996, 255 000 en 2018. L'augmentation de ces données est constante. L'immigration clandestine est aussi en nette augmentation au regard du nombre des bénéficiaires de l'AME: 180 000 en 2003, plus de 310 000 en 2016. L'Etat est en difficulté dans la maîtrise de l'immigration. Compte tenu du nombre des demandeurs d'asile déboutés, qui ne repartent quasiment jamais, le nombre de migrants illégaux pourrait s'accroître, au rythme actuel, d'environ 100 000 chaque année.  Or l'Etat ne parvient à reconduire hors de l'espace Schengen que 7 000 migrants en situation irrégulière par an. La France a donc toutes les peines à maîtriser son immigration. En l'absence de maîtrise des flux, les plans d'urgence pour  l'hébergement n'apportent qu'un soulagement immédiat, mais il favorisent d'autres arrivées dans un engrenage sans fin qui n'offre aucune réponse de fond à un grave problème.

"Je ne comprends pas pourquoi l'Etat laisse ainsi prospérer l'indignité et le chaos aux portes de la capitale de la France". Concernant les cas précis pointés par Anne Hidalgo, ne pourrait-on pas également voire une responsabilité directe de la mairie de Paris ? 

Arnaud Lachaize : Cette expression est extrêmement intéressante car elle exprime l'hypocrisie d'une partie de la bourgeoisie parisienne bien-pensante sur la question des flux migratoires. Elle s'enveloppe de bonne conscience et d'angélisme en brandissant les grands principes d'accueil inconditionnel. Mais sur le fond, elle n'en pense pas un mot. Elle préconise l'ouverture des frontières et le devoir d'hospitalité, mais ne veut en aucun cas en assumer les responsabilités et les difficultés. Elle vénère l'immigration sans limite comme la vertu suprême, mais ne veut en aucun cas en subir les conséquences: difficultés et coûts de l'hébergement, de la restauration, des soins, de la scolarisation, de l'absence de perspective dans un pays qui compte 5 millions de chômeurs et 8 millions de pauvres. Donc elle rejette la responsabilité sur les autres, en l'occurrence l'Etat.  Il est vrai que l'Etat est débordé sur le plan de la maîtrise des flux. Mais cela, Mme Hidalgo se garde bien de le préciser pour éviter de ternir son image de bonté humaniste. Pour le reste, les mesures sociales d'urgence, dont l'hébergement, elles sont de toute évidence de la responsabilité des services sociaux de la mairie et non de l'Etat.

Pierre Liscia : Pour reprendre la tournure de sa phrase, je dirai que je ne comprends pourquoi la maire de Paris a fermé les yeux pendant cinq ans sur l’ampleur de la crise migratoire. Et pourquoi elle a instrumentalisé à des fins politiques de façon totalement malsaine cette catastrophe sociale. Etrangement, elle se réveille à un an à peine des élections municipales juste au moment où elle lance sa pré-campagne. 

Je pense qu’elle est prise à son propre piège. 

Concrètement, quand on parle de crise migratoire à Paris, qu’en est-il exactement sur le terrain ?

Pierre Liscia : Cela concerne plusieurs quartiers de Paris, essentiellement dans le Nord-Est parisien. Il y a des points importants tels que le quartier de la Porte de la Chapelle, celui de la Porte d’Aubervilliers, les environs de la rue Pajol et périodiquement du côté de Flandres, Stalingrad et Jaurès. Voilà où se trouvent principalement les gros points de campements de rue. Ce phénomène, on le constate dès l’été 2014 à la Chapelle. 5 ans après, rien n’a changé. Et ce alors que les flux d’arrivées sont à peu près constant (autour d’une centaine d’arrivées de réfugiés par jour à Paris). 

Evidemment, le rôle de la mairie de Paris n’est pas de trouver une solution aux flux migratoires et à la crise migratoire qui frappe l’Europe. Ce serait malhonnête de le dire et je ne l’ai d’ailleurs jamais dit. En revanche, le rôle de la maire de Paris n’est pas d’instrumentaliser ces problématiques là à des fins politiciennes comme elle a pu le faire.

Eu égard à l'importance du défi représenté par la question des flux migratoires, et de son importance dans le débat politique, quelle serait l'approche la plus cohérente, et la plus pertinente, pour y faire face ? Quel est le seuil d'approche, entre coordination internationale voire mondiale, et européenne le plus adapté à la situation ? En quoi cette approche doit elle également envisagée au niveau national?

Arnaud Lachaize : D'abord, il faut un discours politique clair sur le sujet. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Qui a la moindre idée de la pensée des dirigeants actuels du pays? Nous sommes dans le plus pur "en même temps". M. Macron donne parfois un coup de barre à droite quand il se prononce pour des quotas. Puis il en donne un autre à gauche, le 5 février 2019, déclarant: «  Nous sommes dans un monde de migrations et je ne crois pas du tout aux gens qui font des murs ».  Les filières criminelles qui organisent les mouvements de population illégaux sont extrêmement sensibles aux signaux de fermeté ou de laxisme qui leur sont envoyés. L'absence de ligne politique claire explique en partie l'augmentation des flux sur la France.  La première condition d'une reprise en main de ce dossier serait de revenir à un discours clair: la France organise l'immigration régulière sur la base de ses capacités d'accueil, mais elle applique la tolérance zéro envers l'immigration clandestine. Sur le plan pratique, il faut actionner tous les leviers possibles pour revenir à la maîtrise de l'immigration. L'Europe a un rôle essentiel à jouer. C'est dans le cadre d'une coopération à l'échelle européenne que l'on peut mobiliser des moyens d'aide au développement suffisants pour offrir des conditions de vie dignes aux habitants du Sud. Une volonté politique européenne est indispensable pour combattre efficacement les passeurs esclavagistes et s'opposer par tous les moyens, y compris militaires, au trafic criminel et meurtrier de migrants par la Méditerranée. Sur le plan national, la responsabilité ultime de l'Etat est d'assumer ses responsabilités en la matière: accueil digne des migrants que la France décide d'accueillir selon ses capacités d'accueil (logement, travail), mais fermeté inflexible envers la traite des être humains et l'immigration illégale.

La maire de Paris souligne que la ville de Paris consacre 2,3 milliards à la solidarité et qu’elle ne pouvait pas faire plus. N’est-ce pas une façon pernicieuse de présenter son action sur le terrain ?

Pierre Liscia : On nage en plein délire de communication pré-électorale. Les 2 milliards pour la solidarité, ce ne sont pas 2 milliards pour les migrants. La solidarité concerne toutes les actions de solidarité menées à Paris : l’aide aux familles démunies, l’aides aux personnes SDF, etc. Vous imaginez bien que la ville de Paris ne dépense pas 2 milliards pour les migrants. Mais c’est ce qu’elle essaye de faire croire en mélangeant tout pour pouvoir pointer l’Etat et dire qu’elle fait sa part quand l’Etat ne fait rien. Ce qui est faux également, au passage.

Comment dès lors sortir de cette crise ?

Pierre Liscia : La première des choses, qu’Anne Hidalgo commence enfin, au bout de cinq longues années, à comprendre, c’est qu’il ne faut plus minimiser voire ignorer l’ampleur de la crise. Au tout début de la crise, elle a d’abord fermé les yeux puis exploité politiquement la crise migratoire pour faire un bras de fer avec Hollande et Valls en espérant pouvoir redorer à elle seule le blason de la gauche française. Patatras, il se trouve qu’Emmanuel Macron est arrivé. Il ne faut plus faire de politique politicienne sur ces questions. 

Et il faut arrêter de faire du chaos migratoire à Paris un point d’affrontement politique avec le gouvernement. Dans ce match entre la Ville de Paris et l’Etat, les seuls qui trinquent sont les migrants et les riverains. Ce sont eux qui font les frais de cette querelle qui a commencé depuis l’année dernière, au moment où Anne Hidalgo à commencé à se rendre sur le campement du bassin de la Villette… alors qu’au même moment il y avait la même situation à La Chapelle. Mais elle n’y venait pas parce qu’elle savait que l’ouverture du centre cristallisait l’afflux de migrants dans le quartier.

La crise migratoire n’est pas un enjeu électoral. La Ville de Paris doit cesser ses postures et accepter de travailler, main dans la main, avec le gouvernement, afin de trouver une solution concertée et non pas imposée. Concertée avec l’Etat, les collectivités, les élus locaux et les habitants pour que soient trouvées des solution pour permettre une fluidification de l’accueil. D’ailleurs, des centres d’accueils pour migrants se sont ouverts partout en Ile-de-France, notamment à Fontainebleau où une caserne désaffectée a été réquisitionnée pour en faire un centre d’accueil. Quand les choses sont faites en bonne concertation avec les élus et les habitants, cela suscite certes quelques inquiétudes et c’est normal, mais les choses se passent bien. L’inverse de la situation que nous avons connu à la Porte de La Chapelle. 

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