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Pas de croissance infinie dans un monde fini ? La (très) fausse et dangereuse évidence des avocats de la décroissance
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

environnement et croissance économique

Le contexte des derniers jours est marqué par une remise en question globale des avantages de la croissance économique. Atlantico revient avec Mathieu Mucherie sur les arguments les plus classiques de ceux qui voient dans la croissance un ennemi à abattre.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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 Atlantico :   Dans un contexte marqué par la remise en question par Greta Thunberg, au sommet pour le climat, de la croissance économique, un scientifique tchèque, Vaclav Smil remet en question l’idée selon laquelle il est possible de concilier croissance économique et questions environnementales dans un livre. En quoi son point de vue mérite d’être entendu ?

Mathieu Mucherie : Il mérite d'être entendu parce que certains éléments de son discours sont intéressants, notamment lorsqu'il s'attaque à la question du sens. C'est un discours classique, dont l'idée majeure consiste à se poser la question : est-il nécessaire de consommer autant ?  Quel sens cela a d'avoir une quatrième maison, une quinzième voiture et passer tous les week-ends aller découvrir l'Europe ville par ville ? Il y a une question du sens qui est évidente et qui reste pertinente. Je reste tout de même sceptique sur la sobriété qu'il envisage. Peu de personnes accepteront une division par deux ou par trois de leurs dépenses. Les Grecs n'ont pas apprécié de perdre 25% de leur pouvoir d'achat. Revenir au niveau de dépenses par tête des années 1960, comme le propose ce scientifique, peu d'Européens accepteraient de subir cela. On a fond affaire généralement à des gens qui sont très loin des réalités économiques : c'est souvent le cas avec les scientifiques qui sont souvent ceux qui ont ce type de positions. 

L'argument de fond quand on regard en fait les choses de plus près, c'est souvent : il n'est pas possible d'avoir une croissance infinie dans un monde fini.

En quoi cet argument est selon vous déraisonnable ?

Je ne suis pas d'accord avec cet argument pour deux raisons. Le premier point c'est que la notion de ressources est extraordinairement élastique. Ce que vous considérez comme une ressource aujourd'hui, ce n'en sera pas une demain, et inversement ce qui n'est pas une ressource aujourd'hui en sera une demain. C'est l'exemple de l'insuline, du pétrole, des fréquences hertziennes. Ces choses ont toujours existé et sont devenues des ressources quand on a fini par les exploiter. Avant de les exploiter économiquement, ces éléments n'étaient pas des ressources. Deuxièmement raison : il suffit de s'intéresser au new space, aux fusées et au système solaire pour voir que cet argument est une absurdité totale. Dire que les ressources sont finies, c'est une absurdité totale. C'est une vision terrienne, centrée sur nos capacités actuelles que d'imaginer cela. 

Vous dites qu'il est difficile de dire aux populations de renoncer à leur niveau de vie. Est-ce que ces discours ont quelque chose de totalitaire ?

C'est vrai : quelle est la légitimité du planificateur social qui déterminerait la consommation légitime et la consommation illégitime ? Si vous voulez allez au bout de la démarche écologiste, il faut arrêter le processus démocratique. Si vous avez des contre pouvoirs, une démocratie, une justice, il est impossible d'aller très loin en matière de transition écologique, parce que vous avez besoin de l'avis de tout le monde. Or très peu ont envie de voir leur niveau de vie diminuer. 

N’oublie-t-on pas un peu trop vite que la croissance est aussi à la mesure de notre capacité d'innovation qui règle la plupart des questions humanitaires ? 

C'est effectivement important. Le chaînon manquant dans votre question, c'est l'emploi. On n'a pas encore réussi à trouver le moyen de créer suffisamment d'emplois, de suffisamment bonne qualité, sans croissance. Il ne faut pas être buté : peut-être qu'on arrivera à trouver une organisation économique qui nous permette, pour les 500 000 jeunes qui arrivent sur le marché du travail chaque année, de trouver des métiers épanouissants, mais payés 30% de moins pour respecter les contraintes écologiques... Soyons imaginatifs... En tout cas, on n'a pas réussi pour le moment à faire en sorte de trouver ces emplois sans une marée montante générale. C'est pareil pour la redistribution : il est beaucoup plus difficile de partager les parts d'un gâteau quand le gâteau est en train de stagner ou de se réduire. En général, les couteaux commencent à s'aiguiser. Il y a donc une sous-estimation du rôle sociétal de la croissance chez ceux qui défendent des positions décroissantes. 

Vous dites donc que la croissance est un moteur essentiel de règlement des problèmes de base sur le plan humanitaire tout en montrant qu'on ne peut pas aller au bout de la logique de la décroissance sans de l'autoritarisme. Que fait-on pour les pays qui veulent se développer ? Que dit-on au continent africain par exemple ? 

Selon les projections centrales de l'ONU, il y aura 3,8 milliards d'africains en 2080. C'est un pool de démographes, qui sont sérieux. C'est l'équivalent du GIEC pour la démographie. La transition démographique est quelque chose de bien documenté. L'ONU n'a pas intérêt à maximiser le nombre d'africains en 2080 pourtant. Il y a pour le moment 1,1 milliard d'habitants en Afrique. Quand on a ce genre d'ordres de grandeur en tête, on se demande comment les questions vont être gérées. 

Pour autant, la démographie est une chose, l'économie en est une autre. La consommation par tête n'est pas aussi figée. Par exemple, les populations africaines sont passées directement d'une absence de téléphonie au téléphone portable. Leur courbe de développement est donc totalement différente de ce qu'on a connu en Europe. Leur mode de consommation sera donc très différence de ce que nous, on a connu en termes de parcours. Ils auront un itinéraire beaucoup plus "serviciel" que nous par exemple. 

Comment bien traiter ces populations ? On n'est pas en mesure de leur proposer quoique ce soit en termes de modèle. On n'a déjà pas un modèle nous-mêmes. Nous ne sommes pas un modèle sur le plan énergétique en Europe (excepté la France). Nous ne sommes pas non plus des modèles sur le plan historique. Il n'y a pas un projet unique à proposer. Ce n'est donc pas cela qu'il leur faut proposer, mais ce sont des technologies. 

Qui en Europe a intérêt à démissionner sur les questions de la croissance, au-delà de la simple influence idéologique ? 

L'autre versant de ce genre d'opinion, c'est qu'ils donnent un énorme prétexte aux banquiers centraux et à tous ceux qui veulent démissionner sur la questions de la croissance. Tous ceux qui nous japonisent et qui sont dans la logique suivante : à quoi bon des politiques monétaires pour plus d'inflation et de croissance ? Après tout, se disent-ils, tout est structurel et fiscal. Tous ces gens-là n'attendent qu'une seule chose : des prétextes pour ne pas agir. Ils veulent des prétextes pour arrêter le quantitative easing, des prétextes pour ne pas faire d'hélicoptère monétaire, des prétextes pour ne pas tenir leurs objectifs d'inflation (ce qui est pourtant leur mandat), tous ces gens-là cherchent des excuses. On est en train de leur donner dans un petit paquet cadeau l'explication qui va leur permettre de ne pas remplir leurs objectifs. Ces scientifiques qui ne connaissent rien à la politique monétaire leur donnent un petit paquet cadeau écologiste qui va permettre aux banquiers centraux de ne pas en faire plus. En réalité, ceux qui ont intérêt à ne pas en faire plus (les rentiers, les rentiers allemands notamment) se frottent les mains. L'écologie est en train d'être téléportée et donne une excuse en béton armée à ceux qui nous dirigent pour ne pas agir de façon contracyclique. 

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