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Porte de la Chapelle : pourquoi le 35e démantèlement des campements de migrants n’empêchera pas leur retour
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Tonneau des Danaïdes

Cette semaine a eu lieu le 35e démantèlement en deux ans d'un camp de migrants à Paris. L'absence de réponses concrètes du gouvernement n'arrangera pas la situation.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Cette semaine a eu lieu le 35eme démantèlement d'un camp de migrants à Paris, Porte de la Chapelle. Lors du précédent démantelement, le 7 juillet dernier, il n'avait fallu qu'une journée pour en voir 150 nouveaux arriver au même endroit. N'est-ce pas un signe d'impuissance du gouvernement Macron face à la question migratoire ?

Guylain Chevrier : C’est effectivement la 35e opération de ce type en 2 ans dans la capitale ! 2000 migrants viennent d’être pris en charge après les 2800 de début juillet. On a pour cela réquisitionnés 18 gymnases en Ile de France selon l'Office français d'immigration et d'intégration (Ofii). Une évolution qui tourne à la folie. L’installation d’un centre d’hébergement humanitaire à la Chapelle, en novembre dernier, de quelques centaines de places, a joué son rôle attendu d’appel d’air, qui ne cesse de se confirmer, avec l’arrivée d’environ 50 migrants nouveaux par jour sur le site. Une situation intenable dans ce quartier en termes d’hygiène et de sécurité, dont les migrants savent bien qu’elle ne peut durer longtemps passé un certain niveau de regroupement, donnant lieu à la nécessité d’y mettre fin. L'opération a été menée par les services préfectoraux, l’Ofii, la ville de Paris et la présence des associations humanitaires de soutien aux migrants.

Les migrants de la porte de la Chapelle sont des Afghans, Soudanais, Somaliens, Erythréens, rien à voir avec la Syrie. De surcroit, ces pays ne connaissent rien de nouveau qui justifierait qu’ils émigrent vers les pays développés comme réfugiés. Ils ne le sont pas d’ailleurs, pour l’essentiel, ce qui est souligné par le fait que nous n’ayons affaire pratiquement qu’à des hommes, marqueur d’une immigration économique.

Cette situation témoigne d’une politique migratoire du gouvernement précédent marquée par le laxisme, pour beaucoup sous l’influence de l’Union européenne qui a joué la carte, à tous crins, de l’accueil humanitaire comme seule pensée politique. L’Allemagne elle-même en est revenue depuis, mais dont elle a ouvert les vannes avec un président de la République française suiviste. C’est ce qui a favorisé l’enracinement massif en Europe d’une immigration irrégulière économique, avec des migrants se donnant pour légitimité le statut fallacieux de « réfugié ». La circulaire Valls de 2012 n’a rien arrangé, puisqu’en donnant un droit à régularisation pour tout étranger qui peut prouver cinq ans de présence sur le territoire, sous certaines conditions, elle incite plutôt les migrants à venir en France et à y rester bien qu’en situation irrégulière. Ce qui est venue s’ajouter à l’existence d’un droit à régularisation au bout de 10 ans, toujours en vigueur. On attend de voir ce que va véritablement entreprendre ce gouvernement pour tenter d'endiguer cette montée en puissance d’une immigration devenue hors-norme et hors cadre.

Les mesures annoncées jusqu'à présent (hotspots, raccourcissement des délais de traitement des demandes d'asile...) pour réguler les flux migratoires semblent assez floues. Que peut-on en attendre à plus long terme ? 

Pas grand-chose, si on reste sur la même trajectoire des réponses actuelles à un phénomène auquel il est impérieux de mettre un feu rouge. Le gouvernement promet que la situation administrative des migrants de la Chapelle fera l’objet d’un « examen complet et approfondi » pour les orienter, et dit vouloir faire « un tri » entre « réfugiés politiques » et « migrants économiques ». Mais ceci n’aura d’effet que si des mesures coercitives dissuasives existent. La loi ne peut être respectée sans sanctions, comme signe clair que la France en saurait devenir une sorte de squat géant. En 2016, les deux tiers des demandeurs d’asile déboutés sur les 100.000 demandant ce titre sont restés en France en situation irrégulière. Ils représentent plus de la moitié des « sans domicile fixe » dans notre pays. Ce sont 91.000 étrangers en situation irrégulière qui ont été interpellés en 2016, selon Edouard Philippe, et seuls 31.000 se sont vus délivrer une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ils sont moins de 25.000 à l’avoir fait, dont ceux qui y sont financièrement aidés par différents dispositifs de retour qui coûtent cher à la France. Seulement 13.000 y ont été réellement contraints. On est loin du respect de la loi et du discours de ceux qui veulent faire passer pour des racistes les observateurs rigoureux qui s’inquiètent de cette montée de la présence immigrée irrégulière massive en France. Rien de ce que prévoit le gouvernement ne laisse envisager une amélioration de la situation, et certainement pas la création des 12.000 places d’accueil de son « plan-migrants ». Réduire les temps d’instruction des dossiers en matière de droit d’asile, pour fluidifier le traitement des situations individuelles, reste une grande illusion si ceux qui en sont déboutés restent malgré tout. Ce ne sera jamais le socle de la maitrise d’une situation migratoire pour laquelle il faut voir les choses tout autrement.

Tout d’abord, il faut arrêter de donner à la dimension humanitaire la primauté sur la réponse politique, celle de l’Etat, de l’intérêt général qui est aussi celui des migrants qui respectent la loi. Ils n’ont aucun intérêt à ce que la France disperse ses moyens dans un accueil inconditionnel qui n’offre à l’horizon rien de viable pour personne. Les associations humanitaires doivent pouvoir jouer leur rôle, mais dans le cadre du respect d’une politique que l’Etat maitrise. Elles militent essentiellement pour un accueil inconditionnel comme le souligne leur refus que le gouvernement puisse faire le tri entre les réfugiés bénéficiaires du droit d’asile et les migrants économiques. Suivant leur logique, elles rejettent la proposition du gouvernement pourtant déjà problématique, de la création de plus de 12.000 places d’accueil, jugées insuffisantes. Mais ont-elles simplement réfléchi où pourrait nous mener le fait de ne pas fixer de limites ? On voit bien là l’impasse de l’humanitaire face à la responsabilité de la question politique des flux migratoires. En témoigne le cercle vicieux de ce qui se passe à Calais, où les associations de défense des migrants ont reçu le soutien du Conseil d’Etat qui a accédé à leur demande de création de points d’eau, de sanitaires, à titre humanitaire, pour les candidats-clandestins au départ pour l’Angleterre, contre l’avis même du ministre de l’intérieur et des élus locaux, créant toutes les conditions de la re-création d’une jungle, que ces mêmes associations avaient dénoncée. La politique migratoire se fait sous l’injonction humanitaire, le nez sur le guidon de bons sentiments qui sont respectables, mais ne peuvent fonder aucune politique raisonnée sur ce sujet.

Les associations de soutien aux migrants sont essentiellement  pour la fin des frontières, comme France Terre d’Asile qui ne s’en cache pas. Mais si la France reçoit autant de migrants c’est parce que l’on sait qu’elle protège mieux qu’ailleurs, donne des libertés et des droits qui n’ont rien à voir avec ce qu’ils connaissent dans leur pays d’origine, selon des lois qui s’exercent sur son territoire, et pas ailleurs, précisément. Quel sens peuvent avoir pour les migrants irréguliers ces droits et libertés, si c’est d’abord en les contournant qu’ils y accèdent ? Défendre un droit d’asile et d’accueil respectueux des lois de la République, serait bien mieux pour aider les migrants. Ils risquent sinon un jour, d’essuyer les plâtres de cette politique laxiste par leur rejet en bloc, voire des réactions racistes face à cette fuite en avant migratoire dont on refuse de reconnaitre les problèmes, les dangers, pour la gérer autrement.  

Les migrants sous statut Dublin devraient être renvoyés au pays européen où ils ont été enregistrés lors de leur arrivée. L'absence de frontières au sein de l'Europe ne rend-elle pas cette mesure complètement obsolète? Comment empêcher un migrant renvoyé en Grèce de revenir tenter sa chance juste après?

Surtout, dans la réalité, elle ne fonctionne pas ! Ils étaient selon les sources gouvernementales 22.500 en France en 2016, et sont pratiquement tous restés sur notre sol. Le Premier ministre constatait récemment lui-même qu’ils représentaient 70% des demandeurs d’asile de l’Ile de France aujourd’hui, pour affirmer qu’ils auraient effectivement vocation à retourner dans le pays où ils ont fait leur première demande… Des demandes rejetées qui les ont poussés à venir en France, qui est de plus en plus avec sa politique d’accueil d’un autre temps, un cul-de-sac des migrations européennes irrégulières. C’est bien ce que met à jour le camp permanent de la Chapelle, tout autant que la réinstallation des mêmes à Calais. Les « accords du Touquet », qui font des Français les garde-frontières des Anglais, sont symptomatiques de cette situation.

L’inexistence de frontières à l’intérieur de l’espace Schengen, crée les conditions que l’arrivée des migrants par la mer, soit la voie la plus sûre pour ensuite pouvoir circuler sans encombre en Europe. C’est vrai pour l’accès à la France à partir de l’Espagne, de l’Italie, de l’Allemagne, de la Belgique, que l’on oublie un peu trop vite comme espace de transition vers Calais par exemple. Si on contrôle la frontière italienne, ce n’est que par une autorisation de l’UE censée s’éteindre en novembre prochain, alors que la pression migratoire s’intensifie sur la côte méditerranéenne occidentale. Une autre pression est aussi celle des associations humanitaires qui mènent une véritable guerre idéologique contre les contrôles des migrants. Il existe un système interne propre aux migrants, d’orientation et de facilitation à se faire prendre en charge, très bien huilé, qui devrait être mis en cause, au lieu de faire dans l’angélisme.

Que faire ? Alors que le problème du retour des migrants dans le pays de leur première demande ne garantit nullement qu’ils seront pour autant reconduits par ce dernier dans leur pays d’origine, et qu’ils ne se représenteront pas une nouvelle fois à la Chapelle, entre autres ?  C’est d’autant plus vrai, que la politique de reconduite des migrants irréguliers vers leurs pays d’origine dépend de « laissez-passer » consulaires de ces derniers, délivrés selon leur bon-vouloir, avec parcimonie. Ce cas des migrants sous statut de Dublin est exemplaire de ce que révèle de failles, la politique migratoire actuelle de la France et de l’UE. Il alerte aussi sur la fuite en avant qui s’annonce si rien de sérieux n’est fait en termes de choix politiques courageux et responsables, aux antipodes d’une vision purement humanitaire qui nie les frontières et les exigences réelles de l’accueil et de l’intégration des populations migrantes, enjeu vital pour les pays développés, dans un contexte de bien des périls.

Nous sommes face à une situation qui se dégrade, à la mesure d’une politique d’accueil pensée avec les idées des années 80. Nous ne sommes plus du tout face à la même réalité, que ce soit au regard des causes ni du nombre. Sans avoir une vision plus globale des choses, nous ne pouvons trouver les ressorts pour tarir le phénomène auquel nous assistons qui ne peut durer, on le sait, à moins de laisser s’installer des déséquilibres aux conséquences incalculables, sociaux, politiques, religieux. Nous sommes, depuis le démantèlement du pouvoir politique en Irak qui a suivi la première guerre du Golfe, dans une séquence historique nouvelle, redonnant l’initiative à l’intégrisme religieux et son versant islamo-fasciste, qui nourrit les conflits partout jusqu’à la guerre en Syrie, avec un Printemps arabe en intervalle qui a mis en fuite des pouvoirs arbitraires mais qui reste inabouti, ce qui a déstabilisé des aires géographiques multiples, dont une Afrique qui n’en finit pas de se chercher. Une situation qui a créé de nouvelles migrations de réfugiés, en donnant aussi un nouveau prétexte de taille à une immigration économique déguisée. La mondialisation n’y est pas pour rien, rendant légitime la mise en concurrence des peuples, banalisant celle des individus ramenés à valeur de marchandise, mis sur le même plan que la circulation sans frontière des capitaux. 

Le laxisme a dominé la politique des gouvernements qui se sont succédés depuis vingt ans, parce que ne sachant ou ne voulant pas prendre le problème avec une volonté de repenser l’action publique selon une vision d’ensemble, seule capable de proposer une lecture cohérente et donc justifiable, légitime, d’une politique migratoire ferme et juste.  Elle passe par faire respecter la loi, qui seule peut dissuader les migrants uniquement motivés par l’aspect économique de se projeter dans les pays développés comme le notre, sans que des besoins et des accords avec les pays d’origine ne le justifient. Elle passe par sanctionner économiquement les pays d’origine qui font fi de l’aide au développement, qui doit devenir un donnant-donnant sur ce plan, qui ferment les yeux sur le départ de centaines de milliers de leurs ressortissants, pour mieux ne pas avoir à répondre à leurs besoins. Elle passe par une politique de re-stabilisation des flux migratoires autour de critères objectifs, en réduisant par la diplomatie voire le rapport de forces si nécessaire, les situations de guerre ou d’instabilité politique qui sont liées à cette histoire. L’ONU a ici un rôle central à jouer pour réguler les effets de la mondialisation libérale, mais aussi tout particulièrement l’Europe qui ne saurait être qu’une simple succursale du marché, où un répartiteur de migrants hors contrôle. C’est à ce prix que pourra se définir une politique migratoire responsable, ce qui commence par en donner l’exemple en France. Il faut reprendre le jeu en main, pour que les conditions d’une entrée régulière des migrants devienne prépondérante dans l’esprit du temps, qui seule offre une intégration sociale mais aussi politique, conforme à l’intérêt de tous et du pays

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