"Politique de la ville" : un aveuglement systémique de la Ve République<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Gérald Darmanin lors d'une visite dans les Hauts-de-France, à l'hôtel de ville de Denain, le 11 avril 2022.
Emmanuel Macron et Gérald Darmanin lors d'une visite dans les Hauts-de-France, à l'hôtel de ville de Denain, le 11 avril 2022.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Projets politiques

Instaurée dans les années 1970, la « politique de la ville » n'a pas permis d’enrayer les problèmes rencontrés dans les banlieues.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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"Aux Aubiers, le nouveau préfet tâte le terrain" dit le quotidien local début février. "Quartier de reconquête républicaine" depuis 2018, Les Aubiers - 1 300 logements, 4 000 habitants - est l'une des plus lugubres zones hors-contrôle de Bordeaux où, de maire libéral-techno en maire écolo-bobo, une criminalité explosive a succédé à une douce quiétude.

"Tâter le terrain", pour le nouveau préfet, c'est ceci : "Quartier le plus pauvre de la ré­gion Nouvelle-Aquitaine... améliorer la vie des personnes... faire revenir les services pu­blics... Des milliers d'habitants ont besoin que les pouvoirs publics fassent des choses utiles pour eux...". Au préfet succèdent les usuelles pleureuses : ah lala ! La vie est dure... Tous ces "jeunes désco­larisés difficiles à approcher... Des mineurs avec des comportements d'ado­lescents qui trou­blent un peu la tranquillité du voisinage"... Quartier déstabilisé depuis la mort du petit Lio­nel (tué par qui ?) et l'incendie du bureau de poste (brûlé par qui ?). Mais tout s'arrange ! Ba­guette magique : la rénovation urbaine... 100 millions d'euros... Plus de cent opérations-loge­ment... Restructuration des espaces extérieurs... Construction d'un groupe scolaire... Nouveau centre d'animation.... Salle polyvalente et jardins familiaux...

Misérabilisme plus projets pharaoniques : ce discours vous dit quelque chose ? Bien sûr : par­tout en France, on l'a déjà entendu mille fois, depuis 1983 (pile qua­rante ans...), quand le pré­sident Mitterrand arrivait aux Minguettes à Vénissieux. Déjà et toujours ensuite, revient le sempiternel discours du socialiste Gilbert Bonnemaison : jamais depuis, sous la Ve République, nul n'a récusé l'initial projet. Sans trêve après coup, MM Chirac, Sarkozy, Fillon etc. ont remis une pièce dans la boîte à musique, pour la même ritournelle ; la facture totale (côté pharao­nique) dépassant depuis lors les 100 milliards d'euros.

Dès l'arrivée de M. Bonnemaison dans le paysage, le projet politique était clair : récupérer les "quartiers perdus" dans le giron républicain et (alors) liquider l'émergent Front national. En 1981-83, les pires zones de non-droit étaient une ving­taine ; à Marseille, certaines déjà jugées "en sécession" - mot terrible - par des élus socialistes locaux. Quarante ans après (dit le Ren­seignement territorial), les pires de ces quartiers sont plus de deux cents. Voici peu encore, une émeute éclatait aux Min­guettes, cité sur laquelle, en quarante ans, a plu tout ce que le préfet précité pro­met aux Aubiers, pour un résultat final strictement sem­blable.

Un échec aussi colossal et abject est sans exemple sous toute la Ve République.

Résultat prévisible : il adviendra, comme lucidement décrit voici peu par un journaliste de La Provence, à pro­pos du coupe-gorge de La Bricarde. Lisons-le de près, tout y est dit en quatre lignes : "Christine a observé la dégradation pro­gres­sive de son cadre de vie. En première loge, elle a assisté aux déménagements des anciens ou­vriers accédant aux classes moyennes... Les associations et militants se sont épuisés, assé­chés par les autorités. Le chô­mage a galopé ; le trafic, pris ses aises ; puis les trafiquants, le pou­voir". Seule amélioration du cadre de vie : grâce à des préfets comme celui de Bordeaux, ces trafiquants habitent désor­mais de rutilantes résidences. Mais côté crime, homicides ou stupéfiants, tout pareil.

M. le préfet ignore - comment le saurait-t-il, des sujets si vulgaires et périlleux n'ac­cédant pas aux nobles programmes de l'ENA ou analogue - que dans une zone hors-con­trôle comme les Aubiers, la Bricarde ou Les Minguettes, la vie des habitants est régie par la loi du plus fort ; la vie économique, par les trafics, stupéfiants en tête. Les fortunes amassées par ce trafic y cor­rompent le social, le culturel et la vie des familles. Les caïds - vraies puissances lo­cales - y "sé­duisent" désormais aisément des élus locaux hypnotisés par le fric et la pro­chaine élection.

Des quartiers privés de tout, où la misère génère le crime ? Sur le terrain, tous - policiers et ma­gistrats en tête - s'amusent du piteux bo­bard. Voici Lyon, sa zone hors-contrôle de La Du­chère, 12 500 habitants, et ses supermarchés de la drogue, "Barre Sakharov" en tête. On y trouve des espaces verts... Le Parc du Vallon... Des transports en commun... Des crèches, écoles et collèges... Une bibliothèque... Des stades... Une pis­cine, l'été. Lisons la presse locale : "Beaucoup de barres [d'immeubles] ont disparu, pourtant la sécurité ne s'y est pas améliorée, loin de là"... 1 700 logements sociaux démolis de 2003 à 2015... Réhabiliter une seule barre coûte 19 millions d'euros.

À Reims, ville de droite libérale, la "Politique de la ville" échoit à un dirigeant de l'Ar­mée du salut : autant confier l'antimafia sicilienne à un garde-champêtre. Le brave homme ne sait où se fourrer : "On vit dans un quartier où il y a de nombreux jeunes, où il y a de la vie..." Hélas ! Le coupe gorge a une image "un peu négative à cause des écarts de com­portement qui peu­vent arriver". L'intéressé parle d'un secteur où naguère, un journaliste est laissé à demi-mort (avec lourdes séquelles) par un criminel clandestin et où, en dé­cembre 2022 encore, éclate une guerre entre gangs (Orgeval contre Croix-Rouge) avec incen­dies et tirs de mortiers sur la po­lice. Là aussi, piscine rénovée... gros travaux au stade... Mais à La Duchère, Orgeval ou à Croix-Rouge, toujours pas de sécurité pour les habitants.

Enfin, cette question pour le préfet de Bordeaux : dans la Creuse, dans les Ardennes ou dans le Cantal, combien de villes de 12 500 habitants jouissent d'un tel luxe de services ? Et dans cette France profonde, tire-t-on à l'arme de guerre sur la police ? S'y vend-il des tonnes de cocaïne ? Y fomente-t-on des émeutes ?

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