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Pieds nickelés contre Gilets jaunes : le match tragique pour la France
©LUCAS BARIOULET / AFP

Société à responsabilité partagée

Mais pourquoi les défenseurs de l’ordre républicain ne voient-ils pas que leurs discours et leurs actions les rendent co-producteurs avec les Gilets jaunes de la séquence quasi insurrectionnelle que nous vivons ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Du monde politique aux éditorialistes, le contexte actuel est marqué par une forme de lamentation de la tendance progressivement insurrectionnelle, ou du moins "hors partis" du mouvement des Gilets jaunes.Dans quelle mesure la responsabilité de la situation est-elle générale, entre l'implosion du système politique en 2016 réalisé par Emmanuel Macron, et l'incapacité des partis d'oppositions de canaliser les aspirations de la population ?  

Edouard Husson : Nous vivons depuis des années dans une République à démocratie limitée. La conviction, sans doute sincère chez beaucoup de représentants du monde dirigeant, est que le monde est devenu si complexe qu'il ne peut pas être dépendant de décisions populaires. A partir de là s'est déclenchée une double dynamique: le monde débarrassé du communisme et porté par l'extraordinaire révolution de l'information que permet le progrès permanent de la technologie informatique est devenu beaucoup trop complexe pour les dirigeants eux-mêmes; et beaucoup moins du fait de défis planétaires que parce que l'information est suffisamment abondante localement pour prendre les bonnes décisions alors qu'il est impossible de prendre une bonne décision au niveau global très liin du terrain. Et c'est le deuxième élément de la dynamique: le désir très fort des individus de décider pour eux-mêmes et par eux-mêmes. 
Pendant une vingtaine d'années le monde dirigeant a imposé des solutions dites globales, au besoin en cassant les dynamiques locales. Cela marche de moins en moins. Les citoyens ordinaires ont suffisamment d'informations à disposition et ils peuvent s'organiser en temps réel grâce aux réseaux sociaux. Pourtant le monde dirigeant s'obstine à penser qu'il s'agit d'une aberration. Il regarde de haut cette France des pays et des terroirs où l'on analyse avec plus de bon sens que dans bien des lieux de décision parisiens, bruxellois ou washingtoniens. 
L'élection d'Emmanuel Macron avait tout d'un paradoxe puisqu'il est l'homme par excellence des solutions mondiales et abstraites à des questions locales et concrètes. Avec une indéniable sincérité il a poussé le plus loin possible la logique "top down". Il est explicable qu'il y ait un effet boomerang. Et que les décideurs et commentateurs de la France d'en haut soient étonnés qu'une révolte politique puisse avoir sa part de violence montre juste dans quelle bulle ils ont vécu depuis les années 1990. 

Ne peut-on pas voir une certaine forme de naïveté d'imaginer que l'opposition à Emmanuel Macron, initiée par les Gilets jaunes, mais qui s'est révélée par le taux de soutien majoritaire à ce mouvement, ne trouve pas un moyen d'expression ?  

Oui, les tenants de la République à démocratie limitée ont complètement perdu l'habitude de grands débats politiques.  Pour eux droite contre gauche cela n'a plus de sens. Etre dirigeant c'est rencontrer ses semblables dans des aréopages internationaux, sûrement pas être à l'écoute de son propre peuple - sauf lors des élections. Du Mitterrand de 1988 à François Hollande, les candidats à la présidence de la République ont rusé avec le peuple: il ont imaginé une manière de mettre les solutions globalistes dans des habits politiquement présentables, qui devaient entretenir l'électorat dans l'illusion qu'il décidait. La grande innovation d'Emmanuel Macron c'est qu'il n'a pas fait semblant. Il s'est présenté comme un globaliste et a annoncé que la France se plierait à son programme. Il était prévisible qu'un front du refus se constitue. En gros "France périphérique" contre "France d'en haut". Ce qui surprend les globalistes, c'est qu'ils aient face à eux, soudain un mouvement d'une telle ampleur. Mais jamais l'intention de recourir, coûte que coûte, aux solutions globales, n'avait été aussi clairement affirmée. Il est effectivement naïf de penser que l'on va soit décourager les Gilets Jaunes soit empêcher tout autre mouvement qui prendrait le relais. 


La responsabilité des oppositions n'est-elle pas justement de trouver le moyen de canaliser politiquement cette expression, aussi bien par leur remise en cause, que par la proposition de nouvelles lignes politiques ? 


On ne peut pas dire qu'il n'y a eu aucune opposition! A la fin des années 1990 nous avons été un certain nombre à avertir des risques encourus, au sein de la Fondation Marc Bloch/Fondation du 2 mars. Jean-Pierre Chevènement a mené une campagne lucide en 2002. Pour comprendre ce qui se passe cette année-là il faut additionner son score à celui de Jean-Marie Le Pen au 1er tour: presqu'un quart des votants voulait le retour à la nation comme cadre de décision politique. On ne comprend pas l'élection de Nicolas Sarkozy sans ce choc initial. Ni sans le référendum de 2005 qui amène au rejet du Traité Constitutionnel Européen. Evidemment Sarkozy n'a pas été réélu parce qu'il n'a pas voulu jouer le jeu du retour à la nation jusqu'au bout. Et aujourd'hui il semble préférer aider Macron à garder la tête hors de l'eau que rassembler toutes les droites. 
Il est d'autant plus tragique que la droite reste aussi divisée que le mouvement des Gilets Jaunes, par son goût du concret, du local, des terroirs, des provinces, des solidarités de famille et de quartier, est fondamentalement un mouvement de droite. Certes la France Insoumise a réussi un très beau score aux présidentielles de 2017. Mais Mélenchon est au fond mal à l'aise face à un mouvement qui tient plus de la jacquerie d'Ancien Régime ou de la révolte vendéenne que de la Commune de Paris. C'est à droite que se jouera la capacité du système politique à utiliser positivement la révolte des Gilets Jaunes. 
Or vous avez aujourd'hui deux droites qui ont du mal à canaliser le soulèvement auquel nous assistons : trop de responsables des Républicains préféreront toujours dîner avec des "globalistes" qu'aller rencontrer les Gilets Jaunes sur les ronds-points. Quant au Rassemblement  National, il est certainement le mouvement où l'on a été le moins désemparé par les Gilets Jaunes; mais on y reste prisonnier d'un étatisme dépassé et des grandes catégories d'un discours politique forgé dans les années 1980,; ce qui empêche le RN de parler simplement à une France passionnée de micro-entrepreneuriat, d'économie solidaire et de démocratie locale autant que de protection de la nation. 

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