Panique sur la Silicon Valley Bank : mais pourquoi savons-nous si mal estimer les risques financiers ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans le cas de la SVB, la banque a dû vendre une partie de son portefeuille de titres, dévalorisés par la hausse des taux d’intérêt, face au bank run.
Dans le cas de la SVB, la banque a dû vendre une partie de son portefeuille de titres, dévalorisés par la hausse des taux d’intérêt, face au bank run.
©NOAH BERGER / AFP

Mauvaise anticipation ?

Pour paraphraser Elizabeth II après 2008, mais pourquoi tous ces économistes et banquiers si chers payés ne voient-ils jamais rien venir ?

Christian de Boissieu

Christian de Boissieu

Christian de Boissieu est économiste, spécialiste des questions monétaires et bancaires. Il est membre du conseil du collège de l'AMF (Autorité des marchés financiers) depuis mai 2011 et ancien régulateur bancaire.

Professeur à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, il a été président du Conseil d'analyse économique de 2003 à 2012.

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Atlantico : Ce qui s’est passé avec la Silicon Valley Bank a fait beaucoup réagir. Quelles sont les réglementations en vigueur qui auraient dû permettre d’éviter le scénario qui s’est déroulé la semaine dernière ?

Christian de Boissieu : Il aurait avant tout fallu éviter de baisser la garde du point de vue réglementaire comme cela a été fait sous l’administration Trump. En 2010, les Etats-Unis se dotent de la loi Dodd-Frank de réforme du marché financier. C’est la leçon réglementaire que les Américains ont tiré de la crise des subprimes et de la faillite de Lehman Brothers. Et Trump a voulu remettre en cause des aspects importants de cette réforme, dans le sens d’une réglementation. Cela a baissé la garde d’un point de vue préventif.

Ce qui est frappant, dans le cas de la Silicon Valley Bank et d’autres banques liées aux cryptos, comme Signature et Silvergate, c’est que ce sont des banques avec des dépôts à court terme et qui ont investi une grande partie de ces ressources dans des titres financiers à long terme. Leur actif est donc beaucoup plus long que leur passif. Dans le cas de la SVB, la banque a dû vendre une partie de son portefeuille de titres, dévalorisés par la hausse des taux d’intérêt, face au bank run. Cela ne pouvait mener qu’à la défiance.

Qu’est-ce qui a péché dans le dispositif règlementaire ?

Dans le dispositif Bâle III, qui fixe les règles prudentielles au niveau international, on demande aux banques de respecter des ratios de liquidités – suffisamment d’actifs liquides facilement monétisables sans trop de perte de capital pour faire face au retrait des déposants - que, visiblement, une banque SVB ne respectait pas.  Cela confirme selon on se doutait : par rapport à la réglementation bancaire harmonisée au plan internationale, les Américains n’en ont fait qu’à leur tête. Ils ont appliqué les réglementations aux grandes banques New-Yorkaises mais pas aux banques régionales. C’est un problème de prévention. Les autorités américaines ont bien réagi en annonçant que les dépôts seraient garantis y compris au-delà du plafond de 250 000 dollars, ce qui devrait rassurer les déposants. Ils ont été très réactifs et il fallait l’être pour rétablir la confiance. Mais il y a des trous dans la raquette importants dans la réglementation américaine.

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Aux Etats-Unis il y a certes plusieurs superviseurs, fédéraux et au niveau des Etats, mais ils se marchent un peu sur les pieds. La répartition des compétences n’est pas forcément très claire. Cela entraîne des difficultés supplémentaires.  Tout cela se passe sur un terreau très favorable avec la montée des marchés et le phénomène de bulle. Et une petite allumette comme SVP suffit à mettre le feu aux poudres d’une finance inflammable, menacée par différents facteurs. On se demandait ce qui allait provoquer une correction. On a désormais la réponse.

On a avancé l’argument que le patron de la SVB pensait que la Fed allait rapidement baisser ses taux et que c’est pour ça qu’il s’est permis ce comportement. Mais, si c’est vrai, cela témoigne d’une grande naïveté et d’une mauvaise gestion du risque puisqu’il y avait encore dans le tuyau vendredi une hausse supplémentaire des taux d’intérêt de la Fed et également de la BCE. C’est peut-être d’ailleurs toujours le cas, même si la situation depuis vendredi change la donne.

Y-a-t-il aussi possiblement des insuffisances de la réglementation prudentielle internationale, et de Bâle III notamment ?

Bâle III est évidemment perfectible. Mais pour les Américains, le sujet est plutôt d’appliquer ce règlement que de le changer. En Europe, nous appliquons scrupuleusement les ratios de Bâle III, nous allons même plus loin. Cela empêche les écarts de trop grande ampleur entre l’actif et le passif d’une banque. Les américains ont toujours fait du "cherry picking" dans la réglementation internationale et critiqué les banques européennes pour leur abus de modèles internes servant à calculer le niveau de risque. Le risque bancaire vient des Etats-Unis, comme en 2007-2008. Les Américains semblent ne pas avoir tiré les leçons. Il ne faut pas changer Bâle III, il faut l’appliquer.

Les agences de notation semblent découvrir soudainement que plusieurs autres banques pourraient être concernées. Moody’s a mis six banques américaines sous surveillance. Comment l’interpréter ?

Les agences de notation font souvent cela. Elles ne voient pas arriver les crises mais une fois qu’elles sont là, elles aggravent la situation en dégradant les banques. Elles ont fait ça lors de la crise asiatique de 1997, avec Enron en 2001, avec la Grèce en 2009-2010, etc. Il est très difficile de prévoir des crises. Difficile de prévoir que le problème systémique allait provenir d’une banque californienne qui n’était pas parmi les cadors de Wall Street.

Pourquoi est-il si difficile de prévoir les crises comme celle-ci ?

D’abord, parce que même les crises « classiques » comme celle-ci sont difficiles à prévoir. SVB est une banque avec beaucoup de dépôts liquide qui achetait des titres et qui est obligé de les vendre en catastrophe dans un contexte de taux d’intérêt, c’est un schéma classique. Sauf que les alertes ne sont pas suffisantes. Je ne sais pas si les alertes des agences de nation avaient eu lieu pour SVB, mais il ne semble pas. Par ailleurs, nous avons du mal à prévoir les défaillances des autorités de réglementation et de supervision ainsi que les erreurs de management. Il est aussi très difficile de savoir quand est-ce qu’un problème individuel va devenir systémique. Cela se passe assez largement dans la tête des intervenants de marché. La confiance se perd en quelques secondes et met des mois à se regagner. Dans certains cas, un problème individuel va le rester, dans d’autres il va devenir un risque systémique, comme maintenant. Mais impossible de le savoir en amont. Bien sûr, je ne pense pas que nous soyons au début d’une crise comme celle de 2007-2008, mais ce n’est pas certain. Il y a un aspect psychologique très important qui rentre dans l’équation de ces questions. SVB n’est pas une crise bancaire d’un nouveau type. La seule nouveauté, c’est que les dépôts proviennent d’acteurs de la Silicon Valley et de la tech et étaient donc plutôt importants, d’où la réaction vive des autorités.

Que dire du gouvernement français qui feint de croire qu’aucune banque française ne serait concernée ?

Nous, en Europe, nos banques ne sont pas exposées directement au risque régional, mais à travers le phénomène de globalisation financière et l’interconnexion des marchés d’actions, nous nous retrouvons dans le même bateau et il y a des risques de contagion. La situation des banques françaises est plutôt rassurante quand on regarde les fonds propres en 2022-2023.

Même si la situation des banques européennes semble différente des banques américaines, cela veut-il dire que l'on peut écarter, pour autant, tout risque de crise ? N'y-a-t-il pas d'autres mécanismes qui font peser des menaces ? Notamment lorsque l'on regarde ce qui se passe avec le Crédit Suisse ?

Les problèmes du Crédit Suisse ne sont pas nouveau. Les banques suisses sont en grande difficultés, ensemble ou successivement : UBS, Crédit Suisse, etc. depuis des années. Les ondes de chocs comme celle de la SVB atteignent les banques les plus fragiles, même si elles sont grandes. Le Crédit Suisse en fait partie. Mais soyons clairs, le Crédit Suisse ne fera pas faillite. S'il y avait un risque, je suis persuadé que l'Etat suisse interviendrait, pour la nationaliser même s'il le faut. Nos banques sont soumises aux mêmes règlementations - Bâle III - mais pas la même supervision. Par delà ces facteurs d'homogénéisation, il y a des divergences importantes dans la santé des banques. Les grandes banques suisses sont fragiles, le système italien se remet lentement d'un période de grande fragilité, il y a encore des pays où les banques sont nationalisées, comme ABN AMRO aux Pays-Bas. Du côté français, notre système se porte comparativement bien. 

Les facteurs de déstabilisation ne sont pas nouveau. Mais ce qui s'est passé avec la SVB ne doit normalement pas pouvoir se passer si on applique correctement Bâle III. Notre supervision est relativement serrée dans l'UE. La Suisse n'est pas dans l'union donc n'est pas obligée de s'astreindre aux mêmes règles mais, de fait, elles a transposé la plupart des règlementations européennes.

Les Bourses européennes dévissent de nouveau, BNP Paribas et Société Générale chutent de plus de 10%. Faut-il s'en inquiéter ?

Ce que nous traversons est, il me semble, beaucoup moins grave que ce qui s'est passé en 2007-2008. Nous traversons des secousses. Les bourses sont effectivement chahutées. Cela confirme la distinction fondamentale entre deux types de transmission. D'une part,la transmission par les marchés financiers qui provoque les chutes que l'on observe actuellement. Pour cela, nous sommes tous dans le même bateau en raison de la globalisation financière. D'autre part la transmission via les banques et le systèmes bancaires. Et sur ce point nous ne sommes pas vraiment exposés à ce qui se passe en Californie.

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