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Petite radioscopie des électeurs (fidèles ou potentiels) de droite à l'attention des candidats à la candidature de 2022
©Sebastien SALOM-GOMIS / AFP

Dans la course à l'Elysée

Alors que chaque candidat possible tente de tracer son propre sillon "idéologique", certains au sein de LR ont évoqué la possibilité d'alliances baroques sur la question du souverainisme économique notamment. Mais qu'attendent les électeurs, eux ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Il semble qu’aucun potentiel candidat à droite ne suscite vraiment d’enthousiasme en vue de l'élection présidentielle de 2022, selon le dernier sondage Harris Interactive. Chacun semble tracer son propre sillon idéologique et certains envisagent même une alliance avec Arnaud Montebourg sur la question du souverainisme. Cette alliance qui peut paraître étonnante, peut-elle, au-delà de la question des idées, fédérer les électeurs en 2022 ?

Christophe Boutin : Commençons si vous le voulez bien par fixer le cadre au sujet duquel vous m'invitez à répondre à vos questions. Il s'agit d'un sondage qui vient de paraître et qui traite des intentions de vote des Français pour l'élection présidentielle de 2022, soit dans plus d'un an, et ne donne donc jamais que des indications. Par ailleurs, puisque vous m'interrogez plus particulièrement sur les candidats de droite issus des Républicains, notons que le sondeur a retenu deux hypothèses seulement, celles des candidatures de Xavier Bertrand et de Valérie Pécresse. Pourtant, d'autres candidats potentiels ou même déclarés sont d’ores et déjà présents - on pense à Bruno Retailleau - et d'autres encore peuvent apparaître, notamment en tenant compte du fait que ce parti, pour l'instant, n'arrive pas à définir de manière claire la manière dont il va désigner son champion pour cette élection présidentielle. S'agira-t-il, comme l'espèrent Xavier Bertrand et peut-être Valérie Pécresse, de tenir compte des résultats des élections régionales ? Mais d'autres membres des Républicains pourraient eux aussi être réélus, et donc être à même de faire acte de candidature. S'agira-t-il de rétablir ces primaires que certains avaient pourtant qualifiées de « machine à perdre » ? En y faisant participer qui, et en permettant quelles candidatures ? Nous n'en savons pas grand-chose, comme nous ne savons rien ou presque des programmes que présenteraient ces différents candidats, et moins encore sur la manière dont ils seraient accueillis dans les médias mainstream - pour ne pas parler des aléas que ces candidats pourraient connaitre d’ici l’élection, comme ceux dont a été victime François Fillon.

C’est en tenant compte de ces points qu’il faut tenter de répondre à votre question, centrée sur l'idée d’une éventuelle alliance souverainiste contre Emmanuel Macron. La question mérite d’être posée tant elle est au croisement d’un certain nombre d’éléments qui ont conduit les Français à modifier leur rapport au politique, rendant désuets bien des équilibres précédents supposés intangibles, et démontrant en passant l’existence d’un fossé croissant entre citoyens et gouvernants. Prenons-en les principales manifestations. L'effondrement, d’abord, des « partis de gouvernement », PS et LR, dont les représentants ne purent être présents au second tour de l’élection présidentielle de 2017. L’apparition les années suivantes ensuite, dans les rues, d'un courant populiste initialement plutôt ancré à droite mais basculant grâce à sa récupération à l'extrême gauche, le mouvement des Gilets jaunes. Un mouvement qui s’opposait aux conséquences économiques et sociales de cette mondialisation vantée par Emmanuel Macron.

Il faut encore prendre en compte l'impact de la crise sanitaire, et ce de deux manières. D’abord, à cause des problèmes rencontrés par le gouvernement pour mettre en œuvre sa politique de réponse à la crise, un doute important existe chez nos concitoyens quant aux capacités réelles de nos « élites » - nom impropre qui définit l'oligarchie qui occupe le pouvoir – à remplir ses missions. Par ailleurs, cette crise a renforcé encore la volonté de nos concitoyens de retrouver le contrôle de leur existence, ce qui se manifeste à la fois dans le choix populiste, dans lequel les citoyens seraient appelés à participer plus directement aux choix politiques, mais aussi dans l’approche souverainiste, selon laquelle, et plus encore dans une période d'insécurité telle que celle que nous connaissons, la nation serait finalement un cercle d’appartenance protecteur absolument nécessaire.

Or cette demande souverainiste dépasse le traditionnel clivage droite/gauche, et ce dès sa première manifestation politique, lors du vote par référendum sur le traité dit constitution européenne, repoussé par une majorité des Français en 2005. On rappellera d'ailleurs que la volonté de refaire cette union des « non » a été une part de la stratégie proposée par Florian Philippot au Front National devenu depuis Rassemblement National : rassembler les souverainistes de droite et de gauche pour casser le « plafond de verre » bloquant ce parti. Cette idée de dépassement des anciens clivages autour du souverainisme est aussi celle derrière laquelle s'est créée la revue Front populaire lancé par Michel Onfray, avec le succès que l'on sait. Quant à Arnaud Montebourg, que vous évoquez, il est depuis maintenant quelques années assez caractéristique d'une démarche souverainiste de gauche rappelant celle d’un Jean-Pierre Chevènement. C’est dire que le thème est d’actualité et traduit bien la possibilité d’un dépassement du clivage droite/gauche pour s’opposer à cet autre dépassement du même clivage qu’est le progressisme d’Emmanuel Macron.

Le progressisme est défini par le chef de l’État lui-même comme le cœur de son projet, un progressisme qui est inclus dans la mondialisation et prône la libre circulation des biens et des personnes – ces dernières étant ici des individus coupés de tous leurs cercles d'appartenance, des monades nomades censément partout à l'aise sur l'ensemble de la planète. En face, le souverainisme suppose des frontières - qui ne sont pas des cloisons étanches mais des filtres : il ne prône pas une autarcie totalement irréalisable dans le monde moderne, mais de pouvoir disposer des moyens d'assurer sa sécurité, que ce soit en matière de défense, économique ou sanitaire. Il permet ainsi au pouvoir redevenu véritablement souverain de décider librement.

Pour autant, l’affirmation d’une même volonté souverainiste n'est peut-être pas la panacée qui permettrait de fédérer les opposants au progressisme macroniste. D’une part, parce que la question se pose alors des divergences pouvant exister quant au rapport de la souveraineté nationale à l’Union européenne, comme aussi, de manière moins perceptible par les Français, sur la manière dont intervient la Cour européenne des droits de l’homme par ses arrêts. Et quand bien même s’accorderait-on sur une « Europe des nations » et relativiserait-on le poids des jurisprudences supranationales qu’il n’en resterait pas moins un désaccord potentiel sur la question de savoir « qui » est souverain : quel peuple, quelle nation ? Le souverainisme présuppose en effet qu’existe une identité de ce souverain, peuple ou nation, qu’existe en son sein une cohérence, qui n'est pas absolue - il ne s'agit pas d'imaginer ici ou de prôner une nation composée de clones interchangeables, il y a bien évidemment des différences de culture, de religion, et bien d'autres encore -, mais qui s’exprime notamment par une fidélité à cet héritage commun qui, comme le rappelait Ernest Renan, est indispensable à la constitution même de la nation.

C'est là sans doute que le bât blesse entre souverainistes de droite et de gauche. D’une part, parce qu’ils ne font pas référence à la même histoire : les souverainistes de droite s'ancrent dans l'histoire profonde, et ne voient parfois la Révolution française que comme un bouleversement passager, quand les souverainistes de gauche ne remontent guère au-delà, y voyant la source de ces « principes républicains » auxquels ils aiment tant se référer. D’autre part, en ce qui concerne cette fois la composition de la population formant la nation, les souverainistes de droite sont très réticents face à une immigration dont ils estiment que son volume trop important empêche toute assimilation – et donc toute cohérence nationale -, quand les souverainistes de gauche envisagent la cohabitation, quel que soit le volume de la population immigrée, grâce à un nouveau contrat social réalisé autour de ces fameuses « valeurs républicaines.

Pour ces raisons, si le souverainisme est effectivement une des expressions de la volonté d’une part sans doute majoritaire de la population française de reprendre en main son destin, il n’est pas évident qu’il suffise à fédérer contre le progressisme du macronisme des blocs qui restent trop différents.

Pourquoi une candidature de Valérie Pécresse ou de Xavier Bertrand ne semble pour l'instant pas dans la capacité de réunir autant de voix que François Fillon en 2017 ? Est-ce un problème de ligne politique ou de personnalité ?

Là aussi, précisons les choses : nous comparons les chiffres des intentions de vote concernant des candidatures hypothétiques avec ceux des suffrages exprimés sur un candidat désigné. D’une part ici un avis donné sur Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, sans que l’on connaisse vraiment leur programme et que l’on sache s’ils seront bien candidats ; de l’autre, le score de François Fillon après des mois de campagne électorale. Gardons-nous donc de tirer trop de conclusions définitives de cette comparaison.

Cela n’empêche pas de formuler quelques hypothèses. La première est que cette différence résulte de ce désintérêt global que j'ai déjà évoqué, de ce désamour des Français pour les partis qui se sont partagé le pouvoir pendant des décennies et dont certains attendaient qu'ils forment finalement un bipartisme à la française : à gauche un PS qui avait intégré les radicaux de gauche, et, à droite, des Républicains nés de la fusion entre les gaullistes du RPR et les centristes de l'UDF. Cet attelage a profondément déçu les Français, qui se sont rendus compte que les alternances au pouvoir ne changeaient pas la politique faite, et, notamment, que les problèmes qu'ils souhaitaient voir traités étaient évités de manière systématique - quand Valérie Pécresse comme Xavier Bertrand ont fait partie des équipes au pouvoir.

C'est d’ailleurs entre autre contre cela que les Français ont choisi en 2017 un homme dont le livre programme s'appelait « Révolution » et qui avait annoncé qu'il allait renverser la table et casser ce vieux système des partis, Emmanuel Macron. Ils se sont rendus compte depuis que ce dernier ne cherchait pas, comme ils le pensaient, à rétablir les équilibres et à répondre à leurs inquiétudes, mais à poursuivre et à accélérer une course en avant dans la même direction que ses prédécesseurs - le progressisme, s'il est bien la marque de fabrique du macronisme, parfois de manière presque caricaturale, n'ayant en effet pas attendu 2017 pour s'exprimer dans un certain nombre de réformes sociétales… comme aussi dans un refus d'agir face à certains problèmes.

Mais pour lutter en 2022 contre ce progressisme, Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse n’apparaissent peut-être pas aux Français comme les candidats idoines. Depuis le temps où ils incarnaient dans leurs fonctions respectives l’immobilisme chiraquien ou l’inutile agitation sarkozienne, ils ont fait l’un comme l’autre la preuve, dans des gouvernements ou comme barons locaux, de leur soumission au « politiquement correct » et, par là même, de leur difficultés à traiter les problèmes qui préoccupent les Français en proposant des solutions efficaces.

Quels sont actuellement les principales attentes des électeurs de droite ? Sont-elles suffisamment présentes dans les ébauches de programmes des potentiels candidats ?

Je crois que dans la France de 2021 les attentes de nombre d’électeurs « de droite » recoupent celles de beaucoup d'électeurs « de gauche », et qu’il conviendrait plutôt d’opposer deux mondes, ceux des « somewhere » et des « anywhere » (Goodhart), de la « France périphérique » et des « métropoles » ( Guilluy), ou des « bloc populaire » et « bloc élitaire » (Sainte Marie), autant de clivages qui semblent ici plus pertinents que les divisions entre droite et gauche.

Quelles seraient alors les attentes de ces représentants des « somewhere », « bloc populaire » ou « France périphérique », de ces Français qui sont majoritaires ? Il n'est pas surprenant que, dans un pays où se multiplient les agressions physiques d'une rare violence, quand des Français sont frappés à mort dans le bus, le métro ou la rue, ou poignardés pour un regard ou une cigarette ; dans un pays où, sous des prétextes religieux ou historiques, peut s'exprimer à l'encontre de la population autochtone une haine clairement racialiste ; dans un pays dont le système de protection social et les infrastructures s'effondrent ; dans ce pays donc, il n'est pas étonnant de voir les Français placer en tête, sondage après sondage et de manière récurrente depuis des dizaines d'années, les questions des « trois I » de l'Immigration, de l’Insécurité et de l'Identité.

En lien avec cela, le deuxième axe de réforme commun à cette France périphérique oubliée des médias et moquée par les pseudo élites vise à lui permettre de reprendre son destin en main. Institutionnellement, cela suppose de pouvoir proposer un texte dans un domaine « oublié » par les pouvoirs, ou s’opposer à un texte voté par des parlementaires qui iraient à l'encontre de ses choix – c’est, par exemple, la demande touchant à l’instauration d’un référendum d'initiative populaire ou citoyenne.

À cela s'ajoute, sans doute cette fois de manière plus spécifique pour les électeurs de droite, la nécessité de renouer avec un libéralisme d'entrepreneurs, bien loin de ce pseudo libéralisme de la mondialisation financière, celui du progressisme. De retrouver un monde dans lequel le travail est payé à son juste prix ; où celui qui court des risques, ou travaille plus, peut y trouver des avantages ; où la fraude de quelques-uns est traquée sans que soit mis en place un système de surveillance attentatoire aux libertés de tous ; où la solidarité s’exerce dans le cadre d’une communauté qui n’est pas une pure fiction administrative.

Autant de choix derrière lesquels se dessine aussi le désir d’un pouvoir arbitral fort, assumant les compétences régaliennes sans prétendre tout régenter, à mille lieux du totalitarisme mou du politiquement correct comme de celui de ces « états d’urgence » qui ne visent qu’à permettre au Système de perdurer, malgré ou grâce aux crises.

On le voit, il est permis de douter qu’un tel programme soit « dans les ébauches » de ces potentiels candidats dont nous parlions. Mais nous n’en savons rien encore.

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