Patrick Buisson, retour sur une stratégie politique vieille de 30 ans : l’union de toutes les droites<!-- --> | Atlantico.fr
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Patrick Buisson a toujours cherché à initier un rapprochement entre les différentes composantes de la droite.
Patrick Buisson a toujours cherché à initier un rapprochement entre les différentes composantes de la droite.
©Reuters

Parcours

Du Front National à l'entourage de Nicolas Sarkozy en passant par la presse, Patrick Buisson a toujours cherché à initier un rapprochement entre les différentes composantes de la droite, malgré leurs divergences idéologiques.

Atlantico : Peut-on dire que Patrick Buisson a toujours été motivé par un objectif d'union des droites ?

Jean Garrigues : Il semblerait que cela a été une idée forte de son parcours à partir des années quatre-vingt, notamment à la fin, au moment de la cohabitation puis de son arrivée à Valeurs Actuelles. Il a compris qu'une partie de l'électorat RPR était en demande d'une ligne plus dure et moins européenne. Patrick Buisson vient d'une famille politique, l'Action française, qui est très clivant à droite. Il vient aussi d'une droite qui défend l'Algérie française, et qui a beaucoup combattu le gaullisme. On voit l'ambiguïté entre le socle idéologique qui est celui de Patrick Buisson et les stratégies qu'il va ensuite conseiller.

Jean Petaux : Je pense que Patrick Buisson n’a jamais été motivé par un objectif d’union des droites. Il n’a jamais fait mystère de son exécration de la droite parlementaire ou de la fraction la plus modérée de la droite française. Je crois qu’il a toujours été motivé, en héritier revendiqué de Joseph de Maistre et de Charles Maurras, par une défense et illustration d’une part de la pensée contre-révolutionnaire et d’autre part par une détestation, une haine de la République dans ce qu’elle peut porter comme idéal démocratique et égalitaire. Si "l’union des droites" a été un moteur pour lui c’est plutôt l’absorption de la droite par l’extrême-droite qui a été, à mon avis, son carburant.

Joël Gombin : Son itinéraire politique me semble avoir été marqué par l'idée de "front national" dans le sens que l'on donnait à ce terme après février 1934, ou comme il avait été théorisé par Maurras. C'est l'idée que l'ensemble national et nationaliste doit s'unir. C'est ce qui motive Patrick Buisson : la frontière rendue infranchissable par Jacques Chirac entre la droite dite "parlementaire" ou "républicaine" et l'extrême droite.

Quel a été son rôle dans les évolutions du FN dans les années 1990 ?

Jean Petaux : Un des points forts de la rupture entre Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret a été celle du rapport à l’exercice du pouvoir. Le Pen n’en a jamais voulu, Mégret n’est rentré au FN, en bon Polytechnicien (sorti « dans la botte » de surcroît), que dans la perspective de gagner les élections et d’accéder au pouvoir. C’est, très clairement, la même différence qui a existé entre Jean-Marie Le Pen et Patrick Buisson. D’où la relation bien plus forte avec les mégrétistes pour ce dernier qu’avec la fraction « frontiste » historique, celle incarnée par Le Pen père. Buisson s’est pensé comme un « intellectuel organique » (terme gramscien s’il en est) pour l’extrême-droite, sans doute obsédé par l’envie d’influencer la stratégie du Front. C’est le propre de ces penseurs auto-proclamés « idéologues » : ils oscillent entre la fonction ancienne du « directeur de conscience » (terminologie empruntée au catholicisme, qu’ils détestent pour ses concessions à la modernité) et celle plus récente de « producteur de sens » mélangeant le statut de « think-tanker » et celui de « propagandiste en chef ». Alors ils peuvent rêver de faire venir de la matière grise pour innerver le mouvement ou le parti politique sur lequel ils ont jeté leur dévolu. Mais souvent ce rêve vire au cauchemar dans la mesure où les dirigeants de ces formations n’en ont rien à faire de leurs discours théoriques rasoirs et creux… Sans parler des militants de base qui les détestent autant que ces intellectuels verbeux les considèrent eux-mêmes comme des idiots.

Jean Garrigues : Il a exercé auprès de Jean-Marie Le Pen un rôle assez similaire à celui qu'il exercera ensuite auprès de Nicolas Sarkozy, à savoir une fonction de conseiller politique qui réfléchit sur les stratégies sans forcément être identifié totalement à la famille politique qu'il conseille. Il vient en effet d'un courant politique différent de celui du Front national (et encore plus de l'UMP). 

Joël Gombin : A ma connaissance, il n'a pas vraiment joué un rôle stratégique majeur. Il n'a jamais été membre du FN et est resté en marge des appareils politiques même s'il a clairement interagit avec ce parti. Outre sa collaboration avec le journal Minute, il a été le co-auteur d'un livre biographique à la gloire de Jean-Marie Le Pen. 

Cette entreprise du rapprochement des droites par les extrêmes s'est révélée un échec. Quel parti a-t-il pris ensuite ? De qui s'est-il rapproché, quel a été son rôle ? 

Jean Petaux : Patrick Buisson a su nouer quelques contacts avec certains proches de Charles Pasqua par les réseaux traditionnels d’une « droite dure » qui n’hésitait pas à faire le coup de poing. Mais également par quelques idéologues fervents défenseurs de la nation et de la souveraineté. L’un d’eux, par le SIEL (Souveraineté, Indépendance et Libertés) qu’il a fondé et qu’il préside, Paul-Marie Coûteaux, énarque, proche aujourd’hui de Marine Le Pen, représente bien ce type de passerelle. Il est élu Député européen sur la liste Pasqua-de Villiers en 1999, n’a jamais caché une certaine admiration pour Buisson, pour son « politiquement incorrect » et surtout pour sa capacité à conserver une ligne droitière intransigeante… Voilà exactement ce qui fait la séduction de Patrick Buisson auprès de certaines « voix » de droite : sa posture « à contre-courant », son style « iconoclaste » et son discours « décapant »… Tout cela étant bien sûr une pure construction…

Comment Patrick Buisson en est-il venu à se rapprocher de Nicolas Sarkozy ? En quoi ce rapprochement s'inscrit-il dans cet objectif de rapprochement des droites ? Comment y a-t-il alors œuvré ?

Jean Petaux : Je ne connais pas les détails de l’initiation de Patrick Buisson dans les rangs de la « Firme » (la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy). Mais j’emploie à dessein le terme « d’initiation »… Car on est bien dans des rituels quasi-anthropologiques, ici. Il me semble qu’il y rentre « en douce », réellement après l’élection de 2007. Peu importe la méthode et la manière. Ce qui compte c’est qu’il apparaît comme une personnalité dont le « logiciel » permet à cet extraordinaire pragmatique qu’est Nicolas Sarkozy d’explorer une nouvelle stratégie face à la montée de Marine Le Pen. Quelle plus belle recrue en effet que quelqu’un qui connait les codes et les modes de fonctionnement d’une de vos adversaires ? Sarkozy n’a pas fait affaires avec Buisson pour rapprocher les droites, il l’a accepté comme « apporteur d’idées » pour siphonner une nouvelle fois l’extrême-droite, comme il l’avait réussi en 2007 face à Jean-Marie Le Pen et comme il a voulu le refaire cinq ans plus tard face à la fille. Sauf que le challenge est bien plus difficile, puisqu’elle veut vraiment accéder au pouvoir… D’où la nécessité de monter en puissance dans le choix du renfort idéologique par rapport à 2007 et d’où l’intégration de Buisson dans le « premier cercle » du staff de campagne de 2012. 

Joël Gombin : Patrick Buisson a utilisé deux registres. Le premier est celui que la Nouvelle droite appelle le "métapolitique", c’est-à-dire l'idée que ce qui est primordial avant le combat politique, c'est le combat culturel, donc les visions du monde antérieures à l'idéologie politique. De ce point de vue-là, l'activité de Patrick Buisson à la chaîne Histoire relève de ce registre. Accessoirement, cela explique le rapport de Patrick Buisson au catholicisme, qui comme pour beaucoup dans la tradition maurassienne représente un élément central dans la structuration politique sans qu'ils soient eux-mêmes des catholiques de foi.

Le deuxième élément – beaucoup plus directement politique – a été le positionnement de Patrick Buisson comme un expert en matière de sondages et d'opinion politique. Il a créé une entreprise à cet effet et a commencé à conseiller un grand nombre de dirigeants de l'UMP et pas seulement Nicolas Sarkozy. Cela lui a permis d'exercer son influence directe sur la stratégie des campagnes électorales. Il y a vraiment ce double niveau, à la fois le métapolitique, et le politique.

Jean Garrigues : Il ne s'agit pas tant d'un rôle d'intermédiaire politique (comme ont pu l'être Pierre Juillet et Marie-France Garaud auprès de Pompidou) car Patrick Buisson s'est concentré sur l'action stratégique. Il n'est pas un homme de réseau, et je ne pense qu'il ait vraiment favorisé les liens des uns et des autres. Il oriente seulement la droite républicaine vers la droite dure.

De Minute à Valeurs Actuelles, en passant par le Figaro, Patrick Buisson a aussi exercé son influence dans la presse. Comment a-t-il appliqué sa stratégie aux médias ? Avec quels résultats ?

Jean Petaux : Vous oubliez la présidence de la chaîne « Histoire » dans votre liste. La stratégie de Buisson est classique pour un intellectuel qui demeure fasciné par la manière de faire des penseurs qu’il déteste, comme les grands successeurs de Marx, tels que Trotsky, Gramsci ou Althusser : faire de l’entrisme, être présent le plus possible dans tous les cercles médiatiques… Apparaître comme le référent capable de sortir l’extrême-droite de son ghetto. D’où le départ de « Minute », véritable impasse au profit de « Valeurs actuelles » beaucoup plus lu et bien plus adopté dans le monde des médias. Et ainsi de suite… « Step by step », l’intellectuel issu de l’extrême-droite devient plus fréquentable parce que, tout simplement, il est plus présent et présentable…

Joël Gombin : Il y a une double dimension. Patrick Buisson me semble être à la fois l'héritier d'une tradition maurassienne (il annonce clairement d'ailleurs que son maître intellectuel est Charles Maurras) qui s'inscrit dans le nationalisme, le catholicisme politique, et qui est ancienne en France, avec une rhétorique qui se réactive dans une partie de la droite sans se référer à la dimension royaliste (Maurras est d'ailleurs un nationaliste avant d'être un monarchiste). On peut qualifier cet aspect de "contre-révolutionnaire" et on le retrouve dans les organes de presse dans lesquels Patrick Buisson a œuvré, avec la manifestation d'un refus de la modernité, le rejet du progrès comme valeur en soi.

La deuxième tradition dans laquelle il s'inscrit, c'est la Nouvelle droite, où l'idée n'est pas de faire appel à un référent ancien mais de renouveler complètement le corpus idéologique de la droite. C'est une vision très intellectuelle du combat politique, où l'on pense que la puissance des idées suffit à leur diffusion au sein de la société et des partis. Patrick Buisson s'inscrit dans cette tradition en mesurant à sa juste valeur l'importance des médias comme vecteur de la diffusion de ce travail intellectuel notamment dans les milieux politiques. Clairement, Valeurs Actuelles ou le Figaro Magazine ont été des outils du combat métapolitique de la Nouvelle droite.

Jean Garrigues : En tant que patron de Minute, puis de Valeurs Actuelles, il a développé cette même ligne d'unité des droites. A Valeurs Actuelles, il a voulu influer le titre vers une imprégnation des valeurs de nationalisme, sécuritaires, anti-européennes, pour toucher l'électorat de la droite républicaine. On peut considérer qu'il y a eu une opération visant à rendre la presse de droite traditionnelle plus décomplexée face à des thématiques plus "identitaires" ou "sécuritaires". Dans le paysage de la presse de droite d'aujourd'hui – de Valeurs Actuelles au Figaro, en passant par le Figaro Magazine – on retrouve des thèmes que l'on ne trouvait pas dans les années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix, comme le souci de préserver l'identité nationale par exemple, ou la dénonciation du libertarisme de gauche.

Pourquoi tient-il tant à cette union des droites ? Que représente-t-elle pour lui ?

Joël Gombin : Il y a sans doute une dimension psychologique du personnage, mais au-delà cela traduit que pour toute une fraction de la droite, la division intangible avec l'extrême droite n'a pas de sens idéologiquement et intellectuellement. Il s'agit de faire prévaloir une logique intellectuelle sur les contingences de la vie politique et il faut pour cela trouver la bonne stratégie. Il cherche à mettre en place les conditions pour que cette réunification se fasse avec un prix politique minimal.  

Jean Garrigues : Je pense que cela représente, pour lui, la volonté de renforcer une vision de la société française qui s'oppose à celle de Mai 68. Ce qui l'anime, c'est une stratégie – au sens propre du terme – réactionnaire, c’est-à-dire un retour aux valeurs de la France d'avant 1968. J'y vois-là la marque de son héritage de l'Action française qui était un mouvement réactionnaire face aux valeurs de la République. Il ne s'agit plus maintenant de revenir sur la République, mais sur ce qui est perçu comme sa dérive "soixante-huitarde". 

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