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Pourquoi l'héritage budgétaire piégé du quinquennat Hollande pourrait bien faire voler en éclat le Et-droite-et-gauche macronien
©AFP

8 milliards de trou

Ce jeudi 29 juin, la Cour des Comptes a rendu un verdict sévère concernant la gestion des déficits publics pour cette année 2017. En réaction à cette annonce, Le Premier ministre Edouard Philippe a fait part de sa détermination à satisfaire la règle des 3% de déficits, malgré la contrainte, et ce, sans hausse de la fiscalité.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Dans quelle mesure les choix qui seront faits, en matière de réduction des dépenses, seront un marqueur politique qui obligeront Emmanuel Macron de sortir du slogan "ni droite ni gauche"? 

Gilles Saint-Paul : Tout d’abord, observons que le dérapage fiscal correspond parfaitement à ce que les économistes appellent la théorie du cycle politico-économique. Cette vision cynique, développée par l’Américain William Nordhaus dans les années 1970, prédit que les gouvernements laisseront filer les dépenses les années d’élection afin d’être réélus, quitte à resserrer la vis en milieu de mandat. Force est de constater que le quinquennat Hollande s’inscrit dans ce schéma. Après avoir considérablement augmenté les impôts et gelé le point d’indice des fonctionnaires, Hollande a lâché du lest depuis 1996 en prévision d’élections : baisse de l’IR des ménages les plus modestes, dégel du point d’indice, cadeaux catégoriels, etc. Cela a parfaitement fonctionné puisque son poulain Macron a remporté les présidentielles, tandis que Fillon dont le programme reposait sur l’austérité fiscale a été battu. Il est ironique de constater que le premier ministre est issu du parti de François Fillon et tient les mêmes discours que celui-ci pendant sa campagne. Les électeurs d’Emmanuel Macron qui s’attendaient à « penser printemps » pendant cinq ans doivent se sentir mal à l’aise. En réalité, ils se sont exactement comportés comme le prédit la théorie de Nordhaus. Abusés par un certain laxisme « de gauche » conçu par Hollande et Macron pour remporter les élections, ils sont désormais confrontés à la rigueur « de droite » que le gouvernement pratique après l’élection, ce qui lui ménage une marge de manœuvre pour renouveler ce tour de passe-passe à la prochaine élection.

La différence entre la droite et la gauche ne tient pas ici au fait que, de façon prévisible, le gouvernement met en place une politique de rigueur afin d’assainir la situation héritée du laxisme pré-électoral, mais bien au choix de réduire les dépenses plutôt que d’augmenter les impôts. Ceci est en soi un marqueur « de droite » parce que les dépenses profitent en moyenne plus aux ménages modestes, tandis que les hausses d’impôts se font en général au détriment des ménages aisés. Il reste à vérifier que la détermination d’Edouard Philippe ne soit pas désavouée par le président.

Ceci étant posé, il est évident que les diverses façons de réduire les dépenses ne sont pas neutres en termes de leurs conséquences politiques et distributives. Mais comme celles-ci profitent peu aux bourgeois, il est difficile de faire des économies conséquentes sur les postes dont ils bénéficient. Ainsi, l’on pourrait envisager de rogner sur les subventions à la culture ou à l’audiovisuel ; mais cela rapporte beaucoup moins qu’un nouveau gel du point d’indice des fonctionnaires. Le seul exemple qui me vient à l’esprit de réduction significative des dépenses qui nuirait essentiellement aux classes aisées, consisterait à moins investir dans l’enseignement supérieur, soit en fermant des filières, soit en réduisant le nombre d’étudiants quitte à imposer la sélection à l’entrée, soit encore en instaurant des frais d’étude qui permettraient de compenser une réduction des dotations de l’Etat. Cela n’est pas forcément une mauvaise idée, et des frais d’études dissuaderaient certains de s’orienter vers des filières sans avenir ; mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, et de telles mesures, mal conçues, pourraient avoir un effet négatif à long terme sur la compétitivité de l’économie française.

Selon l'agence Bloomberg, l’exécutif serait enclin à réduire les dépenses d'infrastructures, c'est à dire les dépenses d'investissement, tout comme avait pu le faire François Hollande avant lui. En quoi un tel choix pourrait-il être perçu comme un marqueur de "gauche" cherchant à éviter de s'attaquer aux dépenses de fonctionnement ?

Le drame est que réduire les investissements en infrastructure est le plus mauvais choix possible. Il hypothèque l’avenir et nuit aux générations futures, dont la productivité et la qualité de la vie se trouveront détériorés. Les usagers des transports d’Ile de France, aux dysfonctionnements quotidiens, peuvent constater amèrement les conséquences d’investissements publics insuffisants. Malheureusement, s’attaquer aux infrastructures publiques est le choix le plus tentant à,court terme pour un politicien parce que ces dépenses ont un caractère moins clientéliste que les dépenses de fonctionnement, qui consistent en salaires et subventions diverses. Ne pas toucher à ces dépenses de fonctionnement n’est pas tant un marqueur de gauche qu’une marque de soumission aux intérêts catégoriels afin de préserver la « paix sociale ». A long terme, moins d’infrastructures signifie une économie moins productive, donc des salaires plus faibles et des rentrées fiscales plus faibles. La consolidation que permet une telle réduction n’est donc qu’illusoire.

Inversement, quels pourraient être les choix de réduction de dépenses correspondant à des marqueurs de "droite" ?

D’une manière générale, toute réduction de dépense sur des postes non régaliens correspond, d’un point de vue philosophique, à une approche « de droite ». On fait d’une pierre deux coups. D’une part on réduit la pression fiscale, ce qui augmente les incitations à travailler et à investir ainsi que le revenu disponible des individus. D’autre part, en désengageant l’Etat de certaines activités, on rend aux citoyens leur autonomie, par exemple dans le choix du contenu de leur éducation, de leur consommation culturelle, de leur assurance-maladie, de l’organisation du travail dans leur entreprise,etc, tout en posant que la concurrence et la transparence des prix dans les domaines « occupés » par l’Etat quoique non régaliens ne peuvent que contribuer au bien-être. Ainsi, dans le domaine culturel, l’éventail des choix proposé aux consommateurs dans la sphère « subventionnée » est fortement influencé par les préférences des fonctionnaires et des élus qui gèrent ces spectacles et ces expositions. Par ailleurs, ces événements sont en partie financés par des contribuables qui n’y participent pas et qui sont bien souvent moins riches que ceux qui en profitent. Enfin, la sphère subventionnée exerce une concurrence par les prix biaisée à son profit envers la sphère privée, ce qui conduit au rétrécissement de cette dernière ; ainsi, par exemple, les théâtres privés ont pratiquement disparu des villes de province. Réduire l’engagement public dans le secteur de la culture réduirait certes le nombre de spectacles, mais ceux-ci seraient plus en adéquation avec les goûts du public (dans sa diversité) et effectivement payés par ceux qui les consomment.

Ceci étant posé, la « droite » française telle que nous la connaissons ne souscrit pas à la philosophie libérale que je viens d’esquisser. Elle se place dans une perspective essentiellement gestionnaire de soutenabilité des comptes publics, tout en prenant en compte dans une certaine mesure les intérêts de son électorat. De ce point de vue, on peut considérer la réduction du nombre de fonctionnaires comme le parangon du marqueur « de droite ». D’une part, cette réduction des dépenses est bien plus durable que, par exemple, le gel du point d’indice, que l’on peut toujours abandonner par opportunisme électoral. D’autre part, les fonctionnaires constituent traditionnellement des bataillons de gauche, et l’on peut penser que ces mêmes personnes auraient peut-être des opinions différentes si elles s’étaient confrontées aux réalités du secteur privé. Réduire le nombre de fonctionnaires est donc un investissement dans la taille de l’électorat de droite, ce qui explique pourquoi, à l’inverse, la gauche préfère accroître la main d’œuvre du secteur public. De façon similaire, réduire le nombre de logements sociaux, comme l’avait fait Margaret Thatcher en les vendant à leurs occupants, serait également un marqueur « de droite », bien que cela ne réduirait les dépenses publiques qu’indirectement. Il existe pourtant un argument « de gauche » contre le logement social : celui-ci est bien souvent occupé par des gens qui n’en ont pas besoin, soit parce que leurs revenus ont augmenté, soit parce qu’ils l’ont obtenu en vertu d’un passe-droit. Le logement social n’est donc pas un bon instrument redistributif. En revanche, c’est un merveilleux instrument de cliéntélisme, notamment au niveau municipal, et de par son caractère « social », la gauche est mieux armée que la droite pour s’en servir. Ce qui explique pourquoi les arguments « de gauche » contre le logement social sont inaudibles en France…

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