Pourquoi la crise au Kazakhstan nous impacte bien plus que ce que l’on croit <!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants participent à un rassemblement contre la hausse des prix de l'énergie à Almaty le 5 janvier 2022. Le Kazakhstan a déclaré l'état d'urgence.
Des manifestants participent à un rassemblement contre la hausse des prix de l'énergie à Almaty le 5 janvier 2022. Le Kazakhstan a déclaré l'état d'urgence.
©ABDUAZIZ MADYAROV / AFP

Mouvement de contestation

Le mouvement de colère au Kazakhstan, débuté après une hausse des prix du carburant dans une ville de l’ouest du pays, s’est étendu à Almaty, la capitale économique. Après la violente répression, l'intervention de la Russie et la crise énergétique pourraient bouleverser le pays et la région.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Depuis le 1er janvier, le Kazakhstan fait face à un mouvement de contestation sans précédent. D’où est parti ce mouvement ? Peut-on parler de « révolution » ?

Emmanuel Lincot : Il est trop tôt pour dire s’il s’agit ou non d’une révolution. Des points névralgiques de la capitale semblent contrôlés par les émeutiers mais à l’heure où je vous réponds, le pouvoir est encore en place. Ces émeutes au Kazakhstan (et parfois ailleurs aussi en Asie centrale) ne sont malheureusement pas surprenantes. Elles ont éclaté, comme il y a cinq ans, à Janaozen forçant le gouvernement à déclarer l'état d'urgence. Protestation contre la vie chère, hausse des prix du pétrole (alors que le pays est producteur) et effet Covid-19 s’additionnent et explosent au visage de celui qui est au pouvoir depuis 30 ans, Nazarbaïev, octogénaire officiellement retiré des affaires au profit de Tokaïev mais il demeure dans les faits l’homme fort du régime. C’est un régime oligarchique totalement corrompu, et acquis à des pratiques de gouvernance héritées du pouvoir soviétique. Ces pratiques sont en décalage par rapport aux aspirations populaires.

Le Kazakhstan a décrété l'état d'urgence sur tout son territoire et obtenu, mercredi soir, l'aide militaire de la Russie et ses alliés pour une opération de maintien de la paix. Quels peuvent être les intérêts de Moscou dans cette affaire ?

Emmanuel Lincot : Moscou a envoyé des militaires de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC). Crée en 2002 par Poutine elle est avec l’OTAN l’une des rares organisations au monde à s’être dotée d’une force de projection. Si le Kazakhstan s’est émancipé de la tutelle russe dès son indépendance en 1991, il n’en fait pas moins partie du pré-carré russe. Moscou y a des intérêts importants comme le site de Baïkonour et cet Etat-continent de l’Asie centrale est un carrefour. Stratégique donc avec des ressources très importantes (toute la table de Mendeleïev est dans ses sous-sols) et considéré comme l’une des portes d’entrée à destination de la Chine ou de l’Europe. Anciennes et Nouvelles Routes de la Soie y transitent notamment. Pour autant, le pouvoir kazakhstanais avait tenté de prendre ses distances vis-à-vis de Moscou en se rapprochant à la fois des Occidentaux et de la Turquie avec laquelle comme je l’explicite dans mon dernier livre, Chine et Terres d’islam : un millénaire de géopolitique (PUF), le Kazakhstan partage une certaine idée de l’eurasianisme. L’occasion pour Poutine est trop belle. Intervenir, comme au Donbass, est une façon de concrétiser ses aspirations impériales.

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Le Kazakhstan, pays qui fait 5 fois la superficie de la France, possède de nombreuses ressources stratégiques. Il produirait entre 35% et 40% de l’uranium mondial. Quelles peuvent être les conséquences internationales de ce soulèvement ? Risque-t-il d’impacter la France ?

Emmanuel Lincot : La France a besoin de l'ordre de 8 000 à 9 000 tonnes d’uranium naturel par an pour fabriquer le combustible alimentant son parc de 58 réacteurs nucléaires. La totalité de cet uranium est importée : l’exploitant EDF achète le combustible final auprès d’Areva qui sécurise son approvisionnement en amont en exploitant de l’uranium naturel dans différentes zones géographiques. Parmi celles-ci figurent principalement le Niger, le Canada, l’Australie et le Kazakhstan. La répartition exacte des importations françaises n’est toutefois pas communiquée par EDF et Areva qui relaient des documents assez globaux sur l’origine de ces importations. A l’échelle mondiale, la société kazakhe KazAtomProm est le principal producteur d’uranium naturel (21% de la production mondiale en 2016) devant le canadien Cameco (17%) et Areva (13%). Le groupe français extrait notamment de l’uranium au sein des mines d’Arlit au Niger et de Muyunkum et Tortkuduk au Kazakshtan (via la co-entreprise Katco dont elle détient 51%, les parts restantes étant détenues par KazAtomProm). La France a donc intérêt à une stabilité dans la région. Ayant par ailleurs la présidence de l’Union Européenne, elle se doit de communiquer sur cette crise. Le risque, souvent allégué y compris par le pouvoir kazakhstanais, et non sans raison étant que cette crise profite à des islamistes radicaux même si ce scénario n’est à ce jour guère probable.

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Cette crise peut-elle rabattre les cartes de la géopolitique mondiale ? Avons-nous bien conscience de l’ampleur de la situation ?

Emmanuel Lincot : Elle est un test et notamment pour la Chine, voisin du Kazakhstan. L’avenir nous dira par exemple si cette crise aura un impact sur le projet des Nouvelles Routes de la Soie si cher à Xi Jinping. Si l’Organisation de Coopération de Shanghai prend des initiatives de maintien de la paix. Si cette crise enfin peut se propager à d’autres pays de l’Asie centrale. Peut-elle concourir à déstabiliser le Xinjiang par ailleurs ? La diaspora ouïgoure du pays est directement concernée par cette crise et le discrédit dont souffre le pouvoir kazakhstanais ne peut laisser indifférent le pouvoir chinois ; lequel repose sur des configurations oligarchiques assez comparables ; confronté de surcroît à une conjoncture économique tout aussi négative pour une part non négligeable de sa population. A suivre donc.

Professeur à l’Institut Catholique de Paris, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l’Iris. Chine et Terres d’islam : un millénaire de géopolitique (PUF) est son dernier ouvrage.

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