Pourquoi l’Iran n’a pas besoin des sanctions américaines pour détruire son économie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Pourquoi l’Iran n’a pas besoin des sanctions américaines pour détruire son économie
©ATTA KENARE / AFP

Désastre

De nouvelles sanctions viennent sanctionner Téhéran ce lundi 5 août, rendant la situation économique du pays encore plus inquiétante.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

Voir la bio »

Atlantico : La Maison Blanche a pu détailler, ce lundi 5 août , les nouvelles sanctions économiques qui frapperont l'Iran dès ce mardi. Dans quelle mesure, et avant même l'application de ces sanctions, l'économie iranienne est-elle déjà en prises à de grandes difficultés ? En quoi la gestion du pays par le régime de Téhéran est-elle la principale cause de la mauvaise santé économique du pays ?

Ardavan Amir-Aslani : 80% de l'économie iranienne est détenu soit par l'Etat soit par des organismes parapublics comme les grandes fondations religieuses. Le secteur privé ne représente donc qu'à peine 20% de l'économie iranienne. Cette situation déséquilibrée a entraîné les lenteurs que l'on est en droit d'attendre d'une telle répartition des rôles. Alors que le pays dispose d'une des populations les plus éduquées au monde et un vrai secteur entrepreneurial, les lenteurs administratifs et la gabegie qui sont l'apanage des économies détenues par le secteur public ont fragilisé l'essor du secteur privé. 

Un secteur bancaire particulièrement inefficace et un grand besoin de réforme ont également concouru à cette situation de déliquescence économique. La plupart des banques privées iraniennes sont insuffisamment capitalisées et gangrenées par des prêts toxiques dont les perspectives de recouvrement sont plus qu'incertain. La faillite récente de quelques unes de ces dernières a même monopolisé les ressources trop rares de l'Etat qui s'est vu contraint de rembourser les économies des épargnants lésés. 

Une corruption quasi généralisée est un frein supplémentaire au développement économique. Il n'y a pas un jour qui se passe sans que des débats à l'assemblée nationale iranienne ne portent sur ce fléau sociétal. Des voix se font entendre à tous les échelons de la société afin de combattre ce fléau avec des appels réguliers à la démission aussi bien du ministère de la justice que de l'économie. Pas plus tard que la semaine dernière le gouverneur de la banque centrale iranienne a été limogé et le vice gouverneur arrêté.

Une inflation galopante principalement du fait du recours à la planche à billets pour pallier aux insuffisances budgétaires n'arrange pas les choses non plus. L'instabilité monétaire et l'existence de plusieurs de taux de conversion pour les devises ont eu également leurs parts de responsabilité sur les incertitudes économiques. 

Ces incertitudes n'ont donc eu de cesse de décourager les embauches et de retarder l'heure des investissements industriels indispensables pour maintenir la compétitivité des outils de production. L'ensemble de ces facteurs a donc indubitablement contribué à la situation désastreuse que connaît l'économie du pays. 

Ces nouvelles sanctions sont-elles en mesure de porter un coup fatal à un régime contesté par la rue de plus en plus régulièrement, ou est ce que l'action de Washington pourrait aboutir à une plus grande cohésion du pays contre un ennemi extérieur ?

Les sanctions qui seront transposées par les américains ce soir à minuit sont les moins pernicieuses. Elles portent principalement sur les matières premières, le secteur de l'aviation commerciale, l'or et les transactions sur les billets de banques en dollars. Celles qui feront vraiment mal sont celles qui seront transposées le 4 novembre prochain et qui toucheront le secteur énergétique, la pétrochimie et le transport maritime. Rappelons que 80% des exportations iraniennes sont des exportations d'hydrocarbures et autres produits pétrochimiques. D'ores et déjà l'Arabie saoudite, les Émirats et la Russie se sont reparties 1,2 million de barils de pétroles que les iraniens exporteront en moins de par l'impact des sanctions américaines à venir. 

En revanche les sanctions ne pourront entraîner un changement de régime et ce ni facilement ni rapidement. A titre d'exemple, cela fait plus de 60 ans que Cuba fait l'objet de sanctions américaines ce qui n'a pas empêché le clan Castro de conserver le pouvoir pendant toute cette période et de Raul Castro de continuer d'y sévir jusqu'à ce jour. Les iraniens pour leur part sont fatigués de 40 ans d'ostracisme, de révolution, de sanctions et de guerre. Ils aspirent à mener une vie normale dans un pays normal. 

Si en revanche, l'intégrité territoriale de l'iran devait être menacée, par exemple à l'issue d'une intervention américaine, il est certain que le peuple se fédérera autour du pouvoir. Les iraniens sont un peuple particulièrement nationaliste et profondément attaché à leur intégralité territoriale ainsi qu'à leur souveraineté. D'ailleurs, les messages provenant de la Maison Blanche et ce malgré les déclarations antérieures n'insistent plus sur le changement de régime. Donald Trump ne vise, d'après ses dires, qu'à obtenir un changement de comportement de la part du gouvernement iranien et non plus un changement de régime. 

Inde et Chine devraient ne pas suivre les interdictions américaines, mais comment évaluer la position des Européens dans ce contexte ? 

Ces deux pays ont leur propre agenda mais ne peuvent se permettre de partir dans une démarche diamétralement opposée à celle de la politique américaine. Même à l'époque des sanctions internationales ayant précédées l'accord nucléaire du 14 juillet 2015, ces deux pays ont respecté les injonctions de Washington et ont régulièrement réduit leurs importations du brut iranien. La Chine en particulier ne peut se permettre d'exciter davantage l'administration de Trump, a un moment où la guerre des barrières commerciales fait rage entre les deux pays. In fine, le choix auquel les uns et les autres sont confrontés est très simple et consiste à choisir entre l'accès au marché américain qui est 50 fois plus important que le marché iranien ou opter pour l'Iran et risquer des sanctions américaines. 

L'Union européenne, faute d'unicité de point de vue, ne peut adopter une politique forte et unique. La Pologne et les pays baltes ont déjà fait savoir qu'ils ne partageaient pas la rhétorique des pays de l'Europe de l'ouest face aux Etats-Unis. Ils se souviennent qu'au moment où ces pays affrontaient l'ours soviétique, c'était les Américains qui les ont soutenus, et personne d'autres. 

Par ailleurs, l'Union européenne ne dispose guère d'armes juridiques et économiques assez puissantes pour faire obstruction à la transposition de la politique américaine. Les lois de blocage transposées en droit positif européen, ce lundi, n'ont pas suffit à inciter les grands champions européens comme Vinci, Total ou PSA de rester en Iran. Plus de 100 champions européens ont quitté l'Iran à la perspective de la re-transposition des sanctions américaines.  L'Europe est donc bien seule et impuissante face au dictat américain. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !