Parrainages : le grand bal des hypocrites<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen a présenté ses mesures et son programme pour l'économie lors du grand oral à l'initiative du Medef, devant des entrepreneurs.
Marine Le Pen a présenté ses mesures et son programme pour l'économie lors du grand oral à l'initiative du Medef, devant des entrepreneurs.
©Eric PIERMONT / AFP

Présidentielle 2022

En suspendant sa campagne jusqu’à l’obtention de ses 500 parrainages, Marine Le Pen joue la dramatisation. Et place nombre de ses concurrents au pied du mur de leurs contradictions. Quelle logique y-a-t il à suggérer d’aider les candidats qui ne les auraient pas pour les traiter ensuite comme des candidats à la fois hors du champ républicain mais bien pratiques pour recréer un clivage politique favorable au macronisme…?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Cette pré-campagne présidentielle est marquée par une inquiétude importante concernant l’obtention des 500 parrainages. Dans quelle mesure ce système souffre-t-il de biais ? A quel point est-il conditionné à des disciplines de parti et des pressions ?

Christophe Boutin : La question des parrainages s'invite à nouveau dans notre actualité politique, comme elle le fait de manière maintenant régulière. Dans l'ouvrage que nous venons de faire paraître avec mon collègue et ami Frédéric Rouvillois, Les parrainages, ou comment les peuples se donnent des maîtres, nous avons fait l'historique de leur évolution sous la Ve République, et suivi justement cette dramatisation que vous évoquez, et qui se cristallise en fait à partir du moment où ils sont rendus publics, c'est-à-dire après la loi de 1976.

On sait que ces parrainages ont été mis en place pour éviter que des candidatures trop fantaisistes viennent nuire au sérieux de la campagne présidentielle et atteignent ainsi l'image d’une institution qui est aujourd’hui plus que jamais la clé de voûte de notre système politique. Des débats ont eu lieu sur le nombre de parrains, de Gaulle souhaitant un nombre minimum, 100, quand d'autres, Georges Pompidou ou Valéry Giscard d'Estaing, proposaient d’aller jusqu'à 5 000 parrains. L’un voulait faciliter la confrontation entre « un homme et un peuple », les autres établir un filtrage important par ces élus auxquels on avait retiré l'élection du président de la République pour la confier au peuple en 1962, avec l’introduction du suffrage universel direct.

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Mais le premier « biais » dont souffre ce système est lié à la publication des noms des parrains plus qu'à leur nombre (500 actuellement). Il y a en effet plus de 40 000 parrains potentiels, mais un tiers seulement d'entre eux accorde de nos jours sa signature à un candidat. Pourquoi cette frilosité ? Sans doute pour ne pas afficher ce qui, qu’on le veuille ou non, ressemble toujours à un soutien en faveur du candidat parrainé, et qui, dans le cas d’un candidat « clivant » ou « controversé », pour parler la langue de bois habituelle, peut ne pas être sans conséquences pour le parrain.

Car, comme vous le signalez, des pressions existent en effet sur ces élus, et notamment ici sur les maires des petites communes – le plus important vivier de parrains. La première pression, à ne pas négliger, est celle des électeurs qui, surpris par le choix de leur maire, pourraient aux élections suivantes ne pas renouveler son mandat. Mais il faut aussi évoquer le poids des intercommunalités dans lesquelles ces communes sont maintenant intégrées, et au sein desquelles aucun maire n'a intérêt à être ostracisé, si tant est du moins qu’il souhaite bénéficier, pour lui-même de fonctions parfois lucratives, et pour sa commune de subventions. Et cette dernière perspective des subventions nous amène à une autre pression possible, celle cette fois des services de l'État, et notamment du représentant de l'État dans le département, un préfet qui peut, disent les mauvaises langues, soutenir telle ou telle collectivité en fonction du choix de l'élu qui la représente.

Enfin, bien sûr, mais cela ne concerne ici qu'une partie des élus, car beaucoup de maires de petites communes ne sont pas encartés politiquement, il y a la question de la discipline partisane, et on a vu notamment dans cette élection Geoffroy Didier déclarer que les maires des Républicains qui n'apporteraient pas leur soutien à Valérie Pécresse « s’excluraient eux-mêmes des Républicains, de fait ».

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Ces pressions diverses et variées n’expliquent bien évidemment pas tout, mais il est indéniable que la fin de l'anonymat initial des parrainages n'a pu que renforcer leur poids.

Quelle est la part de risque réel pour les grands candidats (Marine Le Pen, Mélenchon, Zemmour, Taubira) et la part de dramatisation des enjeux ?

Écartons si vous le voulez bien le cas particulier de Christiane Taubira, certes ex-candidate à l’élection présidentielle, et ancienne ministre, mais  qui ne semble pas ici être un « grand candidat » en ce sens que sa candidature ne semble pas véritablement soulever les foules (elle est autour de 2% des intentions de vote). Les choses sont différentes pour une Marine Le Pen et un Éric Zemmour, qui sont dans les sondages à 16 % d'intentions de vote, et pour un Jean-Luc Mélenchon qui est lui au-dessus des 11 %.

Ce n'est pas la première fois que des candidats peinent à obtenir leurs 500 signatures, et cela a notamment été le cas par le passé de manière assez régulière pour le candidat du Front puis Rassemblement national. Rappelons d'ailleurs que Jean-Marie Le Pen n'a pu se présenter à l'élection présidentielle de 1981 faute d'avoir pu obtenir les 500 signatures, à la suite, disait-il, d'une manœuvre du RPR de Jacques Chirac, puisque certains maires de cette formation lui auraient promis leur signature avant de retirer cette promesse au tout dernier moment, alors qu'il ne lui était plus possible d'en trouver de nouvelles.

Il est vrai, que la quête des signatures est un travail à temps plein pour ceux des candidats potentiels qui ne disposent pas du soutien d'une structure partisane ayant un nombre suffisant d'élus nationaux ou locaux. Il faut alors démarcher les édiles, par téléphone, par messages informatiques, mais aussi par des contacts directs, et tout cela demande beaucoup de temps, un temps qui n'est pas consacré à la préparation de la campagne présidentielle. Cela peut de plus coûter cher, et ces dépenses ne sont pas prises en compte dans le remboursement qui peut être accordé aux candidats à la présidentielle.

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En 2012, le Conseil constitutionnel s'était inquiété de cette dramatisation excessive que vous évoquez, considérant que certains candidats potentiels pouvaient jouer sur ce risque de ne pas obtenir les signatures pour adopter une posture de victime. Il évoquait alors « la possible instrumentalisation de cette procédure dans le débat public, du fait de la diffusion de rumeurs tendant à suggérer tantôt que telle personne dispose de présentations en nombre suffisant, même avant l'ouverture de la période de dépôt de ces documents au Conseil constitutionnel, tantôt, à l'inverse, de faire accroire qu'elle en dispose en quantité insuffisante, afin d'influer sur les éventuels présentateurs ». Le Conseil pensait résoudre la question en obligeant les parrains à lui envoyer leurs formulaires par voie postale… on voit bien ici que le problème est ailleurs.

Il semble bien en effet que nous n'en soyons plus en 2022 à ces rumeurs et instrumentalisations – si tant est que nous l'ayons jamais été -, et que les menaces pesant sur les trois politiques évoqués sont bien réelles. À preuve, Jean Castex annonçait hier soir mardi qu’il allait organiser jeudi une réunion de l’ensemble des associations d’élus locaux, en présence des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, pour leur rappeler que « parrainer n’est pas soutenir », et ce alors que moins de parrains se sont manifestés à ce stade (9 617 le 22 février) que lors des dernières élections.

David Lisnard, président de l’AMF a annoncé parrainer Mélenchon par “esprit Républicain” tandis que François Bayrou a mis en place une forme de banque de parrainage et Jean Castex a exhorté les élus à parrainer des candidats, estimant que c’est un “acte démocratique”. Dans quelle mesure est-ce un vrai souci de la démocratie ? Faut-il y voir un calcul politique pour avoir les adversaires que l’on s’est désigné ?

Le souci pour la démocratie est évident : si Éric Zemmour, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon n'obtenaient pas leurs 500 signatures, cela écarterait de cette élection présidentielle trois candidats représentant actuellement 44 % des intentions de vote. Pour un seul d’entre eux ce serait entre 11 et 17% selon le cas d’électeurs potentiels qui seraient privés de candidats, et ce alors que sont d’ores et déjà à même de se présenter Nathalie Arthaud, créditée de 0,5% d’intentions de vote, Fabien Roussel (4,5%), Jean Lasalle (1,5%), et, bien sûr, Anne Hidalgo (3%, mais 1 177 parrainages, soit 3,4 fois plus que les 350 d’Éric Zemmour). Comme le notait le Conseil constitutionnel en 2012, « l'actuel dispositif de présentation ne réserve pas l'accès au premier tour de scrutin aux seuls candidats qui bénéficient d'un minimum de représentativité dans la vie politique française. »

Bien sûr, le sondage du Cevipof (février 2022) qui s'est intéressé à la question, montre que, pour une majorité de Français, l’absence de ces candidats pourtant soutenus par un fort courant d’opinion serait certes regrettable, mais pas rédhibitoire, et que l'élection qui se ferait dans ces circonstances ne serait pas pour autant illégitime. On peut être beaucoup plus réservé sur ce point, car personne je crois n'a véritablement intérêt à ce que notre démocratie fonctionne avec un filtre aussi étanche au moment où montent les revendications d’un peuple qui entend pouvoir reprendre son destin en mains : si la démocratie représentative ne fonctionne pas, et en l’absence d’éléments réels de démocratie directe (le référendum citoyen), ne reste en effet plus que la rue pour espérer changer de politique.

Quand à la part de calcul politique, de stratégie géniale de « spin doctor » inspiré, elle peut aussi effectivement exister. On peut, par exemple, faire participer au premier tour un candidat de notre bord politique dont on sait qu'il ne nous empêchera pas de parvenir au second tour, constituant ainsi une potentielle réserve de voix. On peut, inversement, perturber un adversaire potentiellement dangereux en permettant à l'un de ses rivaux d'être présent au premier tour, ce qui peut, par la fragmentation des voix, empêcher le premier de se trouver au second. De telles tactiques ont existé dans les élections précédentes, et nous avons dans notre ouvrage cité quelques exemples, comme ceux de François Mitterrand poussant Marie-France Garaud en 1981 pour gêner Jacques Chirac, de ce même Jacques Chirac soutenant Bruno Mégret pour gêner Jean-Marie Le Pen en 2002, et tant d’autres encore.

Dire que la démocratie en sort grandie serait sans doute exagéré. On comprend donc que 53 % des Français seulement pensent que le système actuel est « un bon système », et que 47% le voient comme mauvais « car il peut conduire à ce que certains candidats qui représentent les idées d’un nombre important de Français ne puissent pas se présenter » (Sondage Ipsos Cevipof/Le Monde, février 2022).

Mais les solutions proposées sont peu convaincantes : la « banque de parrainages » semble peu compatible avec le choix personnel du présentateur – pas plus d’ailleurs que les pressions exercées pour permettre à tel ou tel d’être présent -, et le parrainage citoyen bute sur la même question centrale de l’anonymat d’un choix qui n’arrive pas à être vu comme neutre – le tirage au sort ayant été en sus interdit par le Conseil constitutionnel comme portant atteinte à la dignité des opérations !

Quelle logique y a-t-il à suggérer d’aider les candidats qui n’auraient pas leurs parrainages pour les traiter ensuite comme des candidats hors du champ républicain contre lequel on brandit, éventuellement le front républicain et la menace autoritaire ? Cela relève-t-il d'une stratégie politicienne et quelque peu hypocrite ? 

Voilà une excellente question, qui dévoile en effet un bien curieux non-dit. Comme vous le signalez très justement, à partir du moment où l'on estime que quelqu'un ne fait pas partie du « champ républicain », on ne voit pas pourquoi on devrait lui apporter des parrainages pour lui permettre de participer à une élection, et même ici à l'élection la plus importante de notre République.

Mais voilà, d'un autre côté, le gardien scrupuleux de la République ne saurait oublier que ce candidat potentiel qu’il récuserait volontiers comme indigne a des électeurs, et des électeurs dont il sera peut-être bien content qu’ils se portent sur lui au second tour. Des électeurs qu'il importe donc peut-être de ne pas trop les brusquer en interdisant à leur poulain d'être présent au premier tour.

Le choix est rendu plus facile lorsque que vous appelez haut et fort à parrainer tous les candidats qui manquent de voix, mais que dans la pratique vous en privilégiez certains. Quand David Lisnard choisit d’apporter à Jean-Luc Mélenchon son parrainage citoyen, arguant du fait qu'il s’agit du candidat le plus éloigné de ses idées politiques, il n’oublie peut-être pas non plus que ce n’est certes pas, parmi ceux qui manquent de signatures, le plus à même de concurrencer directement Valérie Pécresse, présidente du parti politique auquel il appartient.

Il est certain en tout cas qu’aujourd’hui, tenant compte des évolutions des structures, des hommes et des contextes,  la stratégie du « front républicain » face à un fascisme fantasmé a perdu en crédibilité en 2022.

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