Plongée au cœur de la lutte contre le terrorisme au Sahel à travers les missions des groupes de commandos marine<!-- --> | Atlantico.fr
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Un soldat français mobilisé dans le cadre de l'Opération Barkhane.
Un soldat français mobilisé dans le cadre de l'Opération Barkhane.
©MAIMOUNA MORO / AFP

Bonnes feuilles

L’ouvrage « Forces spéciales et unités d'élites, au cœur de leurs émotions » est publié sous la direction de Teddy Palassy aux éditions Solar. 15 opérateurs des meilleures unités militaires et des forces de l'ordre françaises ainsi qu'un ex-otage du Bataclan témoignent. Réussir une mission périlleuse a fait partie de leur quotidien ainsi que leur devoir. Extrait 2/2.

Teddy Palassy

Teddy Palassy

Teddy Palassy est un ancien membre des forces spéciales. En parallèle de son nouveau métier, il décide, avec l’aide d’anciens opérateurs comme lui, de créer l’association "Forces Spéciales Coaching". Son but : préparer physiquement, moralement et intellectuellement de futurs candidats pour les unités du commandement des opérations spéciales, mais aussi de la police, gendarmerie, pompiers ou pour des métiers de la sécurité.

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Forces Spéciales Coaching

Forces Spéciales Coaching

Forces Spéciales Coaching est la seule association à avoir réussi à réunir des opérateurs d’autant d’unités différentes. Ce positionnement unique lui permet d'attirer des milliers de personnes en recherche d'optimisation physique et mentale pour développer leur efficacité opérationnelle.

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Depuis plusieurs jours, malgré les étirements après les séances de sport, je sens qu’une partie de mon dos refuse de s’assouplir et demeure contractée. Il s’agit d’un tout petit muscle qui relie la pointe de mon omoplate à ma colonne vertébrale. Malgré les massages, baumes et traitement locaux, rien n’y fait. Je commence à com‑ prendre que ce muscle n’a pas été « choqué » lors d’une séance de sport, mais que c’est un voyant de cockpit qui s’allume discrètement, mais de façon distincte, pour m’envoyer un message. Je l’interprète comme l’expression de l’état de mon inconscient. Un stress profond devait probablement générer ce blocage inconscient. Stress de quoi ? Je ne sais pas. Mais il était bien là.

Je suis chef d’un groupe de commandos marine d’une dizaine d’hommes. Nous sommes déployés, avec mon groupe, depuis quelques semaines dans le Sahel. L’océan breton de notre maison mère Lorient a laissé place à de grandes étendues de sable et de rochers.

La rythmique de notre déploiement se passe bien, nous enchaînons les missions plus ou moins intenses. Nous suivons une routine quotidienne d’exercices physiques, d’entraînements en groupe et, parfois, d’une manœuvre en hélicoptère. Le rythme des missions est irrégulier mais l’une d’elles commence à poindre à l’horizon. Il s’agirait peut-être de l’interception d’un groupe de combat adverse.

Les infos sont diffuses, comme souvent. Nous ne savons pas combien de personnels sont en face, ni comment ils sont équipés. On me parle de motos et de pick-up, mais l’officier renseignement ne s’aventure pas trop à aller plus loin. Je fais régulièrement des allers[1]retours pendant la journée dans le centre opérations pour suivre les activités de nos forces sur le terrain et essayer de deviner si nous allons être engagés. Le soir, nous nous délassons dans les canapés de fortune que nous avons fait fabriquer dans le camp, autour d’une bière locale et de quelques cacahuètes salées.

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Au moment où une nouvelle mission nous est attribuée, avec pour objectif un groupe de probables djihadistes qui navigue dans le désert, ma contracture s’estompe, et la mécanique de préparation prend le dessus  : préparer l’équipement, organiser le groupe, anticiper un briefing et consulter les pilotes pour les trajectoires, les zones de poser et la capacité d’emport qu’ils nous offrent.

Toute cette petite musique occupe tout mon esprit jusqu’à l’arrivée sur la zone d’action ou je ne distingue que des petits arbustes, plantés dans le vaste désert sahélien. Une fois l’hélico posé et le nuage de poussière estompé, je lance une poignée d’ordres, et la progression vers nos adversaires invisibles commence.

Rapidement, les premiers tirs fusent parmi les branchages. Nous accrochons quelques terroristes que nous arrivons à vaincre. Tout mon esprit à ce moment est tourné vers la sécurité de chacun de mes hommes.

La tension est palpable. C’est une tension particulière. Lorsque nous sommes arrivés dans cette forêt, nous étions fraîchement reposés et concentrés. Mais dès les premières rafales, la tension devient bien plus épaisse. Une tension dont on ne peut pas se défaire, au risque de commettre une erreur d’attention. Les responsabilités s’enfoncent sur mes épaules comme deux enclumes. Il n’y a plus de doute, l’ennemi est là, il nous attend.

Mon esprit ralentit, j’entre dans un état d’hypervigilance que je reconnais, mais que je ne contrôle pas. Mes yeux, mes oreilles, ma peau, augmentent soudainement leur sensibilité dans cet environnement où je ne vois pas plus loin que 5 à 10 mètres. Le scénario du blessé ami tourne en boucle dans ma tête à chaque mètre franchi. Je récite la petite litanie avec laquelle les instructeurs me tannaient pendant les cours de combat à l’école commando : « Et ici, s’il y a un blessé, comment est-ce que tu vas pouvoir manœuvrer ? Qu’est-ce que tu fais ? Quelles vont être tes priorités ? » Elle me garde en alerte et me rassure. J’ai l’impression de savoir quoi faire en cas de pépin.

Nous serpentons autour des arbustes et gros buissons à la recherche de nos ennemis. La chaleur du jour aveugle les senseurs des hélicos qui ont du mal à observer la zone.

Nous avons progressé d’une centaine de mètres quand nous rencontrons notre premier point dur. Des coups claquent un peu partout autour de chacun de nous. Nous répliquons hardiment pour reprendre l’ascendant sur l’adversaire que nous ne voyons pas. Nous avons seulement localisé l’angle de départ des tirs de la kalachnikov qui nous arrose copieusement. J’encourage les gars à la radio à bien se planquer et à appliquer des feux sur notre nouveau contradicteur.

Je m’attends à recommencer la progression rapidement. Mais en dépit de nos efforts, le combattant en face tient bon. Je décide de nous figer car le terrain ne se prête pas à un contournement. Je demande l’appui des tireurs d’élite depuis leurs hélicoptères Gazelle. Puis nous sollicitons le canon de 30 mm du Tigre, après avoir copieusement arrosé la zone au 40 mm de nos fusils lance-grenade et de grenades à main. Tout y passe. Rien n’y fait. À chaque fois, le tireur embusqué réplique, comme pour nous narguer.

Je propose à l’autre groupe de commandos de l’air (CPA 10) de monter à l’assaut à son tour. La scène est ralentie, j’entends les tirs qui résonnent autour de moi, des opérateurs qui se hèlent entre eux, je distingue le vrombissement des hélicoptères qui tournent autour de la zone. Les opérateurs enjambent lentement les quelques mètres face à l’ennemi. La radio craquette à mes oreilles mais je ne l’entends plus. Je me souviens alors de mon dos, de ma contracture qui a disparu depuis que je suis sorti de l’hélicoptère. Je me sens en retrait de la scène tandis que le temps me paraît presque à l’arrêt.

Je sors de cette torpeur avec les tirs des CPA 10 qui craquent à quelques dizaines de mètres de nous. Ils se feront repousser une nouvelle fois. Nouvelle salve de tirs d’appui. Nous lançons encore quelques grenades. Enfin, après de longues minutes d’échanges de tirs, nous monterons de nouveau à l’assaut de notre ennemi invisible pour découvrir un corps recroquevillé au cœur d’un buisson très dense. Nous nous mettrons à trois pour l’extraire de son sarcophage végétal plus tard.

Les annonces à la radio d’autres points chauds devant nous épaississent la tension dans mon esprit. Je sais que tout le monde est dans un état semblable autour de moi. Un tir dans un buisson presque au niveau de mes pieds me fait bondir. Je me souviens avoir fait un mouvement de menton sur le côté en me disant que je l’ai échappé belle quand je comprends qu’il s’agit du tir d’un de mes opérateurs à mes côtés. Calibrée en 7,62 mm, sa gerbe est belle et le claquement bien sonore. Il a fait un tir de semonce par réflexe lorsqu’il a pensé distinguer une ombre ennemie dans le feuillage. Décidément, nous sommes tous à fleur de peau !

Après la fouille de quelques buissons et un dernier échange de tirs avec un adversaire que nous arriverons à faire prisonnier, ma tête continue de vibrer, avec les échanges d’informations et la prise en compte des différentes situations. Avec l’arrivée de la nuit sur zone et une fois la menace réduite, mon état d’hypervigilance s’estompe au profit de la coordination d’un ballet de drones et d’hélicos pour préparer la récupération.

Je prends conscience que cette nuit qui nous enveloppe m’apaise et me ramène à mes classes, à Lorient.

Lorsque j’avais entamé ma formation commando, la nuit était source d’angoisse et de peur. La perte de repères visuels, le froid, l’obscurité et les bruits inquiétants de la forêt au début des exercices de topographie, durant lesquels j’étais plongé, seul, au milieu de la campagne bretonne, me stressaient au plus haut point. J’avais peur de me perdre, de ne pas réussir l’exercice, de me blesser. L’absence de bruit dans les villages ou sur les routes contribuait à me faire sentir seul et oppressé.

Puis, progressivement, j’ai pris l’habitude de m’immerger dans cette mer noire et enveloppante au point d’en devenir familier, comme une vieille amie que l’on retrouve. J’apprendrai à en faire mon alliée de choix, préférant les opérations de nuit aux opérations de jour. Et, comble de la situation, je veillerai à distiller cette même peur nocturne dans le cœur de nos adversaires à chaque fois que l’occasion me sera donnée. Comme cette fois où nous saisirons un ennemi dans son sommeil, provoquant chez lui une expression de terreur à la vue soudaine de grandes masses noires interrompant ses rêves.

Je retrouve le sourire en observant les étoiles d’une voûte céleste splendide entre deux comptes-rendus auprès de mon chef. Malgré l’apaisement, mon esprit continue de fonctionner à plein régime sur le chemin du retour depuis la soute de l’hélicoptère, comme une toupie lancée que je ne peux pas arrêter. Je suis les échanges radio, de plus en plus lointains à mesure que je m’endors douce‑ ment, malgré les vibrations de l’appareil.

En arrivant sur la base, nous débriefons puis vaquons à nos activités. Je ressens le poids de la mission qui s’allège de mes épaules à mesure que nous nous reconditionnons. Le petit pincement dans mon dos réapparaît. C’est comme une cloche dans mon inconscient qui sonne discrètement pour me dire « la mission n’est jamais finie ».

Extrait du livre « Forces spéciales et unités d'élites, au cœur de leurs émotions », publié sous la direction de Teddy Palassy aux éditions Solar

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