Pacte de stabilité : le compromis négocié prouve que la crise peut rendre intelligents… même les Européens<!-- --> | Atlantico.fr
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Les drapeaux des pays membres de l'Union Européenne. Parlement Européen, Strasbourg
Les drapeaux des pays membres de l'Union Européenne. Parlement Européen, Strasbourg
©RONALD WITTEK / POOL / AFP

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La France et l’Allemagne sont tombées d’accord sur des règles budgétaires plus flexibles, c’est déjà un exploit... mais les autres pays membres vont rejoindre le nouveau pacte parce qu'il peut leur rendre service. A condition que ces procédures soient acceptées par les opinions publiques

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Cette fois, l’Europe est dans un tel état que le risque de crise vraiment grave a dû rendre les Etats  membres un peu plus intelligents qu'avant, puisque les deux pays leaders ont réussi à se mettre d’accord sur un compromis, et ensuite la quasi-totalité des pays membres vont s’aligner sur ce compromis. Non pas parce qu'ils s'en moquent, mais parce que les nouvelles règles de gestion vont leur rendre service. Comme quoi, tout arrive.

Pour comprendre l'importance de se mettre d’accord sur de nouvelles règles budgétaires, il faut savoir d’abord que les anciennes règles ne plaisaient à personne sauf aux Allemands, et qu’ensuite ces règles fixent les modalités de fonctionnement et d’évolution. Sans règles , pas d’euro. En fait, elles servent à gérer la solidarité entre les pays membres et donc leur monnaie .

Le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) est l'instrument clé de gouvernance de la zone euro. Il répond à la nécessité de coordonner les politiques budgétaires, dans la mesure où cette politique budgétaire demeure une compétence des États membres. Chacun a le pouvoir de gérer ses dépenses et ses recettes, mais chacun n’a pas le droit de faire n’importe quoi, puisqu'il profite de la garantie des autres États membres. C’est comme dans une copropriété immobilière. Chaque copropriétaire fait ce qu'il veut, à condition qu'il paie ses charges de fonctionnement et ne fasse pas trop de bruit qui gênerait le voisin.

Ce pacte de stabilité et de croissance est au cœur des accords de Maastricht. Il avait été adopté en 1997, avec deux dispositifs : une surveillance multilatérale et un mécanisme de sanctions en cas de déficits excessifs. Ce Pacte était strict et les sanctions tombaient de façon mécanique, un peu comme des contraventions à la circulation. C’était paradoxalement beaucoup plus strict qu'un règlement de copropriété.

Ce pacte-là a été suspendu au printemps 2020 au début de la crise du Covid, qui a provoqué dans tous les pays des dépenses de fonctionnement inhabituelles et, pour beaucoup, exubérantes au titre de la santé, de la protection et de la prévention. La France, mais pas que, a protégé tous les actifs, les entreprises comme les humains, en les confinant. Elle a aussi aidé la reprise et amorti tous les chocs.

Ces dépenses ont fait exploser le pacte de stabilité, qui a été désactivé jusqu’au début de 2024...

Ce qui a tout bloqué dans le Pacte de stabilité, c’est que les règles de fonctionnement étaient affreusement rigides : les déficits publics étaient plafonnés à 3% du PIB et le montant des dettes à 60%. Tout dépassement était sanctionné gravement, avec des sanctions et des injonctions à redresser la situation de gré ou de force, sous l'œil des marchés qui ont pris l'habitude de demander une garantie à Bruxelles ou à Francfort avant de répondre à un appel de fonds. Et ces injonctions débouchaient le plus souvent sur l‘austerité. Un pays en difficultés n avait le choix qu’entre la mort lente et la mort subite . 

Au moment de la crise, pratiquement tous les pays se sont retrouvés coincés, sans financement, sauf à transgresser les règles et se retrouver condamnés. Donc, le pacte a été désactivé... et l’Europe a pu respirer. Parallèlement, et pour la première fois, l'Europe a émis des emprunts en les garantissant, pour ensuite redistribuer l'argent levé aux pays membres dans la difficulté.

Après la crise du Covid, la guerre en Ukraine et la nécessité d’une mutation écologique et énergétique ont mis à jour des besoins d’investissement qui rendaient le pacte de stabilité très archaïque.

Le projet d'en moderniser le fonctionnement s’est imposé à la majorité des États membres, qui n’ont pas cessé de demander des flexibilités supplémentaires pour tenir compte des dépenses engagées dans la lutte pour le climat ou dans la guerre pour l'Ukraine.

Le problème était donc de mettre en place un nouveau pacte pour favoriser l'activité de l'Union européenne, mais surtout pour crédibiliser l'UE face aux marchés financiers. Alors, la première difficulté aura été de convaincre les Allemands qu'il fallait accepter un peu de flexibilité. La chose paraissait impossible parce que le modèle allemand, (comme dans beaucoup de pays de l'Europe du Nord), est construit dans une logique très protestante, c'est-à-dire très stricte. L'Allemagne s’est toujours interdit de faire des dettes, notamment des dettes de fonctionnement.

L'Allemagne avait raison, parce que son modèle économique à forte compétitivité lui donnait de la marge. Seulement voilà, la fin d'une énergie pas chère (qui venait de Russie) et le refroidissement des marchés d'exportation en Chine ont fragilisé son modèle et ont obligé le gouvernement à trouver des compromis sur l'énergie en acceptant le nucléaire, par exemple, et en s'inquiétant de l'état des marchés européens dont elle a besoin.

Pour la première fois depuis la création de l'Euro, la France et l’Allemagne ont convenu semble-t-il que leur avenir était lié et qu'il fallait s’entendre. Le compromis franco-allemand doit beaucoup aussi à la relation personnelle entre les deux ministres de l'économie, Christian Lindner et Bruno Le Maire, qui parlent la même langue. Parler couramment anglais est évidemment nécessaire, mais parler l'allemand pour négocier avec le voisin d’outre-Rhin facilite les choses.

Le nouveau pacte de stabilité qui sera mis en place devrait s’organiser autour de trois points sur lesquels tout le monde est d’accord. 

1er point, l'Union européenne se garde les règles de déficit limité à 3% et de dettes à 60% du PIB. 

2e point, l'Union européenne devrait abandonner le principe de sanctions mécaniques et sévères en cas de franchissement des limites au profit d’une flexibilité et d’une adaptation aux conditions nationales ou aux phénomènes extérieurs. Il existe des besoins d’investissement, dans la défense nationale, la santé ou le réchauffement climatique, qui pourront être comptabilisés en dehors des normes budgétaires et être sortis du calcul du déficit. C’est une vieille idée à laquelle l’Allemagne était allergique, mais elle s’avère désormais d’accord pour la mettre en place. L'Allemagne,a accepté, mais les pays frugaux du Nord comme les Pays-Bas, l'Autriche ou la Finlande sont encore assez réticents, sauf que les événements leur font comprendre qu'il existe dans le fonctionnement de la zone Euro des externalités positives dont ils ne paient pas le coût. Le parapluie nucléaire ou la défense militaire leur sont bien utiles maintenant qu'ils savent que la Russie est assez impérialiste mais imprévisible. 

3e point, l'Union européenne, pour préserver sa crédibilité vis-à-vis des marchés financiers, devra par ailleurs exiger de ses États membres qu'ils présentent une trajectoire d'évolution des déficits et un agenda des réformes à mettre en œuvre au cours des prochaines années... ceci pour garantir la soutenabilité de la dette publique. C’est un concept que la France connaît bien, puisque Bercy, dont la dette est importante, a obtenu que les agences de notation ne la pénalisent pas sur la base de ses trajectoires de réduction des déficits avec des réformes structurelles à la clé. 

Il s’agirait de véritables engagements et non de vagues promesses politiques, mais le système proposé va donner aussi aux pays membres plus de responsabilité pour se redresser. Le système de surveillance ne débouche pas sur des sanctions mécaniques qui ont toujours été contreproductives puisqu'elles appellent immédiatement des politiques d'austérité, lesquelles aggravent la situation et provoquent des résistances politiques, parce que les sanctions ont tendance à étouffer l'activité. Un système fondé sur l'obligation de trajectoire sur 3, 5 ou 7 ans nécessite certes une responsabilité politique forte, mais donne une meilleure chance de sortir de la dépression. En fait, le nouveau Pacte de stabilité pourrait renforcer la responsabilité des États membres, parce que les gouvernements ou les candidats au pouvoir ne peuvent plus utiliser l'Europe, Bruxelles ou Maastricht comme bouc émissaire de leurs propres faiblesses à réformer."

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