Pétrole : mais pourquoi l’Arabie saoudite se montre-t-elle encore plus dure que la Russie face à l’Occident ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une installation pétrolière d'Aramco près de la zone d'al-Khurj, juste au sud de la capitale saoudienne Riyadh.
Une installation pétrolière d'Aramco près de la zone d'al-Khurj, juste au sud de la capitale saoudienne Riyadh.
©FAYEZ NURELDINE / AFP

Logique commerciale

La décision de l’OPEC+ de réduire sa production de pétrole n'est pas uniquement due à la Russie : l'Arabie saoudite a fait pression pour réduire la production de pétrole deux fois plus importante que ce que réclamait le président russe Vladimir Poutine.

Pierre Conesa

Pierre Conesa

Pierre Conesa est agrégé d’Histoire, énarque. Il a longtemps été haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de nombreux articles dans le Monde diplomatique et de livres.

Parmi ses ouvrages publiés récemment, Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016, Le lobby saoudien en France : Comment vendre un pays invendable, Denoël, Vendre la guerre : Le complexe militaro-intellectuel, Editions de l'Aube, 2022.

 

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Atlantico : La décision de l’OPEC+ de réduire sa production de pétrole avait inquiété. Selon The Intercept, l'Arabie saoudite a en réalité fait pression pour réduire la production de pétrole deux fois plus que le président russe Vladimir Poutine, ce qui a surpris les Russes, selon deux sources saoudiennes ayant connaissance des négociations. Que savons-nous de cela ?

Pierre Conesa : Il y a une tendance à long terme de l’OPEP+ qui considère qu’il faut faire remonter les prix du pétrole. Pour ça, il faut réduire la production. A cela s’ajoute l'invasion de l'Ukraine et la série de sanctions. Évidemment, il y a un gros producteur exportateur avec des pipes directement reliés à l'Europe, la Russie, que l’on met nous-mêmes sous sanctions. Cela laisse plus de pouvoir à l’OPEP qui avait déjà l'intention d'augmenter les prix.

 Comment expliquer le comportement de l’Arabie Saoudite ?

 Je crois qu'il y a plusieurs choses. C'est vrai que la relation avec l'Arabie saoudite sur le plan proprement diplomatique n'était pas très bonne depuis quelque temps. L’affaire Khashoggi a illustré la nature du régime et suscité un émoi occidental. Trump se fait élire en annonçant qu’il va sanctionner l’Arabie Saoudite et, en fait, son premier voyage officiel, il le fait sur place. Donc vous avez tout à coup la parole et la réalité ; on dit une chose et on s'aperçoit qu’on peut finalement trouver des aménagements. Biden reprend la thématique mais on s’aperçoit qu’on est dans une logique dans laquelle on a des relations avec un allié auquel on est prêt à tout pardonner. Il faut facialement démontrer qu'on le condamne mais on ne fait rien en acte. Aujourd'hui, le pays nous fait payer l’humiliation du moment où les Américains ont fait croire qu'ils allaient sanctionner.

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 Est-ce une stratégie pour gagner de l’influence et du pouvoir sur la scène internationale en profitant de la situation ?

 Oui, bien sûr. L’Arabie saoudite a un problème existentiel : c'est un pays dont le principal argumentaire était qu’il était le pays des lieux saints de l’Islam et peu lui importait l’opinion publique. Il n’y avait pas de politique de communication. Progressivement se sont passés plusieurs événements qui ont montré que l'Arabie saoudite devait quand même apprendre à communiquer ou à avoir une politique de relation publique qui les protège. Après le 11 septembre, où la grosse majorité des terroristes (15 sur 19) étaient pourtant saoudiens, le pays, grâce notamment à la société de communication américaine Qorvis qui dès le lendemain des attentats va proposer ses services à l’ambassade, réussi à faire du lobbying au Congrès pour amoindrir la responsabilité saoudienne. 28 pages du rapport du Congrès consacrées à la responsabilité de l’Ambassade dans les attentats sont classées « Secret Défense » et ne seront rendues publiques que par Obama 14 ans plus tard. A partir de là, et après l’affaire Kashoggi, ils vont avoir un système de communication internationale qui va se construire autour d'énormes contrats avec 5 majors des relations publiques des boîtes de communication de la planète dont Havas et Publicis. L'objectif extraordinaire est qu'on ne parle pas de l'Arabie saoudite. C'est une politique de communication qui est destinée à ce que justement on fasse taire les critiques. Ils y réussissent assez bien puisque progressivement, les vagues vont se calmer. Et dès l'élection de Trump, le message était « nous allons sanctionner l'Arabie saoudite », mais il n’en a rien fait. 

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Sur le pétrole, le pic de production de l’Arabie Saoudite est prévu pour 2027. Mais s’ils veulent ménager l'avenir en attendant de trouver d'autres nouvelles ressources et maintenir leur capacité de vendre du pétrole puisqu’il n’y a pas d'autre ressource, il faut qu'ils fassent attention. Donc ils sont dans une logique où ils gèrent les intérêts pétroliers de l’Arabie saoudite au mieux mais évidemment dans la crise où on se met nous-mêmes en mettant sous embargo la Russie, l’Arabie Saoudite est tout à coup dans une position très forte.

 Par ailleurs, l’Arabie saoudite et la Chine "ont déclaré qu'elles renforceraient leurs liens dans le secteur de l'énergie, a rapporté l'agence de presse nationale saoudienne SPA". Comment le comprendre ?

 L’Arabie Saoudite avait des relations d’autant plus exclusives avec les Occidentaux que ces derniers garantissaient sa sécurité. Mais l’Arabie Saoudite cherchait depuis longtemps à diversifier. Et la Chine a de gros besoins et beaucoup d’argent. Les Occidentaux en appellent à la solidarité, mais l’Arabie Saoudite cherche des garanties de prix élevés. Cela dit La Chine n’est pas en mesure militairement d’offrir les mêmes garanties de protection que les Américains

 Assistons-nous au démantèlement de 70 ans de partenariat entre l'Arabie Saoudite et les États-Unis ?

 On ne peut pas aller si loin. Les Saoudiens demeurent des gros acheteurs auprès des occidentaux, notamment d’armes occidentales. Elle ménageait des accords pour s’assurer une garantie de sécurité, c’est à dire des clauses dérogatoires comme la garantie qu’il n’y aurait aucun embargo en cas de guerre. Aller chercher le soutien chinois, c’est une stratégie commerciale, mais qui n’est pas forcément assortie d’une sécurité militaire. L’Arabie Saoudite utilise aujourd’hui nos armes (avions américains, armes européennes dont Françaises) pour frapper, de manière aérienne, au Yemen. Et c’est une situation qui déplaît fortement aux Occidentaux puisque leurs armes sont utilisées pour un massacre. Mais rassurez vos lecteurs, il n’y aura aucune sanction. 

Pierre Conesa est l'auteur de "Le Lobby saoudien en France: Comment vendre un pays invendable", aux éditions Denoël

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