Pour être forte et partagée, la politique étrangère de l’Europe doit être fondée sur les valeurs qui l’ont inspirée<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'exprime lors d'un débat sur les attaques du Hamas contre Israël et la situation humanitaire à Gaza, au Parlement européen, le 18 octobre 2023.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'exprime lors d'un débat sur les attaques du Hamas contre Israël et la situation humanitaire à Gaza, au Parlement européen, le 18 octobre 2023.
©FRÉDÉRIK FLORIN / AFP

Diplomatie européenne

La politique européenne ne doit plus se contenter d’être le plus petit dénominateur commun des prises de positions des pays qui la composent, mais doit revendiquer ses valeurs, fortes et identifiables.

Sara Daniel

Sara Daniel

Sara Daniel est Grand reporter et éditorialiste à L’OBS.

Voir la bio »
Jean-Christophe Fromantin

Jean-Christophe Fromantin

Jean-Christophe Fromantin est maire de Neuilly depuis 2008, conseiller général des Hauts-de-Seine de mars 2011 à décembre 2012. Il est député de la sixième circonscription des Hauts de Seine depuis le 20 juin 2012. Il préside EXPOFRANCE 2025, l'association portant la candidature de la France à l'Exposition universelle qui a été officialisée par François Hollande fin 2016.

Au printemps 2016, il publie 2017 et si c'était vous pour inciter les Français à mettre leur talents et compétences au service de la France à l'occasion des législatives de 2017 : www.577.fr

Avant d'être élu, Jean-Christophe Fromantin a été pendant 25 ans entrepreneur dans le secteur du commerce international.

Voir la bio »

Gilles Mentré

Gilles Mentré est président d’Electis, et conseiller métropolitain (Paris XVIème) du Grand Paris. Il est l’auteur de Les deux pouvoirs : la démocratie directe au secours de la démocratie représentative (Gallimard, 2024) et de Démocratie – Rendons le vote aux citoyens (Ed. Odile Jacob, 2021).

Voir la bio »

La politique étrangère européenne a tout d’un fantôme. Lors du vote de la résolution présentée par la Jordanie au nom du groupe arabe à l’ONU sur la crise en cours à Gaza, qui appelle Israël au respect des obligations juridiques et humanitaires sans condamner le Hamas, les pays européens étaient on ne peut plus dispersés : huit ont voté pour (dont la France et l’Espagne), quatre ont voté contre (dont l’Autriche, la République tchèque et la Hongrie) et quinze se sont abstenus (dont l’Allemagne et l’Italie). Cette dissonance n’est que l’écho de la cacophonie qui avait suivie l’attaque terroriste barbare du 7 octobre, lorsque certains pays proposaient une suspension de l’aide à Gaza alors que d’autres réclamaient son renforcement. Olaf Scholz, Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen, pour ne citer qu’eux, se sont chacun rendu en Israël avec un message différent. 

Les crimes du Hamas, à la lumière des attentats islamistes qu’ont connus de nombreux pays européens, auraient dû provoquer un front uni. Il n’en a rien été, et les traditions diplomatiques des différents États membres européens, très éloignées les unes des autres sur ce sujet, ont repris le dessus. Au lendemain de la guerre de Soukkot, l’Europe, pour ne pas courir le risque de voir son influence encore s’étioler, doit absolument parler d’une seule voix, et proposer par exemple qu’une force de sécurité arabe à Gaza soit instaurée pour garantir la sécurité d’Israël, ce qui permettrait de sortir de réenvisager une solution à deux Etats.

La politique européenne ne doit plus se contenter d’être le plus petit dénominateur commun des prises de positions des pays qui la composent, mais doit revendiquer ses valeurs, fortes et identifiables.

Cette désunion se retrouve dans la plupart des grands enjeux internationaux. Face au projet de Route de la soie lancée par la Chine, les Européens ont formulé chacun leur réponse : la Grèce enthousiaste, l’Italie d’abord intéressée puis sceptique, la plupart des autres États, critiques. Après le coup d’État du Niger, on a vu l’Allemagne se démarquer rapidement de la France pour avancer ses propres pions. Tandis que le Maroc tend la main à l’Europe pour construire un partenariat euro-africain, nous n’avons toujours pas de position unie sur la question du Sahara occidental. Et si le soutien commun à l’Ukraine constitue une exception, cette unité a été le fruit de compromis fastidieux (on se souvient de la volonté de l’Allemagne et de la France de préserver un « canal de discussion » avec la Russie) et n’aurait pas existé sans les pressions et la volonté des Etats-Unis. 

Il est donc urgent de fonder une nouvelle politique étrangère commune si nous voulons continuer d’exister sur la scène internationale. Pour être audible, celle-ci doit être adossée sur les valeurs mêmes de la construction européenne. L’Europe a été la plus grande initiative mondiale en faveur de la paix depuis 1945. Les principes qui devraient guider notre action commune en découlent : soutien privilégié aux démocraties face aux dictatures, priorité donnée au droit international et aux institutions multilatérales, humanisme et universalisme. Cette Europe des valeurs ne pourra exister que si elle revendique ses racines et son histoire, sinon les valeurs seront de plus en plus évanescentes et soumises au vent des émotions. Mais si elle veut être entendue, cette Europe-valeurs doit aussi être une Europe-puissance. La construction de la souveraineté européenne, énergétique, industrielle, alimentaire, technologique, et militaire en est le complément indispensable. 

Pour être efficace, la politique étrangère commune doit prévaloir sur l’ensemble des relations extérieures de l’Union européenne. Il n’est ainsi pas admissible que l’UE déclare son soutien à l’inviolabilité des frontières arméniennes, sans dénoncer dans le même temps l’accord gazier qui la lie à l’Azerbaïdjan. De la même manière, la coopération et l’aide humanitaire doivent être au service de la politique extérieure de l’Union – or on a souvent le sentiment qu’elle en est indépendante, comme l’a montré le débat confus sur l’aide humanitaire aux Palestiniens. Pour garantir le fait que toutes les politiques extérieures européennes aillent dans le même sens, le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (le « Ministre des affaires étrangères » de l’Europe) doit voir ses compétences élargies pour pouvoir arbitrer au sein de la Commission sur toutes les questions internationales. Il devra agir en lien étroit avec la commission des affaires étrangères du Parlement européen, qui en constituera l’instance de contrôle. 

Dans un monde de plus en plus polarisé entre la super-puissance américaine, d’une part, et ce qu’on nomme désormais le « Sud global », l’Europe a un rôle historique à jouer. Qui, mieux que notre continent marqué par l’Histoire, sait que les surenchères nationalistes, religieuses ou identitaires peuvent conduire au désastre ? Qui, mieux que l’Union européenne à vingt-sept, demain peut-être à trente-cinq, sait à quel point le dialogue est laborieux mais toujours fructueux, et qu’une gouvernance supranationale est possible ?  Qui, mieux que l’Europe qui a vu naître la démocratie, les Lumières et l’État de droit, et à qui « une expérience de décennies liées à son histoire passée avec le monde, à l’histoire coloniale et à tous les conflits qui lui donne une forme de sagesse » (Amin Maalouf), est capable de proposer une alternative à la Realpolitik des puissances ? 

Jouer un tel rôle sur la scène internationale ne relève pas de l’idéalisme. Il sera d’autant plus crédible que l’Europe aura construit les conditions d’une plus grande autonomie. Nous devons continuer à consolider notre souveraineté, grâce à une nouvelle politique énergétique, une réindustrialisation massive, un investissement commun dans les technologies et une poursuite de la politique agricole commune. Sans parler bien sûr de notre politique commune de Défense. Ainsi comment comprendre, malgré les dangers qui nous menacent, que la gestion des affaires militaires demeure une prérogative nationale, trente ans après le lancement du marché unique ? La coopération en matière de Défense reste l’exception en Europe, comme l’a encore démontré la récente initiative de bouclier stratégique antimissile européen qui débutera sans la France et l’Italie…Il semble qu’il y ait un véritable manque de confiance entre les États membres sur ces sujets, malgré nos déficiences en matière d’armement et la nécessité impérieuse d’une coopération militaire révélée par la guerre en Ukraine.

Mais cette nouvelle Europe-puissance ne sera audible que si elle est aussi une Europe porteuse de valeurs. La construction européenne, par son histoire et sa raison d’être, est un modèle unique pour éviter le choc des civilisations.  

Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine, candidat aux élections européennes (liste transpartisane « Notre Europe »)

Gilles Mentré, conseiller métropolitain (LR) du Grand Paris, ancien diplomate, candidat aux élections européennes (liste « Notre Europe »)

Sara Daniel, Grand reporter, éditorialiste à l’OBS

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !