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Politesse à la française : et si ça nous venait de la Révolution ?
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Très distingués

Les bonnes manières sont une véritable exception culturelle française. Claude Habib et Philippe Raynaud reviennent sur la rupture révolutionnaire et l'avènement de la démocratie qui ont permis leur émergence. Extraits de " Malaise dans la civilité ?" (2/2).

Claude Habib et Philippe Raynaud

Claude Habib et Philippe Raynaud

Claude Habib est professeur de littérature française du XVIIIème siècle à l'université Sorbonne Nouvelle, essayiste et romancière. Elle est notamment l'auteur de "Galanterie française" (Gallimard, 2006).

Philippe Raynaud est professeur de science politique à l'université de Paris-2 Panthéon-Assas et membre senior de l'Institut Universitaire de France. Il enseigne aussi à l'Institut d'études politiques de Paris. Il a codirigé le "Dictionnaire de philosophie politique" (PUF, 2003).

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Au XVIIIème siècle, les discussions françaises sur la politesse et la civilité se développent dans un cadre général cohérent, qui lie deux questions distinctes : celle des relations entre les différentes nations européennes, notamment la France et l'Angleterre, représentant deux modèles alternatifs de progrès politique, celle de la valeur de ce que l'on commence à appeler la civilisation. La France n'est pas seulement civile, elle est polie, mais cette politesse" est pour beaucoup le masque brillant de la corruption et de l'absence de liberté politique et, inversement, la (relative) rudesse des mœurs des Anglais est peut-être l'effet de ce qu'il y a de "républicain" dans leur régime.

Les termes de cette discussion, dans laquelle s'inscrivent tous les grands noms du siècle, Montesquieu, Voltaire, Hume, Diderot, vont être profondément modifiés par la critique rousseauiste qui, tout en reprenant en partie les arguments "anglais" contre la civilité française, vont les réinscrire dans un procès général contre la civilisation - les manières françaises et le "commerce" anglais des affaires étant les deux modes complémentaires du développement de l'artifice et du règne de l'amour-propre. Le XIXème siècle est le moment d'une redéfinition générale de cette problématique, qui est provoquée, d'un côté, par la rupture révolutionnaire en France, et, de l'autre, par l'avènement de la démocratie - où la Révolution n'est pas la seule cause à l’œuvre, car l'expérience américaine, connue dès l'époque révolutionnaire grâce au témoignage d'émigrés comme Talleyrand et Chateaubriand, joue aussi un rôle majeur. C'est cette transformation que je tenterai ici d'éclairer à partir de la confrontation entre la France et l'Amérique, telle qu'on peut la comprendre à travers les exemples de Stendhal et de Tocqueville qui représentent deux manières opposées de recomposer l'imaginaire français.

Les termes de cette discussion apparaissent dès l'époque de la guerre d'indépendance, avec les ambassades de John Adams et de Benjamin Franklin, et elle se poursuit tout au long du développement des difficiles relations entre les deux jeunes républiques, mais elle prendra sans doute sa forme définitive avec les séjours américains des exilés ou des émigrés. Pour Chateaubriand, émigré en quête de liberté politique malgré la révolution et successeur paradoxal de Rousseau, l'Amérique est à la fois la nouvelle république vertueuse, avec Washington comme Cincinnati, et le pays où le Sauvage incarne une forme de noblesse primitive.

Pour Talleyrand, héritier sceptique et quelque peu corrompu des Lumières, les Etats-Unis sont une république modérée, qui a réglé le problème religieux grâce à la multiplicité des sectes, mais qui est par ailleurs terriblement ennuyeuse, du fait précisément de ses manières rustiques et vertueuses, qui sont l'exact contraire de la politesse française : "trente religions, un seul plat". A ces lieux communs français (l'expression n'est pas péjorative dans ma bouche), qui expriment du reste plus l'ambivalence que l'hostilité, correspondent des thèmes américains qui ne sont pas moins forts, et qui datent en fait de la guerre d'Indépendance, dans laquelle des Anglais ont dû s'allier à la France pour devenir Américains.

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Extrait de "Malaise dans la civilité ?" Tempus Essai (août 2012)

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