Partie de rien, vraiment ? Les mystères de la fortune de Ioulia Timochenko<!-- --> | Atlantico.fr
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En 1984, après ses études, Ioulia Timochenko commença à travailler dans une usine d’armement de sa ville natale.
En 1984, après ses études, Ioulia Timochenko commença à travailler dans une usine d’armement de sa ville natale.
©Reuters

Bonnes feuilles

Crimes non élucidés, affaires de sexe et d’argent, anciens espions du KGB : l'enquête de Frank Schumann écorne la figure emblématique de Ioulia Timochenko, ancienne égérie de la révolution orange en Ukraine. Extrait de "La princesse du gaz" (1/2).

Frank  Schumann

Frank Schumann

Frank Schumann, journaliste de 1978 à 1991 pour un grand quotidien allemand, a créé sa maison d’édition, Ost. Il est l’auteur de plusieurs bestsellers en 2012, dont L’homme qui voulait sauver la RDA.

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Mon chauffeur de taxi fait sans aucun doute partie des Ukrainiens qui n’aiment pas particulièrement Timochenko. Peu importe qu’elle ait passé son enfance dans la cour d’un immeuble de Dnipropetrovsk, où habitaient essentiellement des chauffeurs de taxi ; cour d’immeuble où elle prenait des leçons de vie, comme l’ont écrit, avec beaucoup de sensibilité, ses deux biographes, Dimitri Popov et Ilia Milstein. Sa mère, Ludmila Telegina, gérait les courses des taxis employés par l’entreprise locale. « J’ai appris dans l’enfance qu’un sou est un sou et que l’on ne peut compter que sur soi-même », avait révélé Timochenko aux deux journalistes. Une autre leçon de vie est celle du soi-disant code de l’honneur entre copains de la cour de l’immeuble : « Un coup, ça se rend tout de suite. L’attaque est la meilleure défense. On doit toujours se battre même si on n’a aucune chance de gagner. On peut perdre beaucoup en le faisant mais cela permet de garder la face et de conserver ainsi la chance de récupérer un jour ce que l’on a perdu. Celui qui se rend perd tout et pour toujours. »

À dix-sept ans, Ioulia Telegina faisait la connaissance d’Alexandre Timochenko; à dix-huit, ils se mariaient ; à dix-neuf, elle accouchait de sa fille, la fameuse Evguenia. À ce moment-là, elle avait déjà commencé ses études d’ingénieur. On sait peu de choses sur son mari, mais un peu plus sur le père de celui-ci, Genadi Timochenko, un cadre diplômé de l’administration, qui fit autrefois des recherches à l’université de Lviv sur les crimes nazis en Ukraine, pendant l’occupation. Il avait été le premier à déceler le potentiel hors norme de sa belle-fille. Genadi Timochenko appartenait à un véritable clan. Il fréquentait toute la nomenklatura de Dnipropetrovsk : Koutchma, qui deviendrait Président, Lazarenko et Pustowoitenko, les futurs Premiers ministres. Cette situation en vue dans la société soviétique valut quelques privilèges qui permirent d’ajouter un luxe rare au nouveau bonheur : un petit appartement fut attribué au couple Timochenko, pour eux seuls ; ce qui, à l’époque, était inhabituel. En raison de la pénurie terrible de logements en Union soviétique, bien souvent, plusieurs familles devaient partager un même appartement.

En 1984, après ses études, Ioulia Timochenko commença à travailler dans une usine d’armement de sa ville natale. Elle fabriquait des appareils qui mesuraient les ondes. Au dehors, on disait qu’on y fabriquait les réfrigérateurs prisés de la marque « Dniepr » ! Réussir à protéger cette légende, malgré près de 8 000 employés, chapeau ! Concrètement, notre ingénieure diplômée, Ioulia Timochenko, s’occupait de la comptabilité. Et cette jeune femme ambitieuse, cette komsomolka  de milieu modeste, aurait certainement pu devenir membre du Parti communiste de l’Union soviétique, si le Parti n’avait veillé scrupuleusement au respect de ses fondements : les ingénieurs n’étaient plus considérés comme des travailleurs ! C’est ainsi qu’involontairement, le Parti communiste soviétique lui permit de se faire une virginité qu’elle saurait afficher plus tard. Après l’effondrement de l’URSS, elle expliquait fièrement n’avoir jamais été membre du Parti. Elle le martelait comme si elle avait été une résistante et s’était opposée de toutes ses forces à la contrainte.

Au bout de cinq ans, elle quittait l’entreprise, dont l’existence était l’une des raisons pour lesquelles Dnipropetrovsk restait une ville interdite aux étrangers, et créait – la Perestroïka lui en donnant la possibilité – un commerce de location de vidéos. Le beau-père de Timochenko dirigeait – quel hasard ! – la vidéothèque de la région de Dniprope- trovsk. Le business devait été très lucratif. Lorsqu’on s’interroge sur les origines de la fortune de Timochenko, le mystère demeure entier. Elle ne laisse rien filtrer. Mais d’où pouvaient bien provenir les 5 000 premiers roubles qui l’ont conduite à ouvrir son magasin de location de vidéos ? Cela correspondait tout de même au salaire d’un ingénieur pendant deux ans, soit 8 000 dollars. Quand elle dut s’expliquer sur le sujet, elle assura qu’elle avait emprunté cette somme à des amis de son beau-père, sans l’en avertir. La location de vidéos n’était qu’une partie de l’entre- prise, « Le Terminal », qu’elle dirigeait avec son mari. Cette coopérative du Komsomol organisait également des concerts avec des groupes de rock. Gagner de l’argent devint pour Ioulia une drogue. Il fallait en gagner de plus en plus et rien, désormais, ne pourrait l’arrêter dans cette quête fascinante.

 Extrait de  "La princesse du gaz - Espions, amours et corruption : enquête sur Ioulia Timochenko, ex-Premier ministre d'Ukraine" , Frank Schumann, (Editions du moment), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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