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Pour un échange international équitable
©Brendan Smialowski / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump essaie de contrecarrer la Chine à cause de ses visions hégémoniques en mer de Chine, ses prétentions sur de nombreux pays par l’intermédiaire des "routes de la soie" ou bien encore ses pratiques commerciales. L’Etat chinois est un véritable stratège qui avance pion après pion pour encercler et conquérir des territoires.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Dans son livre au titre particulièrement prémonitoire « Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera », Alain Peyrefitte a écrit en exergue : « Attribuée à Napoléon, la prophétie d’où est tirée le titre de ce livre ne figure dans aucun de ses écrits. L’Empereur l’aurait prononcée en 1816, après avoir lu la relation…du Voyage en Chine et en Tartarie de Lord Macartney, premier ambassadeur du Roi d’Angleterre en Chine ; à moins que ce fût à l’occasion de la visite de Lord Hamherst -successeur malchanceux de Lord Macartney-, qui, au retour de Pékin, avait escale à Sainte Hélène. Lénine a repris ce pronostic à son compte dans son dernier texte, dicté le 2 mars 1923, Moins nombreux mais meilleurs. »

Ce temps est arrivé. En 40 ans.

1980-2010, ces 30 ans ont changé la Chine[1] et le Monde.

Cette période est ponctuée par trois décennies chinoises :

  • 1980-1991 : le décollage économique
  • 1992-1999 : la reprise et l’accélération des réformes
  • 2000-2010 : l’envol

Depuis, la Chine n’a cessé d’affirmer sa puissance. En juillet 2010, la Chine a dépassé le Japon, est devenue la seconde puissance économique mondiale, et s’était fixée l’objectif de dépasser les Etats-Unis avant 2020.

Tout cela a été rendu possible parce que, depuis 1980, les Etats-Unis, le Japon et l’Europe ont demandé à la Chine de fabriquer la corde avec laquelle elle va les dominer, en paraphrasant la célèbre phrase de Lénine selon laquelle « le capitaliste est capable de vendre la corde avec laquelle on va le pendre ».

Le G7 n’a cessé de renforcer la puissance économique de la Chine :

  • Pour profiter des bas coûts salariaux, ces pays ont augmenté leurs achats auprès de l’Empire du milieu au point d’en faire l’usine du Monde.
  • Les membres du G7 ont favorisé les investissements de leurs entreprises en Chine et les délocalisations, et ont abandonné des pans entiers de leurs secteurs industriels
  • Pour décrocher certains contrats ils ont accepté des transferts de technologie dans des activités comme l’aéronautique, l’énergie nucléaire, les transports aérien et ferroviaire, le secteur automobile… et ont créé un nouveau concurrent.
  • Le G7 a assisté sans réagir au lancement en 2013 par le président Xi Jinping, de la stratégie, dénommée « routes de la soie », qui vise à assurer à la Chine des débouchés vers le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Europe et l’Amérique latine.

Avec « les routes de la soie », les Chinois ont déployé d’énormes moyens pour assurer le succès de leur stratégie de conquête, le fonds Silk Road Fund, le fonds Silk Road Gold Fund La liste des projets est longue ... La Chine tisse sa toile à travers le Monde.

  • Depuis quarante ans, l’Occident a cherché à intégrer la Chine à la gouvernance mondiale. Mais le succès a été très limité.

En 2001, la Chine est admise à l’OMC. En 2003, la Chine participe pour la première fois au sommet du G8. L’Occident a accepté le maintien des Jeux Olympiques de Pékin en 2008 malgré la crise avec le Tibet et le Dalaï Lama. L’exposition universelle de Shanghai en 2010 a été maintenue et tous les responsables et entrepreneurs occidentaux y ont défilé.

Quoique membre des Institutions de Bratton Woods, la Chine n’a pas hésité à créer la Banque asiatique d’investissements concurrente directe de la Banque mondiale et de la banque asiatique de développement. De peur de « rater le dernier métro », la plupart des membres du G7 ont accepté d’être actionnaire quel que soit le niveau de la participation. Avec leur assentiment, la Chine s’affirme à la fois comme le financier et le maître d’ouvrage des projets d’infrastructures.

La Chine fait cavalier seule ou parfois avec la Russie. Les Chinois ne s’inscrivent pas dans une démarche de gouvernance internationale. Ils ne respectent pas certaines décisions onusienne de sanctions, comme à l’égard de la Corée du Nord, de l’Iran ou de la Russie. Parallèlement, ils soutiennent la dictature de Maduro qui ne cesse d’enfoncer la Venezuela dans une crise humanitaire sans précédent.

Nous ne protestons pas sur ce qui se passe à Hong Kong. De peur de perdre nos petits marchés, nous acceptons.

20 ans après son admission le 11 décembre 2001 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Chine est devenue le plus important partenaire commercial de 120 pays. Aujourd’hui, elle n’hésite pas à prendre fait et cause pour la liberté du commerce international, prenant complétement le contre-pied de Donald Trump.

Malgré cette admission, la Chine conforte ses positions commerciales en pratiquant :

  • Un dumping social. Plus que la faiblesse du coût salarial, c’est le non-respect des règles du Bureau international du travail (BIT) qui est problématique.
  • Un dumping environnemental. Nonobstant la signature des Accords de Paris en 2016, le modèle économique de la Chine interpelle.
  • Mais c’est le dumping monétaire qui est le plus perturbateur. Depuis Adam Smith, le père de l’économie politique, l’échange international est profitable à tous sous réserve que certaines règles soient respectées dont le retour à l’équilibre par la modification des taux de change.

Un pays en déficit structurel doit déprécier sa monnaie pour que la modification des prix relatifs lui permette de retrouver de la compétitivité. En sens inverse, un pays en excédent structurel doit apprécier sa monnaie pour écorner sa compétitivité et permettre le retour à l’équilibre. Á défaut l’échange n’est pas équitable.

Alors que l’Empire du milieu ne cesse d’accumuler des excédents commerciaux et que ses partenaires cultivent des déficits, les autorités de Pékin continuent de manipuler leur monnaie en la dépréciant, au lieu de la réévaluer. Elles font du dumping monétaire pour continuer à inonder le Monde avec leurs produits. Alors qu’en 1993, 1 dollar valait 8,77 yuans, il s’échange aujourd’hui à un peu plus de 7 yuans malgré l’accumulation de 3 000 Md$ de réserves de change. Nombreux sont les observateurs qui considèrent que le point d’équilibre du dollar se situe entre 3,5 et 5 yuans.

La Chine doit faire des efforts pour corriger les déséquilibres qu’elle occasionne. Elle ne peut continuer à se développer et à s’affirmer au détriment de tous les autres pays de la planète.

Depuis son arrivée à la Maison blanche, Donald Trump essaie de contrecarrer la Chine à cause de ses visions hégémoniques en mer de Chine, ses prétentions sur de nombreux pays par l’intermédiaire des « routes de la soie », ses pratiques commerciales, les déboires de Google, les ambitions de Huawei devenu en 30 ans le 1er équipementier mondial, et le second au Monde pour les smartphones

Cela a conduit Donald Trump à multiplier les points de friction avec la Chine. Il n’a pas hésité à promettre de mettre fin au « …vol par la Chine des emplois et de la propriété intellectuelle américains… » ! Le sursaut américain eût été plus efficace s’il avait porté sur la gestion du Yuan et s’il s’était inscrit dans une démarche collective avec les autres membres du G7.

Tel un joueur de go, l’Etat chinois est un véritable stratège qui avance pion après pion pour encercler et conquérir des territoires. Cela est impressionnant surtout en rapprochant cette posture chinoise, du happening permanent trumpien, des velléités européennes ou des aventures poutiniennes…

Le sujet de la dette africaine peut très vite devenir un sujet de discorde avec la Chine.

Les annulations de dettes réalisées au début du millénaire ont conduit à la mise en place d’une discipline collective supervisée par le FMI pour éviter de reconstituer à plus ou moins brève échéance un nouveau « mur de la dette ». Mais, depuis plus d’une vingtaine d’années, la Chine a prêté à pratiquement tous les pays africains pour sécuriser ses sources d’approvisionnements et conforter ses débouchés commerciaux. Elle l’a fait de son propre chef, de manière bilatérale ; le FMI et ses principaux actionnaires l’ont accepté. Á la différence de ce qui s’est passé au début du millénaire, tout nouveau plan d’annulations de dettes ne pourra se faire sans une implication totale de la Chine ; aucun chiffre n’ayant été rendu public par Pékin, ses créances seraient, selon certaines estimations de 150 Md$, plus d’un tiers de la dette publique totale africaine.

La Chine a déjà annulé la dette de certains pays, mais elle l’a fait de manière bilatérale, en dehors des règles collectives du Club de Paris. La procédure multilatérale est essentielle pour empêcher qu’un créancier obtienne des contreparties dolosives.

C’est peut-être un sujet de discorde. Mais ce sujet risque d’apparaître mineur face à l’étendue de la catastrophe économique résultant de cette pandémie venue de Chine aux tenant et aboutissants encore inconnus. Les interrogations sont nombreuses ne serait-ce qu’en examinant les dernières prévisions de croissance pour 2020, une baisse de 3 % du PIB mondial, avec notamment 7,5 % pour la zone euro, 5,9 % pour les États-Unis, environ 6 % pour l’Amérique latine…La Chine est un des rares pays à avoir une croissance positive avec 1,2 %... Même si ce taux est en retrait par rapport à la tendance des 6 %, l’écart positif en sa faveur va lui permettre d’accentuer sa puissance.

Il est grand temps de revoir les règles de fonctionnement de l’échange international pour qu’il soit aussi équitable que possible.


[1] Caroline PUEL « Les trente ans qui ont changé la Chine », Buchet Chastel, 2011

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