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Pourquoi 2018 a été une année gâchée sur le front de l’énergie
©Thomas COEX / AFP

Production

Sur le plan des grands enjeux énergétiques, l’année 2018 a commencé par un tournant majeur, celui qu’ont pris l’Arabie Saoudite et ses alliés du Golfe vis-à-vis de l’OPEP en décidant de s’allier à la Russie pour tenter de mieux contrôler le prix du pétrole.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

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En effet, constatant le blocage, à la fois politico-religieux et économique, entre l’alliance sunnite du Golfe et la sphère irano-chiite, renforcée par le Venezuela, Riyadh a bien compris que l’OPEP n’était plus en mesure de jouer son rôle de cartel aux membres disciplinés, sans parler des producteurs africains, toujours à la poursuite d’une production maximale. On a ainsi pu constater que, après avoir réussi à faire remonter le cours du baril (Brent) de moins de 50$ en septembre 2017 à plus de 80$ un an plus tard, l’alliance tsaro-bédouine n’aura pas réussi à empêcher sa rechute à 50$ en cette fin d’année, après un dévissage historique de 40% en trois mois. Tout ceci se déroulant sur fond d’envolée de la production américaine de pétrole de schiste : en 2018, celle-ci a bondi de 10 à près de 12 Mbpj, contre à peine 5 Mbpj à la fin des années 2000, faisant des États-Unis le premier producteur mondial. Précisons que les États-Unis n’en sont pas pour autant rendus à l’autosuffisance, comme on le lit parfois, la consommation américaine étant elle aussi repartie à la hausse depuis 2012, passant de 20,6 à 22,3 Mbpj au cours de l’année 2018. Néanmoins, la hausse de la production américaine a permis aux USA de réduire fortement leurs importations, en particulier en provenance du golfe Arabo-persique : celles-ci ont chuté de 2,3 Mbpj en 2008 à 1,5 Mbpj fin 2018, soit à peine 16% des importations et seulement 7% de la consommation. Autant dire que l’Oncle Sam se sent désormais parfaitement indépendant de cette zone pour nourrir sa voracité pétrolière. C’est ce qui a conduit Donald Trump, mais aussi son prédécesseur, à réduire progressivement l’importante présence militaire américaine dans cette région, pour finir par l’annonce fracassante de cette fin décembre du retrait de la moitié des troupes présentes en Afghanistan et de la totalité de celles de Syrie. Bien sûr, l’armada américaine restera fortement présente dans la zone, sur mer comme au sol. Mais ces annonces témoignent du désengagement stratégique américain et sont prises comme telles par plusieurs régimes locaux, mais aussi par la Russie, qui ne manquera pas de pousser ses pions dès que l’occasion s’en présentera. Ces événements révèlent aussi un important mouvement de balancier : le marché du pétrole ne résulte plus du rapport de force entre les consommateurs occidentaux et les producteurs moyen-orientaux, mais entre une multitude de producteurs et une autre multitude de consommateurs, tous émergeants. Dans ce paysage, l’OPEP ne parviendra plus à imposer ses règles.

Nucléaire : la 3ème génération va-t-elle percer ?

Après les trente glorieuses de la génération II, l’industrie électronucléaire misait sur la génération III, puis III+, pour rebondir et remplacer les parcs occidentaux vieillissants ou équiper les nouveaux marchés. Ainsi, tous les constructeurs se sont-ils lancés dans le développement de nouveaux réacteurs, à la fois plus sûrs et plus puissants. On peut citer, bien sûr, l’EPR de Framatome/EDF (ex-Areva), l’AP1000 de Westinghouse/Toshiba et l’AES‑2006/VVER‑1200 du russe Gidropress (Rosatom), mais aussi l’APR1400 du coréen KHNP, l’ABWR de GE/Hitachi ou encore le Hualong One du chinois CNNC/CGN. Tous ces réacteurs ont pris du retard en raison, d’une part, du renforcement des normes de sécurité durant les vingt dernières années, mais aussi de la difficulté de trouver du personnel et des sous-traitant maîtrisant des compétences extrêmement pointues. L’EPR n’a pas échappé à cette règle, qui s’est combinée à des difficultés d’ingénierie et d’architecture qu’Areva ne maîtrisait pas suffisamment. Le résultat a été une accumulation de retards et un surcoût faramineux qui aura ruiné le constructeur. Mais cela n’a pas empêché l’EPR de démarrer pour la première fois à Taishan, en Chine, où il a été officiellement mis en service commercial le 13 décembre. Dans la foulée, les réacteurs de Flamanville, Olkiluoto 3 et Taishan 2 devraient être mis en service à leur tour durant l’année 2019. D’autres suivront d’ici 2020 en Corée, en Biélorussie, en Russie et probablement aux Émirats Arabes Unis, ce qui devrait placer la génération III sur ses rails commerciaux. Car, si l’accident de Fukushima a accéléré la décision de certains pays occidentaux de suspendre leurs programmes électronucléaires sous la pression des mouvements écologistes, cette filière reste très attractive pour la plupart des pays émergents qui cherchent à produire de l’électricité bon marché et décarbonée (Pakistan, Bengladesh, Inde, Turquie, Vietnam…).

Cependant, le coût élevé des générateurs de forte puissance (plus de 1 400 MW) rend leur accès difficile aux pays les moins fortunés. Ceux-là se tournent plus volontiers vers des réacteurs de faible puissance comme le VVER‑1200, voire des installations de moins de 1 000 MW. Plusieurs constructeurs ont ainsi décidé de lancer sur le marché des mini, voire micro-réacteurs, dont les puissances peuvent descendre en-dessous de 100 MW, voire moins. Plusieurs ont déjà été construits et il existe quelques dizaines de projets en cours de déploiement.

À plus long terme, beaucoup de pays misent sur les réacteurs de génération IV, basés sur différentes technologies, qui offriront l’avantage de réduire fortement la consommation de matière fissile et la production de résidus. Mais ces technologies nécessitent encore quelques décennies de développement et ne devraient pas être commercialisées avant les années 2040.

Les émissions mondiales de CO2 toujours à la hausse

En fin d’année, une étude scientifique[1] a révélé que les émissions mondiales de CO2 avaient été de nouveau en hausse en 2017 de +1,6%, après trois années de stagnation. Cette hausse est principalement imputable à l’utilisation des sources fossiles d’énergie, en tête desquelles le charbon et le pétrole. Si on regarde les contributions régionales, on constate que l’Inde et la Chine sont les plus gros contributeurs à cette hausse (respectivement +3,9% et +1,5%), mais que l’Union Européenne y a aussi participé (+1,2% en 2017). La tendance décennale mesurée par cette étude est similaire : sur la période 2008-2017, les émissions chinoises ont crû de +2,3 GtCO2/an (milliards de tonnes équivalent CO2 par an) et les indiennes de +0,9 GtCO2/an, tandis que les émissions européennes baissaient de 0,6 GtCO2/an, de même que les américaines. On voit que les baisses occidentales sont loin de compenser les hausses des pays émergents. Au contraire, elles tendraient plutôt à les amplifier car ces baisses sont dues non pas à une règlementation et une fiscalité de plus en plus contraignantes, mais essentiellement à la désindustrialisation : l’Occident a massivement externalisé sa production vers des pays manufacturiers, surtout la Chine, contribuant ainsi à faire exploser leurs émissions, d’autant plus que la Chine et l’Inde s’appuient largement sur le charbon. Aux États-Unis, la baisse observée est aussi imputable au boum du gaz de schiste qui a permis de remplacer le charbon, notamment dans la production d’électricité.

La prévision pour l’année 2018 n’est guère plus réjouissante : on s’attend à une hausse des émissions mondiales de +2,7% pour les seules énergies fossiles (+4,7% en Chine, +6,3% en Inde, +2,5% aux USA, -0,7% en UE et +1,8% pour le reste du monde). Cette tendance ne s’inversera pas tant que la démographie mondiale restera haussière. Mais il est possible de l’atténuer, notamment en aidant les pays émergents à opter pour une production l’électricité à base de nucléaire et d’hydraulique plutôt que de charbon et en développant la filière de génération IV. Ces filières constitueront un outil indispensable en vue de l’électrification des moyens de transport dans le monde.


[1] Le Quéré et al., 2018, Global Carbon Budget 2018, Earth System Science Data 10, 2141-2194.

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