Pourquoi il est grand temps de penser à refonder les grandes organisations internationales pour échapper à la “fatalité” d’une mondialisation qui maltraite la France qui souffre<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Pourquoi il est grand temps de penser à refonder les grandes organisations internationales pour échapper à la “fatalité” d’une mondialisation qui maltraite la France qui souffre
©REUTERS/Yuri Gripas

Concrètement

Jusqu'à présent, les remises en cause profondes du système international, afin de tenir compte de nouveaux rapports de force établis, se sont toujours faites à la suite d'une guerre.

Jean Sylvestre  Mongrenier

Jean Sylvestre Mongrenier

Jean Sylvestre Mongrenier est chercheur à l’Institut français de géopolitique (Université de Paris VIII) et chercheur associé à l’Institut Thomas More.

Il est notamment l'auteur de La Russie menace-t-elle l'Occident ? (éditions Choiseul, 2009).

Voir la bio »

Atlantico : ONU, Banque mondiale, FMI, etc. : nombreuses sont les organisations internationales régissant le système international actuel à avoir vu le jour après la Deuxième Guerre mondiale. Ces instances sont-elles encore en mesure de répondre aux enjeux actuels, et notamment ceux d'une économie mondialisée ? 

Jean-Sylvestre MongrenierDe prime abord, il convient de revenir à l’époque fondatrice du système international. La crise de 1929, le chacun pour soi (le "self help") et l’incapacité des nations industrielles à apporter des réponses communes (voir l’échec de la Conférence de Londres, en juin-juillet 1933) ont entraîné la désintégration du système économique mondial, fracturé en un petit nombre de "plaques" monétaires et commerciales. Ensuite, la montée des périls et la marche à la guerre ont mis à bas le système de sécurité collective institué par le traité de Versailles, i.e. la SDN (Société des Nations), définitivement emportée par la Seconde Guerre mondiale. Au lendemain de cette guerre, de nouvelles institutions internationales doivent être fondées, sous la direction des Etats-Unis qui assument désormais le rôle de "stabilisateur hégémonique" refusé après la Première Guerre mondiale (cf. Charles Kindleberger, La Grande Crise mondiale, 1929-1939, Economica, 1986). Les négociations qui mèneront à la fondation de l’ONU (Organisation des Nations Unies), ainsi qu’au système de Bretton Woods, sont entamées avant la fin du second conflit mondial : les accords de Bretton Woods sont signés le 22 juillet 1944 et les 51 Etats fondateurs de l’ONU sont réunis à San Francisco, le 26 juin 1945, afin d’adopter la Charte des Nations unies.

>>> Lire aussi pour approfondir ce sujet : Pourquoi il est urgent de réinventer un libéralisme qui ne serve pas d’alibi à un capitalisme financier mondialisé et prédateur <<<

Considérées par des auteurs comme Arnold Toynbee ou Ernst Nolte comme formant un seul grand conflit entrecoupé d’une trêve, les deux guerres mondiales ont démontré que le seul principe des nationalités, le libre commerce et l’interdépendance économique ne suffisaient pas à fonder la paix. A cet égard, cette nouvelle "guerre de Trente Ans" marque une rupture avec l’optimisme progressiste du XIXe siècle et la croyance dans les vertus du commerce (intellectuel et autre), déjà célébrées par Montesquieu et Benjamin Constant, optimisme que l’on retrouve chez Victor Hugo avant qu’il ne soit refroidi par la guerre franco-prussienne de 1870-1871. A l’évidence, le progrès technico-scientifique et économique ne suffit pas à garantir le progrès moral et il n’existe pas d’harmonie spontanée entre les nations. Dès après la Première Guerre mondiale, l’idée d’une structure politique venant "coiffer" la mondialisation des relations internationales s’est donc imposée. Le projet de "Ligue des nations" formulé par Wilson, dans son discours des Quatorze Points (8 janvier 1918), est à l’origine de la SDN, fondée par le traité de Versailles

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Roosevelt a donc repris le projet universaliste autrefois porté par les principales nations européennes. Centrée sur la diplomatie internationale, l’ONU est complétée par les institutions de Bretton Woods, à savoir le FMI (Fonds monétaire international) et la Banque mondiale, ainsi que les accords du GATT (General Agreement on Tarifs and Trade). Initialement, une organisation internationale du commerce était prévue (voir la Charte de La Havane, 24 mars 1948), mais le Congrès n’a pas voulu suivre la Maison-Blanche. Le rôle des Etats-Unis dans la fondation de ce système international est évident et l’ensemble du dispositif s’inscrit dans une logique d’envergure planétaire. Pourtant, la mondialisation relève d’une réalité ancienne qui découle des Grandes Découvertes : ce n’est pas une "invention" américaine. Après 1945, la mondialisation des échanges repart, mais la Guerre Froide en limite la portée ; elle concerne principalement le "monde libre", à savoir l’Occident et ses alliés. Après la chute du Mur de Berlin, nous sommes entrés dans une nouvelle phase – tous les peuples et continents sont aujourd’hui engagés dans ce vaste mouvement séculaire - ce dont rend compte le terme de "globalisation". Sur le plan des idées et des principes, il n’y a donc pas de contradiction entre les grandes institutions internationales et la mondialisation, bien au contraire. A certains égards, on pourrait voir dans la mondialisation-globalisation l’aboutissement du "projet moderne", tel qu’il a été pensé dès le XVIIe siècle, par Francis Bacon et René Descartes (la philosophie ou la science au service de l’homme, lui permettant de devenir maître et possesseur de la nature). Sur ce point, il faut lire ou relire Leo Strauss (cf. "La crise de notre temps", une conférence de 1962 dont le texte est repris dans Nihilisme et politique, Bibliothèque Rivages, 2001). 

Dans quelle mesure une remise en cause de ces organisations internationales permettrait-elle de prendre en compte les enjeux actuels, et tout particulièrement ceux liés à la mondialisation ? Quelle pourrait être l'expression de cette remise en cause ?

Ces organisations ne sont pas remises en cause frontalement - songeons par exemple à l’insistance affichée par Pékin et Moscou sur le rôle du Conseil de sécurité de l’ONU -, mais il est vrai qu’il existe une contestation discrète, appelée à croître certainement. Aussi et surtout, l’ONU et les institutions de Bretton-Woods ne tiennent pas pleinement le rôle censé être le leur dans le "nouvel ordre mondial" annoncé par George Bush père au lendemain de la chute du Mur de Berlin. En vérité, il en est allé ainsi dès 1945, Staline n’étant en rien rallié au "one worldism" de Roosevelt. Le rêve d’une sorte de fédération universelle des nations, en conformité avec le projet kantien de paix perpétuelle, s’est heurté à la réalité du conflit comme phénomène irréductible et donnée de base du "politique", entendu comme essence, i.e. comme activité intrinsèque à la condition humaine (voir la thèse de Julien Freund sur l’Essence du politique, Sirey, 1965). En dernière analyse, un système de sécurité collective repose sur la bonne volonté de ses participants et, même lorsqu’elles sont sincères, les déclarations philanthropiques ne peuvent dissoudre définitivement (une fois pour toutes) l’hostilité entre les hommes et les collectivités politiques qu’ils forment. Les configurations internationales se transforment, mêlant la dissociation d’ensembles multi-étatiques et le regroupement sur de nouvelles bases, les motivations ne sont plus toujours les mêmes et les lignes d’affrontement se déplacent, mais le phénomène conflictuel demeure.

La Guerre Froide a donc invalidé les espoirs investis dans la sécurité collective, le dissensus entre les grandes puissances interdisant le bon fonctionnement du Conseil de sécurité de l’ONU (voir l’usage systématique du droit de veto, contraire à l’esprit de l’institution). L’accélération de mondialisation économique, avec pour piliers le GATT et les institutions de Bretton Woods, était limitée au "monde libre" ; le bloc soviétique et bien des pays du tiers-monde se tenaient à l’écart, sans qu’ils puissent cependant ignorer le processus de mondialisation. En somme, seul le tiers de la population mondiale était véritablement sujet et acteur de cette mondialisation. La situation générale, plus précisément la paralysie du Conseil de sécurité et, consécutivement à la décolonisation, la tiers-mondisation de l’Assemblée générale, justifient la fondation du G7, un club informel de grands pays à économie de marché constitué au milieu des années 1970. Avec la disparition du bloc soviétique et la dislocation de l’URSS, le système international est bouleversé de fond en comble et le projet universaliste regagne en vigueur. Schématiquement, les Etats-Unis et leurs alliés conduisent une "grande stratégie" d’enlargement qui consiste à promouvoir la démocratie libérale et l’économie de marché en direction de l’Est (les pays d’Europe centrale et orientale ainsi que la Russie) et du Sud (les pays en voie de développement). Le "nouvel ordre mondial" évoqué dans les années 1990 est fondé sur l’idée d’un renouveau de l’ONU comme instance centrale de régulation des conflits, la primauté du droit et l’extension de la "démocratie de marché", censée répondre à la demande de reconnaissance des individus (égalité politique et civile, respect des libertés fondamentales) et permettre de satisfaire leurs besoins économiques.

Au cours de cette "grande transformation", le FMI et la Banque mondiale, renforcés à partir par l’OMC (Organisation mondiale du commerce), fondée à l’issue de l’Uruguay Round négocié dans le cadre du GATT (1994), ont effectivement contribué à l’insertion de nombreux pays dans les circuits économiques mondiaux. La rapidité de la croissance économique en Asie ou ailleurs et l’émergence de nouvelles puissances, celle de la Chine populaire en premier lieu, illustrent la force de cette dynamique et le succès de la mondialisation. Des centaines de millions d’hommes sont sortis de la plus grande misère et ce n’est pas le communisme qui les en a tirés. Paradoxalement, cette "globalisation" tend à déborder les institutions de Bretton Woods. D’une part, l’enrichissement de pays autrefois sous-développés, l’importance des réserves de change de la Chine populaire et d’autres puissances émergentes ainsi que l’abondance des capitaux dans le monde permettent d’emprunter sur les marchés et de financer de grands projets sans s’adresser au FMI ou à la Banque mondiale qui exigent de surcroit le respect de règles de bonne gouvernance. D’autre part, les "émergents" et autres PED (Pays en développement) jugent que les Occidentaux dominent de manière excessive les institutions de Bretton Woods. Quant au Conseil de sécurité de l’ONU, le consensus entre les membres permanents est brisé dès les guerres d’ex-Yougoslavie, au cours des années 1990. En somme, ce n’est pas directement la mondialisation qui remet en cause les institutions internationales, mais les ambitions géopolitiques de pays qui ont mis à profit les opportunités de la mondialisation afin de s’enrichir et de gagner en puissance.

De quelle(s) manière(s) les organisations internationales actuelles pourraient-elles intégrer les nouveaux rapports de force sur la scène internationale ? Comment éviter que la loi du plus fort ne s'impose dans les relations internationales ?

Il importe de souligner que ces institutions internationales, parfois traitées avec désinvolture, conservent d’utiles fonctions. Certes, le Conseil de sécurité est paralysé par les désaccords, mais la coexistence des différentes "puissances" en son sein permet de maintenir le contact et, jusqu’ici, d’éviter le pire (une grande guerre interétatique entre les "puissances"). La confrontation diplomatique dans une enceinte instituée, entrecoupée de négociations en coulisses, a le mérite de limiter les paronymies et mésinterprétations, possiblement à l’origine de graves fautes politiques et stratégiques. Quant aux institutions de Bretton Woods, elles ont tenu leur rôle au cours des différentes crises économiques et financières. Il serait trop facile de les dénigrer en prenant le "meilleur des mondes", celui dans lequel 2 et 2 font 5 et le "kolkhoze fleuri" tient lieu de paradis, comme critère d’évaluation de leur action. Après le krach de septembre 2008, l’action de ces technostructures, dûment chapeautées par le G20 (un forum qui regroupe des pays à économie avancée et les principales économies émergentes), et les recommandations adressées aux différents gouvernements ont évité la répétition des erreurs commises lors de la crise de 1929 (restriction brutale de la masse monétaire, protectionnisme et règne du "chacun pour soi").  

Selon une vision évolutionniste et biologisante, les institutions internationales devraient évoluer avec l’environnement international et intégrer progressivement les modifications des rapports de puissance. Dans le monde des hommes, cela passe par des décisions et ne va pas de soi. Ainsi, la réforme du Conseil de sécurité - l’Allemagne, le Brésil et l’Inde étant censés obtenir un siège de membre permanent (avec droit de veto) -, est bloquée depuis un demi-siècle. Par exemple, la Chine populaire refuse que l’autre géant asiatique, l’Union indienne, jouisse des mêmes privilèges qu’elle. Le FMI et la Banque mondiale ont opéré quelques réformes dans la structure du capital et donc la distribution des droits de vote, au bénéfice de la Chine populaire, mais à dose homéopathique. Globalement, la place des puissances occidentales au sein des institutions de Bretton Woods reste à peu près la même qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Idéalement, il faudrait ouvrir plus largement ces institutions afin de transformer les puissances émergentes en "actionnaires" du système international et qu’elles ne cherchent pas à bouleverser l’ordre des choses, au péril de grands conflits géopolitiques, voire de guerres ouvertes. 

Peu ou prou, la diplomatie Obama a consisté à tendre la main à ces nouvelles puissances et a cherché à mieux les insérer dans les structures internationales. Encore faut-il que cet objectif, certes louable et plein de raison politique, corresponde effectivement à l’intention consciente et au projet politique des puissances émergentes. Laissons de côté la Russie, "superpuissance résiduelle" dont on sait le révisionnisme géopolitique, afin de se concentrer sur le cas de la Chine populaire. Après avoir privilégié le discours de la "montée en puissance harmonieuse", la politique étrangère chinoise pratiquée ces dernières années laisse penser qu’il ne s’agit pas pour Pékin d’obtenir un plus vaste accès au grand "banquet de la nature", mais dans une logique de revanche sur l’histoire des derniers siècles, de se poser en rival global de l’Occident. Ainsi l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghaï), au sein de laquelle Pékin surclasse très largement Moscou, prend l’allure d’un "concert des puissances eurasiatiques" qui double le Conseil de sécurité des Nations unies. L’internationalisation du Yen et la BAII (Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures) ont l’ambition de concurrencer le système de Bretton-Woods et le projet dit des "Routes de la Soie" ("One Belt, One Road") constitue un vecteur expansionniste. En somme, le "projet moderne" d’une société embrassant toute l’humanité, s’il a trouvé sa traduction dans le domaine de la richesse et de la prospérité, se heurte une nouvelle fois à un projet géopolitique concurrent. En lieu et place d’une sorte d’ "Etat universel", l’avenir appartient peut-être à une nouvelle dyade géopolitique Orient/Occident. Au regard des enjeux géopolitiques, des concentrations de puissance, plus encore de la "déconstruction" systématique du droit naturel et des règles de juste conduite, il sera peut-être difficile de contenir les logiques de conflit et de civiliser les rapports de force.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !