Paris, star du modèle de la ville du quart d’heure… et des ghettos sociaux auto infligés<!-- --> | Atlantico.fr
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Anne Hidalgo, la maire de Paris, photo AFP
Anne Hidalgo, la maire de Paris, photo AFP
©BERTRAND GUAY / AFP

Des dangers de l'utopie

Anne Hidalgo s'engageait, en 2020, à transformer Paris en "ville du quart d'heure". Alors en campagne, la future maire assurait que dans la capitale, les services essentiels seraient toujours à un quart d'heure à pied ou à vélo de l'endroit où l'on habite. Une utopie plus dangereuse qu'il n'y paraît.

Alain Bertaud

Alain Bertaud

Alain Bertaud est urbaniste et, depuis 2012, chercheur senior au NYU Marron Institute of Urban Management.

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Atlantico : C'était l'une des promesses de campagne d'Anne Hidalgo pendant la campagne des municipales de 2020 : faire de Paris la ville du quart d'heure. Derrière cette formulation se cache un concept esquissé par l'urbaniste, Carlos Moreno. Il a établi une liste de services essentiels qui, s'ils sont à distance d'1/4 d'heure à pied ou à vélo, permettent de vivre heureux et écologiquement. La méthode utilisée est-elle valable ?

Alain Bertaud : Non, bien sûr. Moreno parle d’un “ big bang” d’accessibilité à Paris. Il n’y a pas eu de big bang, et il n’y en aura pas ! Pour une raison simple : le nombre de commerces, d’écoles, d’établissements de spectacles, et d’emplois ne dépendent ni du maire, ni des urbanistes. Les règlements d’urbanisme peuvent empêcher des commerces et autres utilisations du sol de se créer, ils ne peuvent pas les créer. A moins de nationaliser les boulangeries, mais cela demanderait un changement de constitution, pas un décret municipal. Étrangement, Moreno n’a aucune idée du fonctionnement de l’économie urbaine dans une démocratie.

En matière de médecins, d'écoles, de commerces ou d'équipements sportifs, les Parisiens ne sont pas tous logés à la même enseigne. Il existe de grosses disparités entre les différents quartiers de la capitale. Est-ce une des limites de la méthodologie utilisée par Carlos Moreno ? 

Oui, pour les écoles, le ministère a des normes qui suivent la démographie d’un quartier. Aucune école ne peut être en dessous d’un certain nombre d’élèves. Donc dans un quartier ou la densité de population est élevée il y aura plus d’écoles au km2 (donc plus près des logements) que dans un quartier où la densité est faible. L’emplacement des écoles publiques ne dépend pas du maire, mais du budget de l’Education Nationale, de la densité, et de l’âge de la population. Par exemple, dans le 16ème arrondissement, il y a moins d’écoles que dans le 20ème, parce que la population est plus âgée dans le 16ème. Pas de big bang possible de ce côté-là. 

Pour le secteur privé, écoles privées, médecins, commerces, etc , la viabilité d’un établissement et sa localisation dépendent de la démographie, mais aussi du revenu des ménages. Une clinique de chirurgie esthétique ne va pas s’installer dans une cité HLM. La municipalité de Paris ne décide pas où un médecin va s’établir.

Dans la ville du quart d'heure, tout le monde, familles ou amis, est censé avoir le même niveau de vie et donc le même pouvoir d'achat immobilier. Ce modèle efface-t-il le concept de mixité sociale ? 

Oui, cette homogénéité de revenue est implicite dans la ville du quart d’heure car le concept dépend d’une densité minimale et d’un niveau de revenu. On pourrait calculer à Paris et en banlieue quel est le revenu minimum pour avoir accès à un logement qui permettrai des commerces et des équipements sociaux à moins d’un quart d’heure, tenant compte du prix du terrain et de la consommation de terrain par famille. On aboutira probablement à la situation actuelle qui reflète à peu près ces contraintes.

Le modèle de la ville du quart d'heure, est-ce une utopie ?

Oui, c’est une utopie, qui serait simplement amusante si elle ne créait pas une énorme distraction détournant notre attention des réels et sérieux problèmes auxquels les villes modernes sont confrontées : manque de logements, transports publics parfois défaillants, disparité entre les qualifications que demandent les emplois modernes et la qualification des chercheurs d’emplois, et bien sûr la contrainte énorme qu’impose le changement climatique sur les dépenses d’énergie. 

Je n'ai pas parlé de l’emploi à 15 minutes de marche que promet aussi Moreno. Cela est bien sûr encore plus utopique que tout le reste. Les individus et les ménages vont vers les grandes villes à cause des emplois qui y sont disponibles. Avoir un grand choix d’emplois pendant les différentes étapes de la vie d’un ménage ou d’un individu est essentiel à la survie économique et même au bonheur. Ce grand choix d’emplois existe dans les grandes villes, à condition qu’on veuille bien utiliser les transports motorisés, transports en commun ou personnels. Se limiter à des emplois à 15 minutes à pied de son logement condamnerait beaucoup d’entre nous à la pauvreté où au chômage. 

Il en est de même pour les entreprises. Recruter un personnel de plus en plus spécialisé est plus facile dans une grande métropole bien servie par un réseau efficace de transport que dans un village ou la distance maximale est de 15 minutes à pied.

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