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Pourquoi l’Allemagne devrait finir par accepter de payer nos dettes
©ARIS OIKONOMOU / AFP

Vieux couple

L’Allemagne a consenti à un arrangement à 500 milliards d'euros pour sauver l’économie européenne du désastre coronavirien. L’affaire était bien mal engagée, pourtant, l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas étant une nouvelle fois peu disposés à repartir dans un nouvel endettement en faveur des pays du sud.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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L’Allemagne et ses puissances satellites (les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande) ont donc cédé. Ils ont accepté, dans les grandes lignes, un compromis à 500 milliards d'euros, dont une promesse de coronabonds, c’est-à-dire de dettes mutualisées entre pays de l’Union. Ce point faisait débat depuis plusieurs semaines, suscitant des passions en Allemagne et des énervements rigides au royaume batave.

L’Allemagne n’a pas encore complètement cédé

En vérité, le texte de l’accord n’est pas encore abouti. Il est toujours en cours de finalisation, en particulier sur la question des coronabonds. On lira sur ce point avec intérêt le communiqué de Charles Michel, le président du Conseil européen, qui est allé chercher l’Allemagne, et surtout la Hollande avec les dents. 

Rappelons que cet accord se traîne depuis plusieurs semaines. Il devait initialement être négocié dans un Eurogroupe, qui a botté en touche vers un conseil européen qui a botté en touche vers un Eurogroupe qui a finalement botté en touche vers un conseil européen tenu après une journée de discussions bilatérales. Bref, tout n’est pas encore complètement signé, et on comprend que Bruno Le Maire, au petit matin, ce soit empressé d’annoncer triomphalement la conclusion de cet accord : il s’agit ici de faire illusion, de faire croire qu’il existe une solidarité européenne face à la crise, alors que les « radins » du Nord compte denier après denier l’argent qu’ils sont obligés de lâcher pour éviter une explosion de l’union monétaire. 

Les Allemands prennent sur eux

Il faut lire les propos du président Steinmeier sur le sujet pour comprendre quel effort d’acceptation cet accord demande aux Allemands. « 30 ans après l’unité allemande, 75 ans après la fin de la guerre, nous, Allemands, ne sommes pas seulement appelés à la solidarité en Europe – nous sommes obligés de le faire ».

L’argument, apporté par le Président et non par la Chancelière, mérite d’être pesé dans toute sa solennité. L’argumentation ne se veut ici ni économique ni financière, mais politique et morale. L’Allemagne aurait un devoir « d’humanité » (le mot est de Steinmeier) vis-à-vis de l’Europe. 

« Nous sommes obligés » : tout est dit ! Le devoir moral du protestant prend le dessus. Mais il serait peut-être un peu court de ne pas donner à l’argumentation allemande toute son ampleur. 

Effectivement, les vertueux vont payer pour les mauvais élèves

Dans la pratique, et sur le papier, les arguments tenus par les « pingres » ne sont pas dénués de fondement. Même si l’accord conclu prévoit que les 500 milliards d'euros devront servir à couvrir les coûts directs ou indirects de la pandémie, l’essentiel de la garantie tient grâce à la signature des moins endettés, notamment des Pays-Bas dont la dette publique ne représente que 52% du PIB, soit deux fois moins que la dette française…

Sans ces signatures saines, il est très probable que les taux d’emprunt des pays du Sud atteindraient des sommets. Indirectement, et quel que soit le montage financier retenu en bout de course, les pays du Sud sortent donc gagnants de l’opération, même s’il faut attendre l’allocation définitive des sommes pour faire les comptes (on fait notamment confiance aux Hollandais pour obtenir un retour suffisant sur ces sommes).

La diplomatie monétaire allemande continue

Le dénouement final de cet accord boiteux et chaotique donne une bonne image du fonctionnement actuel de l’Europe, qui ressemble de plus en plus à celui d’un vieux couple qui ne se supporte plus mais qui a trop biens en commun pour pouvoir divorcer. 

Dans la pratique, l’Allemagne paie désormais le prix de sa diplomatie monétaire, dont le sens n’est pas toujours très clair pour les Français. La création de l’euro dans les années 2000 a en effet permis à l’Allemagne de dominer l’Union avec une monnaie forte, rare, solide, qui a continué la tradition du mark, par lequel la Prusse des années 1800 a unifié une Allemagne jusqu’ici morcelée. Ce système correspond à la vision germanique de l’Europe, qui doit être un marché unique amélioré, avec quelques décisions politiques mises en commun. 

Au fond, la vision de l’Europe par l’Allemagne est celle d’une zone monétaire optimale, où elle peut écouler ses produits sans perte de compétitivité due aux dévaluations de ses principaux concurrents. 

L’Allemagne paie désormais pour maintenir sa zone de prospérité

Cette vision allemande de l’Europe n’est pas évidente à préserver dans le temps. La politique de l’euro fort contribue en effet à la désindustrialisation progressive de ses concurrents, et elle ne peut donc être durable sans, tôt ou tard, devoir mettre la main au portefeuille. Si l’Allemagne veut avoir encore des clients en Europe pour ses voitures chères et ses produits chimiques, elle doit s’efforcer de les maintenir à flots. 

Au fond, pour préserver la zone euro, l’Allemagne (et ses satellites, comme les Pays-Bas, qui vivent largement de leur activité portuaire utile à l’Allemagne et de quelques autres filouteries comme le dumping sur les brevets) doit pratiquer une forme étatique d' »helicopter money ». Elle doit reverser directement à ses voisins l’argent dont ils ont besoin pour continuer à acheter des produits allemands !

L’accord conclu par l’Eurogroupe va dans ce sens. Reste à savoir combien d’années une construction aussi bancale et artificielle peut subsister. 

Article publié initialement sur le Courrier des Stratèges

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