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Pascal Picq : "Le vrai risque n'est pas celui de la robotisation mais celui de la paresse intellectuelle et physique au fur et à mesure des progrès de l'intelligence artificielle"
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Singe, Homme, IA

Qui dominera le monde entre l'IA, les Hommes ou les singes. La réponse n'est pas si évidente pour le célèbre paléoanthropologue, maître au collège de France. Entretien.

Pascal Picq

Pascal Picq

Pascal Picq est paléoanthropologue et maître de conférence au Collège de France. Il publie Un paléoanthropologue dans l'entreprise.

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Dans votre livre, vous faites le parallèle entre certains singes et les hommes politiques français. Est-ce que certaines réponses à nos problèmes sociétaux actuels pourraient se trouver dans l'étude des singes à défaut de celle des politiques ?

Il ne s'agit pas d'anthropomorphisme dans mon livre. Je pars de l'animal pour aller vers le candidat à travers des rapports analogiques J'ai extrait différents grands sujets de société (immigration, rapport de genres…) et pour chaque thème j'ai pris un singe qui est confronté aux mêmes problématiques dans le but de montrer que l'Homme n'est pas la seule espèce confrontée à ces questions. Il n'y a pas que l'Homme qui est confronté à tous ces problèmes, l'étude des singes a pu apporter des réponses, notamment sur les nominations de genre. Mais également sur des questions de fidélité, droiture, d'éducation…

Les bonobos sont une espèce particulière au vu de leur proximité avec l'humain. Lorsqu'on les observe, on remarque la genèse de la politique et on se rend compte que la politique a des millions d'années, a énormément évolué et continuera à le faire. Pour preuve, quand le mur de Berlin est tombé, Francis Fukuyama écrivait la "Fin de l'Histoire" avec comme finalité la démocratie libérale. On voit bien aujourd'hui que la politique a donné tort à Fukuyama en continuant à évoluer, notamment vers les réflexions qu'induisent les nouvelles technologies. Aujourd'hui, si nous ne sommes même pas capables de comprendre les grands singes, comment allons-nous être capables de vivre avec l'intelligence artificielle.

Comment jugez-vous les réponses données par les candidats à la présidentielle sur ces thématiques d'ubérisation de la société ou de développement de développement de l'intelligence artificielle?

Pascal Picq : Il n'y en a eu aucune à part Benoît Hamon qui a touché à la question du salaire universel. Mais ces questions ne sont pas récentes, elles commencent avec Utopie de Thomas More, à chaque fois qu'il y a un changement de société, la question du transhumanisme et de l'allocation universelle reviennent. A chaque fois.

Mais toutes les nouvelles formes de travail, de redistribution des richesses … Tout cela n'a pas été abordé en profondeur et les candidats se sont contentés de réponses pour l'immédiat. Du côté de la gauche de la gauche on veut "fonctionnariser" et à la droite de la droite, pour Fillon, on veut supprimer des postes de fonctionnaires. Cela ne fait rien avancer. Cela n'a aucun sens, ni d'un côté ni de l'autre. En ethnologie on peut faire le parallèle avec le travail de Nicolas Tinbergen avec les causes immédiates. On a des taux de chômage qui sont indéniablement haut, des problèmes dans le financement de la sécu… Sans être caricatural, les hommes politiques apportent des réponses dignes de la deuxième révolution industrielle alors que l'on est déjà dans la troisième voire dans la quatrième révolution industrielle.

On sait que le monde du travail va être bousculé c'est déjà le cas d'ailleurs par les nouvelles technologies. Nous n'avions jamais autant travaillé mais la partie rémunérée de notre travail est de moins en moins importante. La question que porte notamment l'intelligence artificielle n'est pas celle du travail mais du travail salarié. Comment va-t-il se maintenir, quelle sécurité de l'emploi et quelle rémunération ?

Pendant les trente glorieuses le choix a été fait de ne rémunérer que les métiers de production et ceux qui y sont associés. Ne peut-on pas envisager une nouvelle forme de société avec différentes formes de redistribution des richesses, surtout avec les robots qui arrivent. Et ces questions n'ont pas du tout été abordées pendant la présidentielle.

La question centrale que vous posez est au fond celle du travail. Qui va travailler dans les sociétés à l'avenir, le robot, le singe ou l'humain ? Et avec quelles conséquences?  Est-ce que le développement l'IA est synonyme de paresse intellectuelle ou physique pour l'homme.

J'ai ressorti les travaux d'un homme qui s'appelait Victor Meunier, un fondateur de la vulgarisation scientifique en France. Lui compte tenu de la misère qu'il y avait dans les conditions de travail il se demandait pourquoi ne pas utiliser les singes pour effectuer ces travaux. Il essayait déjà de libérer la société du travail laborieux.

C'est la même idée que l'on a vis-à-vis de l'intelligence artificielle. Qui va travailler in fine ? C'est la vraie question. Une société dans laquelle les hommes et les femmes sont libérés du travail de production qui est pénible peuvent s'adonner à la culture, à l'échange citoyen, l'épanouissement…

Comment passer d'une société basée sur le travail et les cotisations basées sur le salariat, à une société dans laquelle nous avons la possibilité de jouir de bien et de services sans sombrer dans "le syndrome de la planète des singes". Le monde a déjà évolué et nous n'avons eu aucune campagne présidentielle dans le monde qui abordait ces changements civilisationnels. Le vrai risque n'est pas celui des robots mais plutôt effectivement du développement de la paresse intellectuelle et physique au fur et à mesure que l'IA progresse. La "servitude volontaire" de La Boétie en somme.

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