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Pourquoi l’usage abusif de la honte comme argument politique est en train d’asphyxier notre démocratie
©PIERRE CONSTANT / AFP

Non-débat

Sur certains sujets, il semble désormais impossible de débattre sans voir fleurir des anathèmes, tels que "collabos", "racistes", ou "fascistes".

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Sur les questions liées à l'identité de la nation, à l'islamisme ou au racisme, il semble impossible de débattre sans que pleuvent les accusations de part et d’autre : collabos, fascistes, Islamophobes, identitaires. Peut-on encore discuter quand le débat  se résume à un échange d'anathèmes ?

Bertrand Vergely : Peut-on discuter avec quelqu’un qui vous couvre d’insultes ? En apparence, non. En réalité, au contraire. Un débat commence toujours à propos de sujets sur lesquels on n’arrive pas à débattre. C’est la raison pour laquelle on débat. Si tout était clair dès le départ, débattre serait inutile. Comme rien ne l’est, le débat s’impose et prend sens.

Disons par exemple que l’immigration est un problème en France, trop d’étrangers rentrant sur le sol français de façon parfaitement illégale. Immédiatement, l’insulte va jaillir. « Vous dites cela parce que vous êtes xénophobe et raciste. Vous parlez comme le Rassemblement National. Vous êtes d’extrême droite. Des gens comme vous sont dangereux. Avec Hitler, cela a commencé comme cela ».

Les critiques dont on va faire l’objet vont être rudes, sévères même. il y a une raison à cela. Celui qui les profère est dans la peur. Il redoute tellement la haine, l’exclusion, le rejet, qu’il prend les devants en rejetant à l’avance celui qui risque de rejeter, d’exclure, de haïr. Paradoxe. Il ne veut pas la haine. Or, c’est pourtant bien ce qu’il fait. Il la déclenche. Pire que cela, il la favorise. En insultant comme il le fait, détestant, il va devenir détestable. Devenant détestable, il va faire que la question de l’islam va devenir un objet de discorde non plus à cause de l’islam mais à cause de ceux qui insultent pour le défendre et éviter la haine.

On parle sans savoir, sans définir les termes que l’on utilise, sans cadrer les questions que l’on aborde. Au lieu de parler du sujet, on parle autour de lui. On procède sur le mode de la frappe préventive. Afin d’éviter tout dérapage, on ne discute plus. On insulte en s’imaginant que par là on va éviter la haine. On vit dans la peur. Au lieu de penser, on se protège. On passe son temps à se prémunir.

La psychanalyse fait remarquer que l’on dit souvent une chose pour en cacher une autre. Dans le cas des discours qui explosent, cela se vérifie. On hurle contre la peur et la haine afin de masquer sa propre peur et sa propre haine. Attitude de faiblesse et non de force.

Les discussions qui ont lieu actuellement en France sur les questions de l’immigration et de l’islam sont des discussions impossibles. Rien de plus normal. Elles évoluent dans le paradoxe du traumatisme.

Quand quelque chose est émotionnellement lourd parce que très chargé historiquement, plus c’est lourd, plus on a de difficultés à en parler. Plus on a de difficultés à en parler, plus on en parle. De fait, on ne cesse de parler de choses dont on n’arrive pas à parler. De sorte que plus on en parle, moins on arrive à en parler. Moins on arrive à en parler, plus on en parle. Un jour, il faudra que l’on ait la force d’aller au fond du problème.

Un attentat islamiste a lieu. Les français sont choqués. Ils ont besoin d’évacuer ce choc. Que font-ils ? Dans un premier temps, ils se taisent et sont abattus. Se taisant, ils refoulent l’émotion qu’a provoquée ce choc. Secrètement, ils aimeraient dire aux musulmans combien cet attentat les choque. Ils aimeraient que les musulmans soient d’accord avec eux. Étrangement, ils vont être contre les musulmans en général parce qu’au fond ils aimeraient être d’accord avec eux.

Du côté des musulmans, il en va de même. Quand un attentat a lieu, que se passe-t-il ? Ceux-ci sont non seulement gênés mais plus que gênés. Depuis les attentats de 2001 à New York, une image s’est emparée de la scène mondiale : Islam = terrorisme. Résultat : l’image de l’Islam est effroyable.

En France, le politiquement correct a beau répéter en boucle ; « Pas d’amalgame » ou bien encore « Le terrorisme : rien à voir avec l’islam ». Si le terrorisme n’avait rien à voir avec l’islam, il n’y aurait pas besoin de le répéter. C’est bien parce qu’il y a un problème de l’Islam avec la violence que l’on répète en boucle qu’il n’y en a aucun.

Si les Français souffrent à cause des attentats qui ont lieu, les musulmans souffrent aussi. Il est dur d’être musulman en France quand il y a des attentats qui ont lieu au nom de l’Islam. Il est dur de sentir la méfiance et la peur. Paradoxe de notre monde. Celui-ci est divisé parce qu’il rêve de ne pas l’être.

Tout le monde est choqué. Tout le monde a mal. Tout le monde rêve de ne plus avoir mal. C’est pour cela que l’on a si mal. C’est pour cela que tout ce que l’on fait et dit fait si mal et parfois tant de mal. On rêve de ne plus avoir mal. Comme on rêve de ne plus avoir mal, on veut ne plus avoir mal tout de suite, on cherche à précipiter les choses pour ne plus avoir mal. Comme on précipite les choses, on les fracasse, on se fracasse, on fracasse tout.

On peut renverser ce traumatisme. En parlant. En parlant vraiment. Cela passe par une manière de parler.

Dans les débats qui ont lieu, on entend toujours parler de ce que l’on n’aime pas. On ‘entend jamais parler de ce que l’on aime. Résultat : à entendre les discours qui se tiennent, il apparaît que l’on est français par opposition à l’Islam et musulman par opposition à la France. On n’est pas français parce que l’on n’est pas musulman ni musulman parce que l’on n’est pas français. On est français parce que l’on aime la France. Cela change tout. Quand on dit être français parce que l’on aime la France, non seulement celui qui teint ce discours s’anoblit, mais il anoblit les autres. « Nous, les musulmans, nous aimons la France. », disait un jour un musulman. Pourquoi les français n’aiment-ils pas la France ? Comment voulez vous que l’on aime la France si les français ne l’aiment pas ? Que dommage que les français aiment si peu la France ! »

Défendre la France est une position juste. La France est un pays extraordinaire dans lequel les Français ont la chance de pouvoir bénéficier d’un système de protection sociale, d’un système d’éducation et d’un système médical hors du commun. Quasiment aucun pays au monde ne fait autant pour ses habitants. Aussi a-t-on raison de défendre la France.

On n’est pas un fasciste parce que l’on aime la France. Au contraire. Il faut l’expliquer et pour cela il faut oser discuter quand on se fait traiter de fasciste à cause de cela. Il faut oser demander si l’on est un fasciste parce que l’on aime son pays. Quand on prend le temps de discuter, en tenant bon, calmement mais fermement, celui qui insulte, finit par baisser de ton. Si on prend le soin de lui expliquer pourquoi on aime la France et pourquoi il a tort de qualifier cela de fasciste, il n’est pas rare de le voir baisser le nez en commençant à se trouver quelque peu morveux.

On oppose la défense de la France à la défense des musulmans et inversement. Quelle erreur. Il s’agit de la même chose. Quand on est juste avec la France, on est juste avec les musulmans. Quand on est juste avec les musulmans, on est juste avec la France. La paix dans la société commence avec la paix dans les esprits. Et la paix dans les esprits commence avec la justice dans les pensées. Il est juste d’aimer la France. Quand on a cette justice là, on devient juste avec tout.

La culpabilisation à outrance de l'adversaire ( « vous devriez avoir honte ») est elle en train de tuer le débat en excluant tous ceux qui ne pensent pas comme il le faudrait ?

Derrière l’insulte il y a toujours quelque chose qui cherche à se dire. Derrière la culpabilisation aussi.

Depuis des dizaines d’années, la culture française est dominée par la phraséologie de l’extrême gauche qui, ne pouvant pas transformer le monde, s’est emparée du pouvoir intellectuel en culpabilisant toute la société au nom de la justice sociale. Relayée par la rhétorique du politiquement correct, cette phraséologie culpabilise tout le monde au nom de l’amour universel. Face à ce discours, au lieu de résister, la société se soumet. Ayant démissionné, elle en a honte. De ce fait, quand quelqu’un ose dire qu’il aime la France, que se passe-t-il ? Celui qui a démissionné a mal. Il sait qu’il est beau d’aimer son pays. Il sait que depuis des années pour plaire à la rhétorique de l’extrême gauche, il s’est soumis. Comme il a honte, pour masquer sa honte, il se met à faire honte aux autres d’aimer la France qu’il n’a pas osé aimer. Face à cela, la seule issue consiste à mettre les pieds dans le plat en lui demandant de quoi il a peur ? De quoi souffre-t-il ? Pour qu’il déteste ainsi le fait d’aimer la France en traitant cet amour de fasciste  que lui est arrivé ? Qui lui a fait du mal ? Quand on va au bout de cette question on découvre que ce qui lui a fait du mal ne se trouve pas tant chez les fascistes, que chez les membres de sa propre tribu. Il fait honte aux autres de ne pas être assez à gauche parce que, par le passé on lui a fait honte de ne pas l’être assez. Aussi montre-t-il son appartenance à la gauche et au politiquement correct par un surcroît d attachement à leur égard.

La concorde ne peut naître que du constat commun que la Vérité n’existe pas et que seul le compromis démocratique devrait prévaloir. Comment restaurer un débat sain ?

Lorsque l’on dit « La vérité n’existe pas. Il n’y a que le compromis comme solution », on commet une erreur. On entend par vérité une opinion mettant tout le ponde d’accord. Penser la vérité ainsi, ce n’est pas la penser. C’est prendre l’accord avec un discours pour sa vérité. Un discours est vrai parce qu’il est intelligent, non parce que l’on est d’accord avec lui.

On peut être tous d’accord à propos de quelque chose, ce n’est pas pour cela que c’est vrai. En général, quand on est tous d’accord à propos d’une chose, c’est plutôt mauvais signe. Cela veut dire que l’on ne réfléchit plus.

Spinoza a parfaitement défini la vérité en expliquant qu’elle réside dans ce qui parle de soi. Quand une chose est vraie, elle est vraie parce qu’elle est vraie.

Le vrai vient du vrai. Il ne vient pas du non vrai. Il vient du vrai parce qu’il vient de l’esprit qui consiste à être intérieur à tout en vivant tout de l’intérieur. En ce sens, le vrai est vrai parce qu’il parle à l’esprit et non parce qu’il parle au nombre et à la foule. Tout le monde peut être en nombre d’accord avec un propos. S’il n’y a pas d’esprit, ce n’est pas vrai. Inversement, une minorité peut être d’accord avec un propos alors que la foule et le nombre sont contre, c’est vrai. La démocratie est démocratique non pas parce qu’elle est a démocratie du nombre, mais parce qu’elle est la démocratie de l’esprit. Quand on est en démocratie, ce n’est pas parce sue tout le monde dit ce qu’il veut qu’on peut l’être. Ce n’est pas parce que l’on passe des compromis qu’on l’est. C’est parce que l’on a invité l’esprit à la table des hommes et de la société.

Nous avons tous fait l’expérience d’entendre quelqu’un dire quelque chose et de nous écrier : « Comme c’est vrai ». Quand nous avons dit cela, nous n’avons pas attendu que tout le monde trouve cela vrai. Nous l’avons trouvé vrai par ce que notre esprit a immédiatement reconnue comme vraie une parole pleine d’esprit lui parlant en tant qu’esprit.

La France est un pays mondial parce qu’elle est par excellence la patrie de l’esprit. La politique nous frustre et nous fait souffrir quand nous attendons l’esprit et qu’il ne vient pas. Parfois, pourtant, il est là.

Lors des hommages à Samuel Paty à la Sorbonne, tout le monde a trouvé que la France était à la hauteur. L’esprit était là.

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