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Pourquoi la crédibilité du solde migratoire calculé par l’INSEE est problématique
©ERIC PIERMONT / AFP

Problème de chiffres

Le 15 janvier, l'INSEE publiait son bilan démographique pour l'année 2018, montrant une baisse de la croissance de la population, tout en constatant que la France reste le "pays le plus fécond d'Europe". Une baisse qui interroge.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico: Quels sont les facteurs démographiques qui expliquent cette baisse, et faut-il s'en inquiéter ?

Laurent Chalard : Comme tout autre territoire, à l’exception de la planète entière, la population de la France métropolitaine évolue chaque année en fonction de deux facteurs : le solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les décès domiciliés comptabilisés dans l’année, et le solde migratoire, c’est-à-dire la différence entre les entrées et les sorties du territoire au cours de l’année écoulée. Il convient donc d’analyser séparément ces deux facteurs pour déterminer quel est celui à l’origine de la réduction ces dernières années de la croissance démographique française, qui n’aurait été que de + 87 000 personnes en 2018 alors qu’elle était encore de + 272 000 personnes en 2014.

Concernant le solde naturel, on constate que l’excédent des naissances sur les décès a diminué de 116 000 personnes entre 2014 et 2018 du fait de la combinaison d’une baisse des naissances de plus de 62 000 unités, principalement consécutive d’une diminution de la fécondité, et de la hausse des décès de près de 54 000 unités, du fait de l’arrivée de générations plus nombreuses à des âges avancés. L’évolution du solde naturel constitue donc un facteur explicatif majeur, contribuant pour 60 % au recul de la croissance de la population hexagonale.

Logiquement, les 40 % restant devraient être le fait du solde migratoire, or, ce n’est pas le cas. En effet, l’excédent migratoire a augmenté, selon l’Insee, de plus de 27 000 unités entre 2014 et 2018, n’apparaissant donc nullement comme un facteur explicatif puisqu’il aurait dû, au contraire, conduire à une hausse plus importante de la population.

A l’arrivée, il y a donc un gros problème, puisque la somme des deux indicateurs n’explique pas totalement la baisse de la population hexagonale, un autre facteur jouant.

D'autres explications peuvent-elles également être avancées, notamment les corrections statistiques annoncées par l'INSEE ?

Effectivement, une partie de la réduction de la croissance démographique française entre 2014 et 2018 s’expliquerait par un troisième facteur explicatif, qui est un ajustement statistique, c’est-à-dire quelque chose qui n’est pas censé représenté une évolution réelle, mais qui est intégré dans les données pour rétablir une cohérence dans le temps entre des chiffres issus de méthodes de calcul différentes. En l’occurrence, en 2018, l’Insee ayant changé de questionnaire de recensement afin de mieux prendre en compte le processus de multi-résidence, cela aurait entraîné une baisse de 0,7 % de la population totale, que l’Insee va répartir sur plusieurs années de 2015 à 2022, étant donné son ampleur, sinon, cela entraînerait une chute brutale de la population l’année de la correction. Entre 2015, première année de sa prise en compte, et 2018, l’ajustement est donc de – 336 000 personnes, soit 84 000 habitants en moins par an en moyenne, constituant le second facteur explicatif du ralentissement de la croissance de la population hexagonale, qui est donc partiellement « fictif ».

Comment analyser la fiabilité de ces données dans ces conditions ?

Lors du changement de méthode de recensement au milieu des années 2000, l’Insee nous avait fait la promotion d’une méthode plus fiable que le recensement exhaustif qui se tenait environ tous les huit ans, permettant d’estimer la population de la France métropolitaine à 0,02 % près (sic !). Bien évidemment, cette assertion était contestée par plusieurs chercheurs, dont l’auteur de ces lignes, étant donné les biais liés à la fois à la méthode, un sondage annuel réparti sur cinq années, et à la fois à la collecte, un certain nombre de personnes passant au travers des mailles du filet, puisque la procédure est déclarative. Or, selon l’Insee, un simple changement de questionnaire de sa part conduirait à un écart avec la population légale publiée les années précédentes de 0,7 %, soit 35 fois plus important qu’annoncé, ce qui montre que l’Insee s’est complètement fourvoyé, se tirant une balle dans le pied tout seul.

Plus globalement, cela interroge grandement sur la fiabilité des résultats depuis que la nouvelle méthode de recensement a été instaurée, puisque l’Insee ne fournit ni les résultats du nombre de personnes recensées sur l’ensemble du territoire pour chaque enquête annuelle de recensement ni les résultats des extrapolations statistiques qui sont menées ensuite pour aboutir à l’estimation de la population totale. En gros, l’Insee pourrait mentir, en effectuant des lissages permettant de rétablir une cohérence entre les données d’une année sur l’autre, à partir des statistiques (fiables) de l’état-civil, sans que personne ne puisse le vérifier. En conséquence, il serait temps qu’une commission d’experts réellement indépendants soit constituée pour pouvoir vérifier la fiabilité des données. Peut-être que l’Insee n’a rien à cacher, mais, dans ce cas-là, qu’il fasse preuve de transparence, sinon le doute sera de plus en plus important dans la communauté scientifique, rendant potentiellement erronées de nombreuses analyses interprétant les résultats des recensements sans analyse critique.

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