Où commencent et s’arrêtent les virus ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Un scientifique utilise un microscope alors qu'il travaille sur des échantillons dans un laboratoire d'Athènes, le 18 janvier 2021.
Un scientifique utilise un microscope alors qu'il travaille sur des échantillons dans un laboratoire d'Athènes, le 18 janvier 2021.
©ARIS MESSINIS / AFP

Bonnes feuilles

Tania Louis a publié « La folle histoire des virus » aux éditions HumenSciences. Des virus, on connaît souvent le pire, voici qu'un livre nous en révèle toutes les facettes. Les virus sont bien plus anciens que l'humanité. Insolites, fascinants, incasables, ils excitent la curiosité des chercheurs. Extrait 1/2.

Tania Louis

Tania Louis

Tania Louis est docteure en virologie et a choisi de se consacrer à la diffusion du savoir. Elle anime notamment sa propre chaîne YouTube.

Voir la bio »

L’effet d’un minuscule virus sur un organisme peut déjà être impressionnant, mais le cas des molécules uniques comme les prions ou les viroïdes est encore plus spectaculaire. Malgré leurs capacités de piratage, ces deux entités infectieuses ne sont pourtant pas considérées comme des virus, ce qui en fait des alliés précieux pour affiner ce concept !

En effet, alors qu’ils sont généralement définis par opposition à des entités plus complexes (plus petits que des bactéries, ne possédant pas de cellule…), nous avons ici l’opportunité de comparer les virus à des structures plus simples. C’est l’occasion de déterminer ce qu’une entité doit au moins posséder pour être considérée comme un virus, ce qu’on pourrait appeler le minimum viral. Voyons si, parmi les caractéristiques des virus listées à la fin du chapitre 2, certaines permettent de les distinguer efficacement des viroïdes et des prions.

La nuance est en fait assez subtile, car de nombreuses propriétés des virus sont partagées par ces molécules. Toutes ces entités peuvent se transmettre entre des individus et entre des cellules d’un même individu, dont elles exploitent les ressources pour se multiplier, et sont susceptibles d’entraîner des maladies. Les virus partagent donc ces caractéristiques avec des structures plus complexes, comme des bactéries ou des champignons, mais aussi avec des entités plus simples comme les prions et les viroïdes. Ce qui en fait de très mauvais éléments de définition.

Qu’en est- il des propriétés qui distinguent les virus des entités plus complexes et qu’on pourrait considérer comme purement virales ? La plupart ne résistent pas à la comparaison avec les prions et les viroïdes. En effet, comme les virus, ce sont des parasites dépourvus de cellule, incapables de tirer eux-mêmes de l’énergie de leur milieu et dont la multiplication ne passe pas par une phase de croissance physique. Pour identifier des caractéristiques propres aux virus, qu’on ne retrouve pas chez les viroïdes et les prions, il faut s’intéresser à leurs structures.

Les virus se disséminent sous la forme de particules virales composées d’un génome, de protéines et parfois d’une couche externe de gras, l’enveloppe lipidique. C’est un constat généralisable à l’ensemble des virus… si on décide d’en exclure les virus endogènes devenus incapables de former des particules virales. De leur côté, les viroïdes et les prions ne sont composés que d’un seul type de molécules, de l’ARN pour les premiers et une protéine pour les seconds. Les virus sont donc des assemblages moléculaires, par opposition aux structures plus simples que sont des molécules uniques.

On peut pousser le raisonnement un cran plus loin. En effet, au-delà du nombre et du type de molécules impliquées, il y a une différence majeure entre les virus, les viroïdes et les prions : les virus sont les seuls à posséder des génomes qui permettent la production de protéines. Les viroïdes sont des acides nucléiques mais ne portent pas les informations nécessaires à la synthèse de protéines et les prions n’ont tout simplement pas de génome.

De façon intéressante, les propriétés qui semblent distinguer les virus des entités plus simples qu’eux – être des assemblages moléculaires et avoir des gènes  – se retrouvent chez les structures plus complexes que les virus. À l’inverse, les caractéristiques qui différencient les virus des entités plus complexes, comme se multiplier sans grandir ou ne pas posséder de cellule, sont partagées par les viroïdes et les prions. Le monde qui nous entoure n’est décidément pas facile à mettre en boîtes !

De nouvelles découvertes viennent régulièrement ébranler nos définitions, et la notion de « virus » va devoir s’adapter aux surprises que nous réserve la virosphère. En fait, ça a déjà commencé.

Des virus de plus en plus gros

Dès les premiers balbutiements de la virologie, les virus ont été considérés comme des agents infectieux de petite taille, qu’on pouvait séparer des autres entités biologiques grâce à une filtration. Si aucune taille limite n’avait été formellement définie, la valeur de 200 nanomètres, c’est-à-dire 0,0002 millimètre, s’est plus ou moins imposée en raison des caractéristiques des filtres couramment utilisés en laboratoire. On sait depuis longtemps que ce seuil n’est pas discriminant : des bactéries plus petites étaient déjà connues au début du XXe siècle. Au- delà de l’idée de « petite taille », les définitions proposées pour la notion de virus n’incluent d’ailleurs pas de valeur de taille maximale, vous allez bientôt comprendre pourquoi.

Malgré cela, considérer les virus comme des agents filtrables a biaisé l’approche des virologues pendant plus d’un siècle ! La première étape de l’étude d’un échantillon consistait en effet à le filtrer pour se débarrasser de tous les « gros » constituants et se concentrer sur les virus. Une méthode qu’on peut comprendre, mais qui a un énorme inconvénient : les éléments qui ne traversaient pas le filtre n’étaient jamais étudiés par les virologues… Il a fallu attendre 2003 pour que cela change.

En 1992, une épidémie de pneumonie dans un hôpital de la ville anglaise de Bradford amène le microbiologiste Timothy Rowbotham à faire des prélèvements pour chercher les bactéries responsables. L’un d’entre eux, récupéré dans l’eau d’une tour de refroidissement, réserve une surprise. Rowbotham y découvre des amibes, des eucaryotes unicellulaires, dont certaines semblent infectées par un parasite d’environ 500 nanomètres de diamètre, visible au microscope optique. L’identifiant comme une bactérie, il le baptise Bradford coccus. Malgré un certain nombre de tentatives, Rowbotham ne réussit jamais à cultiver cette bactérie en l’absence d’amibe et l’échantillon retourna au fond d’un congélateur, sans qu’aucune publication scientifique soit faite à son sujet.

La deuxième vie de ce prélèvement s’est déroulée à Marseille, où il avait été apporté par un jeune chercheur anglais en 1995. Celui- ci venait travailler pour quelques années dans un laboratoire spécialisé dans l’étude de certaines bactéries, dirigé par Didier Raoult. Dans un premier temps les chercheurs marseillais se heurtèrent eux aussi à des difficultés, n’arrivant pas à caractériser le génome de ce fameux Bradford coccus. Et pour cause : ils utilisaient des techniques ciblant des gènes de bactéries. Le déclic est venu quand ils ont décidé d’observer ce parasite récalcitrant au microscope électronique. Avec un niveau de grossissement suffisant, il devenait clair que celui-ci ne ressemblait pas à une bactérie, mais à un virus.

Trois équipes de recherche marseillaises ont collaboré pour étudier ce nouveau virus et leurs résultats ont été publiés en 2003 dans un article intitulé « Un virus géant d’amibe ». Un titre assez sobre, qui imposera le vocabulaire utilisé pour décrire ce qui s’avère être une révolution ! Car ce nouveau virus forme des particules de 400 nanomètres de diamètre, sur lesquelles sont fixées des fibres de plus de 100 nanomètres de long. Le diamètre de l’ensemble mesure environ 700 nanomètres, c’est-à-dire plus de trois fois ce qui était implicitement considéré jusqu’alors comme la taille maximale des virus. Pas étonnant que Mimivirus, baptisé en référence à sa confusion avec une bactérie (Mimivirus vient de mimicking microbe virus, soit littéralement « virus ressemblant à un microbe »), ait été considéré comme géant… et ce n’était qu’un début.

Les découvertes de virus géants se sont enchaînées, notamment grâce au travail du laboratoire marseillais créé et codirigé par Chantal Abergel et son mari, Jean-Michel Claverie. Ayant pris la mesure de l’importance des virus géants après avoir participé à l’identification de Mimivirus, ces chercheurs ont choisi de réorienter totalement le travail de leur équipe vers cette thématique. Ils ont supposé, pour reprendre leurs mots, « que cette découverte inattendue n’était pas celle d’un monstre de foire isolé, mais celle d’un pan entier de la virologie resté inexploré ». Bien vu : Mimivirus a désormais de nombreux cousins, suffisamment différents les uns des autres pour être répartis en plusieurs familles de virus géants.

Ce domaine de recherche, qui n’a même pas vingt ans, a déjà donné lieu à quelques scénarios incroyables. Comme Mimivirus, les Pandoravirus et les Pithovirus avaient été observés et mis de côté plusieurs années avant que l’équipe d’Abergel et Claverie ne les identifie comme des virus. Mais cette anecdote est forcément éclipsée par l’origine des Pithovirus et des Mollivirus ! Ils ont été purifiés à partir d’un échantillon de pergélisol vieux de plus de 30 000 ans, ce qui en fait les plus anciens virus infectieux connus. Car, après décongélation dans des conditions optimales, ces virus se sont avérés capables de proliférer aux dépens d’amibes actuelles.

Certains virus géants peuvent mesurer plus de 2 micromètres de longueur, soit deux fois la taille moyenne d’une bactérie. C’est par exemple le cas des Tupanvirus, des membres de la famille de Mimivirus qui ressemblent à de petites ampoules recouvertes de picots. On pense aujourd’hui que les virus géants jouent un rôle important dans les écosystèmes marins, mais leur présence ne se limite pas à cet environnement, loin de là. Un article de 2018 ayant décrit pas moins de seize virus géants dans un unique échantillon de sol en est la preuve éclatante. En revanche, tous les virus géants connus infectent des eucaryotes unicellulaires. Est-ce une de leurs caractéristiques ou la conséquence de biais liés aux techniques utilisées pour les identifier ? L’avenir nous le dira !

Génomes de géants

La découverte des virus géants a chamboulé notre perception des virus comme étant « petits », en montrant que certains d’entre eux sont plus gros que des bactéries. Elle remet aussi en question la vision selon laquelle les virus seraient des entités minimalistes, car les génomes de ces géants sont également d’une taille et d’une complexité surprenantes.

Alors qu’on était habitué à des génomes viraux de quelques milliers de caractères, ceux des virus géants en contiennent plusieurs centaines de milliers. Voire plusieurs millions pour certains Pandoravirus. Leur nombre de gènes est aussi beaucoup plus important. J’ai pu vous présenter les principaux gènes des rétrovirus dans le chapitre 3 car ils n’en ont qu’une dizaine. Je ne tenterai pas le même exercice pour les plus de 2 500 gènes des Pandoravirus. Ce serait long, peu intéressant à lire et j’aurais de toute façon du mal à vous en dire grand- chose : 90 % d’entre eux ne ressemblent à rien de connu. L’identification de nombreux gènes sans équivalent répertorié paraît être une conséquence courante de notre exploration de la virosphère. Mais dans le cas des virus géants, les gènes similaires à ceux déjà connus étaient eux-mêmes très surprenants.

En effet, si certains virus possèdent des gènes qui permettent de fabriquer la machinerie qui recopie leur génome, tous étaient considérés comme strictement dépendants des cellules infectées pour exprimer leur information génétique. Car aucun virus ne possédait de gène permettant de fabriquer des ARN messagers à partir du génome viral, ou de synthétiser des protéines virales à partir de ces ARN messagers. Avant la découverte des virus géants.

Plusieurs d’entre eux ont des gènes qui codent pour des composants des machineries impliquées dans la production des protéines, voire des ARN messagers. Des virus peuvent donc contribuer à ces fonctions qu’on considérait comme spécifiques des organismes cellulaires ! L’étude des génomes des virus géants a montré qu’ils possèdent également des gènes impliqués dans le transport de molécules, la réparation des dégâts causés à l’ADN ou le contrôle du repliement des protéines. Cependant, aucun virus connu ne possède de quoi fabriquer une machinerie permettant d’effectuer ne serait-ce qu’une de ces fonctions de façon autonome. Même si on mettait toutes les ressources nécessaires à la disposition des virus géants, il leur manquerait une partie des outils. Existe-t-il des contre-exemples que nous n’avons pas encore découverts ? Mystère !

Les virus géants possèdent en tout cas des gènes qui n’avaient jamais été observés chez des virus et qu’on pensait être propres aux cellules. Ce mélange des genres suggère que, peut- être, les virus ont été, sont ou peuvent devenir capables d’effectuer eux-mêmes plus de tâches qu’on ne le croyait. Ce qui conduit une fois de plus à questionner la façon dont on les définit.

La découverte de virus de taille et de complexité croissantes ne cesse, depuis bientôt vingt ans, d’élargir notre vision de ces entités. L’esprit ouvert et armés d’outils de plus en plus puissants, les virologues de demain auront fort à faire pour explorer une matière noire virale encore pleine de mystères.

Extrait du livre de Tania Louis, « La folle histoire des virus », publié aux éditions HumenSciences

Lien vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !