Paris-Berlin : Pour les milieux d’affaires, finies les déclarations d’amour, place aux compromis utiles<!-- --> | Atlantico.fr
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Olaf Scholz accueille le président français lors du G20 à Hambourg en 2017.
Olaf Scholz accueille le président français lors du G20 à Hambourg en 2017.
©GEORG WENDT / DPA / AFP

Atlantico Business

Les milieux d’affaires européens attendent beaucoup de la gouvernance allemande. Le nouveau couple franco-allemand sera forcément moins « amical » que le précédent, mais plus efficace pour l’équilibre européen. Et voilà pourquoi.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La France a évidemment une carte à jouer. Elle a surtout tout à gagner à comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Allemagne. Beaucoup d’analystes nous expliquent qu’on ne changera pas les Allemands et leur culture de l’hégémonie européenne, leur obsession de la rigueur. La meilleure preuve, c’est que la chancelière Angela Merkel laisse son fauteuil à son vice-chancelier Olaf Scholz, qui la remplace. 

C’est très mal connaître l‘Allemagne et les Allemands que de penser que rien ne va changer. Parce que les changements qu‘elle opère sont autant de leçons dont les Européens et notamment les Français pourraient s’inspirer. 

1er point : On oublie un peu vite que Angela Merkel a perdu les élections et que sa défaite électorale ressemble à une débâcle. Son parti, le parti conservateur, les a perdues non seulement parce que l’histoire politique écrite pendant 16 ans était terminée avec le départ de celle qu’il l’incarnait, mais aussi parce que son bilan est finalement apparu comme décevant. Beaucoup, en Allemagne, ont pensé que ce logiciel ne leur permettait plus d’aborder l’avenir avec sérénité. 

Tout se passe comme si le modèle de développement allemand, fondé sur une industrie toute puissante parce que très productiviste et très compétitive, était à bout de souffle. Et que la quête obsessionnelle de la rigueur budgétaire avait privé l’Allemagne des moyens de financer des grands investissements d’avenir, notamment sur le digital ou l’environnement. 

Très récemment, on constate d’ailleurs que face à la pandémie par exemple, Angela Merkel n’avait pas fait ce qu’il fallait et l’Allemagne se retrouve très en retard dans cette lutte contre la Covid 19. Faute d’avoir desserré les cordons de la bourse (comme la France), l‘Allemagne se retrouve dans une situation sanitaire qui va au final lui couter très cher. 

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2e point : l’Allemagne s’est donc dotée d’une nouvelle gouvernance fondée sur une coalition pour le moins étonnante puisqu’elle réunit les sociaux-démocrates, le parti d’Olaf Scholz, le prochain chancelier, les Verts et les libéraux. A priori improbable, cette coalition s’est formée sans psychodrame sur la base du résultat des élections législatives. Les trois partis vainqueurs se sont répartis les postes ministériels : les Verts vont tenir un important ministère qui couvre l’énergie, l’agriculture, l’environnement et plus étonnant, les affaires étrangères. Les libéraux vont prendre la responsabilité du puissant ministère des Finances et sera sans doute occupé par le chef du parti, chantre de la rigueur budgétaire, Christian Lindner.

Mais l’important est moins dans la composition du gouvernement que dans le programme de gouvernement qui, là aussi, est le produit d’un compromis très intéressant à décrypter.

3e point : le programme sur lequel les trois partis se sont mis d’accord n’est pas une promesse électorale, c’est un programme d’action sur lequel tout le monde s’est engagé devant les représentants élus avec un calendrier et dont la plupart des mesures seront appliquées au début du mandat. C’est une véritable feuille de route, longue de 177 pages, un contrat de progrès dont l’intitulé à lui tout seul dit clairement ce que l’Allemagne veut : « oser plus de progrès ». Ce programme ambitionne de mettre en place « la plus importante modernisation depuis un siècle ». Alors vu comme ça, on se dit qu’Angela Merkel aurait pu être sur la même ligne, sauf que dans le détail, on s’aperçoit que les priorités concrètes sont différentes :

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- investissement massifs dans la digitalisation et les énergies propres 

- salaire minimum à 12 euros brut de l’heure contre 9,60 actuellement dès le 1er janvier 

- engagement de sortir du charbon pour 2030

- légalisation du cannabis dans des conditions très règlementées.

Mais quand on creuse la façon de gérer des priorités, on s’aperçoit que le contrat de gouvernement laisse beaucoup de marge pour ajuster les différentes contraintes. Et notamment sur trois dossiers qui sont dans l’ADN de la politique allemande. Ce qui fait qu’au total, la France pourra y trouver son compte et la politique européenne a des chances de se découvrir un nouvel équilibre.

Sur la rigueur budgétaire par exemple, il existe une opportunité pour réformer les normes maastrichtiennes. Il est évident que le puissant ministre des Finances, chef des libéraux,  veillera au retour à l’équilibre des finances publiques mais son pragmatisme et le compromis politique qu’il respectera donneront la liberté de dépasser les normes imposées par l’Union européenne. L’Allemagne s’est engagée sur des investissements lourds, notamment dans le climat, mais aussi dans le sanitaire, compte tenu de la situation qui reste très mauvaise. Il va devoir faire ce que Angela Merkel n’a pas fait pour lutter contre la Covid, c’est à dire desserrer un peu les dépenses sociales. Mais par ailleurs, le même ministre est là pour rappeler aux Verts les limites à ne pas dépasser. 

Sur l’énergie par exemple, personne n’est dupe. Si l’Allemagne s’engage à sortir du charbon, les industriels allemands savent que l’éolien ne pourra pas répondre à la demande. Donc il faudra, ou bien revenir dans le nucléaire (et ça représente beaucoup d’investissement), ou bien acheter massivement de l’électricité à la France (ce qui là encore, nous ouvre une porte de développement).

Sur l’industrie et la productivité, la hausse des bas salaires signifie que l’Allemagne, qui était le pays le plus compétitif des pays de l’Union européenne, va revenir à la hauteur des Etats membres. Ça signifie que l’Allemagne prend le risque de perdre ses avantages compétitifs sur les marchés étrangers, elle prend aussi le risque d’être challengée par les produits d’origine européenne sur son propre marché intérieur. Ça change singulièrement la donne et là encore, la France a évidemment une carte à jouer. 

Sur la défense, l’Allemagne n‘a jamais été partisane d’une défense européenne, alors que la France le souhaitait pour être aidée dans son rôle de gendarme de l’Afrique, par exemple. Visiblement, les Verts allemands, qui auront la main sur la politique étrangère, auront de leur côté tendance à défendre la lutte contre le climat, les contraintes de la démocratie, ça veut dire concrètement que les relations avec les Américains ne changeront pas. Mais avec la Russie et la Chine, ça risque d’être plus tendu et plus exigeant politiquement. 

C’est très important parce que l’Allemagne, dont la politique étrangère était principalement fléchée sur la défense de ses intérêts économiques, peut être réorientée sur le terrain politique. Et cette réorientation-là donne à l’Europe et à la France l'opportunité de redéfinir un rôle dans la géopolitique et qui sait, de se préparer à tenir sa place de 3E acteur dans un monde partagé entre les USA et la Chine. 

Qu’on le veuille ou non, Emmanuel Macron n’aura pas de relations amicales avec le successeur d’Angela Merkel. Ça n’est ni le genre, ni le talent d’Olaf Scholz, personnage plutôt froid et seul. 

Et le temps des couples franco-allemands qui prétendaient piloter l’Union européenne est révolu, ce qui n’est peut-être pas de mauvais augure pour l’Europe et pour la France.

Parce que dans l’histoire de l’Europe, le bilan de ces couples ne s’est finalement pas révélé très probant. Mis à part la relation entre le Général de Gaulle et Konrad Adenauer qui a permis de solder le désastre de la 2e guerre mondiale, le couple formé par Helmut Kohl et François Mitterrand, qui était très soudé dit-on, a permis de trouver une solution à la réunification allemande, mais a sans doute laissé Berlin installer une monnaie unique plus favorable à l’économie allemande qu‘au reste de l’Europe. Alors, la France a sa part de responsabilité dans la sous-compétitivité de l’industrie hexagonale, mais la surévaluation de l’euro a aussi joué un rôle non négligeable pour accélérer les délocalisations des industries françaises. Emmanuel Macron, comme Nicolas Sarkozy et François Hollande, ont tout fait pour protéger des relations amicales et personnelles avec la chancelière, mais ça n’est pas pour autant qu’ils ont réussi à la faire fléchir sur les principes d’équilibre de l’Union européenne. 

En fait, les personnes sont importantes, mais la gouvernance a peu de prise sur le système, les procédures et la culture. La gouvernance incarne, met en scène et interprète une situation qui s’impose. 

Emmanuel Macron et Olaf Scholz ne feront pas ami/ami devant les caméras. Ils feront chacun de leur côté leur job. Le chancelier allemand est programmé par le contrat de coalition. Et ce contrat l’oblige à mobiliser des investissements en interne, lâcher un peu son modèle d’hyper productivité pour que son marché intérieur puisse respirer, ce qui veut dire qu’on ne resserrera pas les contraintes budgétaires comme avant le Covid. Le contrat de coalition l’obligera aussi et sans doute à modifier sa politique étrangère au profit du respect des valeurs démocratiques. 

La France ne peut pas être contre cette actualisation du logiciel de fonctionnement des Allemands. L’Europe toute entière a des opportunités de trouver un nouvel équilibre et surtout une souveraineté plus forte. 

C’est au prochain président du Conseil européen de jouer cette carte. Au-delà des sentiments personnels. Et le prochain président de l’Europe au 1er janvier sera Emmanuel Macron. Le calendrier de l‘histoire offre parfois des hasards heureux. 

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