Pas de bébés tant que Zika est là : concrètement, quelles conséquences pour les pays qui appellent à reporter les naissances ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Plusieurs gouvernements des pays d'Amérique du Sud ont récemment conseillé à leurs habitants d'attendre avant de se lancer dans des projets de grossesse. Mais pour certains il est trop tard...
Plusieurs gouvernements des pays d'Amérique du Sud ont récemment conseillé à leurs habitants d'attendre avant de se lancer dans des projets de grossesse. Mais pour certains il est trop tard...
©Reuters

Contrôle des naissances

Plusieurs gouvernements des pays d'Amérique du Sud ont récemment conseillé à leurs habitants d'attendre avant de se lancer dans des projets de grossesse. Motif ? Le virus Zika, qui sévit dans ces pays, est suspecté de provoquer des malformations chez le fœtus.

Gabriel Zignani

Gabriel Zignani

Gabriel Zignani est journaliste.

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Zika sème la zizanie en Amérique latine. Ce virus, propagé par des moustiques du type Aedes, dont le moustique tigre, est soupçonné de provoquer des cas de microcéphalies chez les nouveaux-nés, maladie qui se manifeste par une tête anormalement petite et des lésions cérébrales. Depuis octobre 2015, moment où l'épidémie a pris de l'ampleur, 404 cas de bébés atteints de microcéphalie ont été recensés au Brésil, selon le ministère de la Santé, contre 147 confirmés sur l'ensemble de l'année 2014. Ce chiffre pourrait d'ailleurs être revu à la hausse, puisque 3670 autres cas suspects restent à élucider pour cette même période. Zika est aussi suspecté, suite à une étude publiée le 9 février dernier dans le journal médical Jama, d'être responsable de lésions oculaires aux conséquences très graves sur la vision.

Rien qu'au Brésil, la maladie a déjà touché plus d'un million de personnes. Il n'existe aujourd'hui aucun vaccin ou traitement contre Zika, mais cela ne dérange pas outre mesure les 80% de patients atteints par le virus qui ne montrent aucun symptôme. Par ailleurs, le lien précis entre le virus et les malformations chez le fœtus reste flou. Pour le moment, le combat se résume à pulvériser des pesticides, à couvrir sa peau avec des vêtements longs, à utiliser du répulsif anti-moustiques et à détruire ou vider les réserves d'eaux stagnantes où se développent les larves de moustiques (flaques d'eau, pneus usés, jouets d'enfants, seaux...). La communauté scientifique songe également à la possibilité de modifier génétiquement certains moustiques, pour qu'ils tuent les moustiques porteurs du virus.

En conséquence, les gouvernements de plusieurs pays ont pris une décision sans équivalent dans l'histoire : ils recommandent à la population de ne pas faire d'enfants pour le moment. "Je peux vous dire que je n'ai jamais lu ou entendu parler d'une demande publique semblable à celle-ci", s'étonne David Bloom, professeur d'économie et de démographie à Harvard, dans le New York Times.

Fin janvier, plusieurs pays ont en effet lancé une alerte à leur population, lui déconseillant d'avoir des enfants dans les prochains mois. Il s'agit notamment de la Colombie, de l'Equateur, de la Jamaïque et du Honduras. Le Brésil a vite rejoint le mouvement, en allant même jusqu'à conseiller aux couples d'attendre la fin de l'épidémie. Le Salvador voit quant à lui plus loin, en déconseillant aux femmes de tomber enceinte avant 2018.

Les conséquences socio-économiques ne devraient pas être trop importantes

Les conséquences socio-économiques de ces recommandations sont difficiles à définir, surtout du fait du manque de données concernant la durée de l'épidémie et l'ampleur qu'elle va prendre. Ancien démographe aux Nations Unies, Jose Miguel Guzman s'est exprimé dans The Atlantic. « Chaque année, il y a entre dix et onze millions de naissances en Amérique latine, pour une population totale de 635 millions d'habitants. Donc même un arrêt total des naissances pendant un an n'affecterait pas réellement la population totale. » Mais cela pourrait causer une décélération de la croissance de la population dans la région, voire une arrivée plus précoce que prévu du déclin de la population.

« La variable la plus importante sera la durée de l'épidémie. Si elle ne dure pas plus d'un ou deux ans, elle pourrait provoquer un trou conséquent dans la pyramide des âges. Il y aura une ou deux années avec moins d'enfants dans les classes. Mais les années suivantes auront deux fois plus d'élèves », estime-t-il. « Dans ce cas, les répercussions socio-économiques seront probablement minimes. »

« Mais si l'épidémie dure plus de cinq ans, cela pourrait changer la donne. Dans ce scénario, pour l'instant vraiment hypothétique, toute une frange des femmes, qui remettent à plus tard leurs idées de tomber enceinte, et qui attendent la fin de la crise Zika, auront alors plus de 35 ans. Un âge où les grossesses comportent plus de risques, et un certain nombre de ces femmes n'auront plus l'opportunité d'avoir des enfants. » Un trou qui pourrait ne pas être totalement comblé par l'augmentation d'après crise, ce qui mènerait à une génération moins nombreuse que ce qu'une situation normale aurait voulu. Un décalage important dans la pyramide des âges pourrait créer certains problèmes en Amérique latine, où l'économie informelle est importante et où la population ne met pas beaucoup d'argent de côté pour l'avenir. Les personnes âgées sont ainsi souvent dépendantes matériellement de leurs enfants, voire de leurs petits-enfants.

Les spécialistes sceptiques sur le suivi de ces recommandations par la population

Dans certains pays d'Amérique latine très catholiques, ces recommandations vont à l'encontre des lois anti-avortements. C'est notamment le cas au Salvador. Difficile de demander à une femme de ne pas accoucher pour une question de santé publique, alors que dans le même temps l'avortement est considéré comme un crime.

Mais ce n'est pas tout. En Amérique latine, la plupart des naissances ne sont pas planifiées. Une étude publiée en 2014 par le Guttmacher Institute montre que le taux de grossesses inattendues en Amérique latine est le plus élevé du monde, avec un taux de 56%, contre 40% de moyenne au niveau mondial. Le docteur Ernesto Selva Sutter, un expert en santé publique du Salvador, résume la situation dans le New York Times : « Quelle futilité. Qui va arrêter d'avoir des relations sexuelles juste parce que le gouvernement le demande ? »

« Pour appliquer ces recommandations, il faudrait que les couples aient accès à des méthodes de contraception. Et ce n'est pas encore réellement le cas en Amérique latine. » Une difficulté d'accès davantage prononcée pour les segments pauvres de la population, et notamment les adolescentes, dans la région du monde où les inégalités économiques sont les plus fortes.

Les pauvres touchés davantage

Jose Miguel Guzman pointe le fait que d'autres virus transportés par des moustiques, comme la malaria, avaient affecté davantage les plus démunis. « Dans le cas présent, sur les populations les plus pauvres, les conséquences de Zika seront plus graves, car elles n'ont pas accès aux meilleurs soins. Et en plus, ces mêmes populations sont celles qui ont le moins accès à la contraception. C'est la pire combinaison possible. »

Ces recommandations illustrent en fait le désespoir des gouvernements de pays touchés face à une situation qu'ils ne maîtrisent pas. L'Organisation mondiale de la santé a également pris la parole pour recommander l'usage du préservatif dans les zones touchées par Zika. Mais pas tout à fait pour les mêmes raisons. Des virus actifs ont effectivement été récemment retrouvés dans les fluides corporels de patients infectés, et il n'est pas exclu que la maladie puisse se transmettre par voie sexuelle. L'organisation a ainsi précisé : « En attendant d'en savoir plus, tous les hommes et les femmes vivant dans des zones où Zika est présent, ou qui en reviennent, en particulier les femmes enceintes ou leurs partenaires, doivent être informés du risque potentiel de transmission par voie sexuelle et adopter des pratiques sûres. »

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