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PISA : l’école primaire, cette machine à fabriquer de l’échec
©Reuters

Joué d'avance ?

L'enquête Pisa 2018, enquête d'évaluation des systèmes scolaires menée par l'OCDE auprès d'étudiants de 15 ans, a été publiée hier. Elle dresse approximativement le même portrait que les autres enquêtes pour le cas français.

Anne-Marie Gaignard

Anne-Marie Gaignard

Anne-Marie Gaignard est une pédagogue. En 2009, elle a mis sur pieds sa propre méthode d'apprentissage de l'orthographe pour les adultes. Elle a publié la Revanche des nuls en orthographe aux ed. Calmann-Levy en 2012.

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Atlantico : En matière de compréhension de l'écrit, la France se classe entre le 20ème et le 26ème rang du classement général. Qu'est-ce qui empêche la France d'être à un meilleur niveau sur ce point selon vous ? Quel rôle joue en particulier l'éducation primaire dans ce résultat ?

Anne-Marie Gaignard : On ne peut pas rejeter la faute sur les élèves. Le niveau qu'ils obtiennent, c'est le niveau qu'ils essayent d'obtenir avec ce qu'on leur a donné. C'est au primaire que tout se passe. On a beau dédoubler des classes, pour en mettre moins en CP, l'enseignement de la langue, lecture et écriture, on est très mauvais. Ça vient premièrement de la formation des enseignants du premier degré, qui demande à être revue de fond en comble et d'urgence. La deuxième chose c'est que l'enseignant de primaire débarque après une licence pour devenir professeur des écoles, il est balancé dans une classe avec une formation de base qui est plutôt générale, même s'il a fait des stages; mais en fait le plus important c'est de savoir que dans une classe de 30 ou plus, ce n'est pas parce qu'ils sont 30 qu'on ne va pas leur apprendre à lire ou à écrire, c'est ce qu'on  va leur mettre sous les yeux. 

Moi je ne connais pas un enfant qui n'ait pas envie d'apprendre à lire. Aujourd'hui, l'enfant qui est en difficulté en lecture et en écriture est systématiquement médicalisé. Un enfant qui annone en CM2, ce n'est pas parce qu'il est nul, c'est parce qu'il a loupé son apprentissage. Là où ça se passe, c'est CP, CE1, CE2. La méthode d'apprentissage qu'on va mettre sous les yeux d'un enfant, c'est comme s'ils jouaient au casino : ils vont parier sur les rouges, zut c'est les noirs qui vont sortir. En fait lui il va peut-être avoir besoin d'une méthode où il va utiliser ses trois types de mémorisation : j'entends, je vois, je fais. Aujourd'hui, les méthodes d'apprentissage les plus vendues, ce sont des méthodes qu'on appelle "mixtes" : un peu de syllabique et rapidement texte/image. On va beaucoup trop vite : l'apprentissage de la lecture pour un enfant, c'est 9 mois, c'est le temps d'un bébé, en ne faisant que ça. On est très très loin du compte.

En fait la méthode mixte va marcher pour un certain nombre d'enfants, mais aujourd'hui on approche des 40% des enfants qui savent mal lire, pas écrire, et pourtant ils passent jusQU4EN cm2. Et ils arrivent en 6ème et là c'est le prof de Français qui tire l'alerte. 

En mathématiques, les résultats des élèves français sont légèrement au-dessus de la moyenne de l'OCDE. La compréhension des mathématiques est-elle liée à la capacité à lire et à écrire ? Est-ce donc par le progrès sur ces deux capacités qu'il faut travailler en premier lieu ? 

Il n'y a pas que ça, mais évidemment qu'un enfant qui est en difficulté de lecture va mettre trois fois plus de temps à comprendre ce qu'on lui demande, donc déjà il y a une notion de temps qui s'écoule, comme le sablier. Je me suis amusée récapituler ce qu'on apprend en mathématiques de la 6èmeà la3ème, franchement ce n'est pas insurmontable, c'est une boite à outils. Là encore, apprendre par cœur les tables de multiplications…. Je vois bien que les enfants que je vois passer ne les connaissent pas. Il y a pas d'histoire de dyscalculie, dont le "dys" est extrêmement dangereux parce que ça médicalise le fait de ne pas savoir compter ou de ne pas savoir calculer, or il n'y a pas de zone du cerveau qui dysfonctionne quand on compte.  Si ça ne marche pas, c'est qu'il ne trouve pas quelle opération il faut faire et dans ces cas-là, ça s'appelle l'innumérisme : une incapacité à compter parce qu'on a supprimé le fait de calculer sur ses doigts, on a remplacé la table de multiplication par la machine à calculer, on n'utilise pas le boulier pour les dizaines, les centaines, les milliers… 

Donc oui, en mathématiques, quand on ne comprend pas l'énoncé, on est forcément mauvais. Tant qu'on restera au général "écoute ce que je te dis, et redonne-moi ça pour demain", on est foutus en France. Les élèves ne savent pas travailler à titre personnel. Tout va trop vite, on met un crayon dans la main d'un enfant beaucoup trop tôt. Et ce n'est pas parce qu'on sait lire que l'on sait écrire. Il faut apprendre à lire dans toutes les écritures : majuscule, italique…  Quand on n'apprend pas avec une bonne méthode adaptée à sa mémoire, c'est raté pour la vie. 

Quand un enfant n'arrive pas à lire, c'est le monde qui lui tombe dessus. Donc il va aller vers l'image. Et ce sera écrit "bicyclette" mais il lira en mettant son petit doigt dessous "vélo".  Ça c'est une preuve d'intelligence. Donc on est en train de planter les enfants du primaire avec une mauvaise acquisition de la langue, qui demain fabrique des enfants en difficultés scolaires. Même avec un handicap on peut apprendre à lire et à écrire : j'ai  appris à lire et à écrire à des enfants trisomiques 21, et aujourd'hui ils remplissent leurs chèques tous seuls, donc il faut arrêter de nous raconter des salades !

En termes d'égalité, la France a un mauvais résultat : le lien entre statut social et performance est le plus fort des tous les pays de l'OCDE. Quels sont les éléments les plus importants qui expliquent ce résultat ? 

En France, on a le choix de mettre ses enfants dans le privé ou dans le public. Dans le public on peut y aller par choix, il y a de très bons établissements publics qui ont d'excellents résultats aux examens. Après ça peut être un choix malheureusement financier.

C'est dégueulasse de dire ça parce qu'on stigmatise des gosses qui vont être dans le public : parce qu'ils sont dans en Zone d'Education Prioritaire ils sont forcés d'aller là. Quand on est nombreux à la maison et qu'on n'a pas son joli petit bureau, c'est plus compliqué de travailler. Après, jusqu'à preuve du contraire, le ministre Blanquer a dit que les devoirs c'est à l'école et pas à la maison, donc il faut des bénévoles, mais on ne les trouve pas. Et aujourd'hui on dit que c'est le statut social qui fait la différence. A la fois c'est vrai mais c'est dégueulasse, parce que peut-être que les enseignants manquent de temps ou de moyens, mais ce n'est pas parce que les enfants sont fils d'ouvriers, franchement ! La loi sur les devoirs à l'école et pas à la maison est passée pour ces enfants-là. Où est-ce que le bât blesse ? Peut-être qu'il y a trop de devoirs en primaire. Quand on a moins de moyens, on ne peut pas avoir de cours particuliers, mais ce qui n'est pas normal, c'est d'avoir besoin de cours particuliers. 

On est mauvais pour apprendre notre langue maternelle, on est mauvais pour apprendre les langues étrangères… Je me dit qu'il y a un truc qui peut nous sauver, c'est le numérique. Mais ce n'est pas normal de mettre des pansements, ce n'est pas normal de louper le CP, CE1, CE2. Il faudrait trois ans tranquilles pour bien apprendre à lire, bien apprendre à écrire, bien apprendre à compter, et pourquoi pas entre les cours, faire un peu d'Histoire, un peu de Géographie.

Au total, est-ce en priorité la manière dont les professeurs sont accompagnés qui est une des causes principales des difficultés de notre système scolaire ? 

Les professeurs ne sont accompagnés par personnes ! Le professeur des écoles est tout seul dans sa classe; il a une vraie liberté de pédagogie. Mais il a un inspecteur qui déboulera tous les cinq ans, voilà son accompagnement. Donc si tu n'as pas une bonne collègue pour te donner un coup de main dans l'école où tu démarres, tu es dans la merde. Quant au collège c'est la même chose: le professeur passe dans la salle des profs, il prend ses copies et il s'en va. 

Les professeurs sont libres de faire ce qu'ils veulent, ils sont embauchés sur le papier, pas sur l'efficacité. Le chef d'établissement n'embauche pas ses profs, c'est le rectorat qui fait ça, donc il se retrouve à gérer des équipes qu'il n'a pas forcement choisies. Ça non plus ça ne va pas. Et trouvez-moi aujourd'hui un professeur des écoles qui veut bien prendre la direction d'un primaire? Personne. Trop de responsabilités. Donc l'école va mal, et quand l'école va mal le pays va mal. Si on ne se réveille pas, on va le manger cher. Parce que les gamins des cités qui sont là depuis deux ou trois générations, si on ne leur vient pas en aide, quel avenir on leur propose ?  D'être livreur chez Easy ? 

Les enseignants vont mal car ils se découragent. Leur catalogue de formations ne bouge pas. Ils ont bouffé pendant des années des intelligences multiples, comme s'ils avaient besoin de ça pour voir que dans leur classe toutes les têtes ne marchent pas de la même façon. Ce qu'ils veulent, c'est du pratico-pratique, réparer les enfants qui arrivent dans leur classe. Ce n'est pas normal de laisser passer un gosse qui arrive du CP jusqu'en 6ème et d'attendre que le couperet tombe au collège. Ce n'est pas au prof de 6ème de réparer ça. 

Je trouve dommage qu'on ne redore pas le balcon de nos enseignants du premier degré. Ils ont demandé à ne plus être instituteurs, ni maitre, aujourd'hui on les appelle "professeurs des écoles". Si vous regardez le calendrier, la débandade est partie de là. C'est-à-dire qu'ils ont perdu ce statut de mètre. Aujourd'hui, les parents d'élèves considèrent le maître comme un fournisseur, et eux ce sont les clients.

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