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Oscars "trop blancs" : derrière la polémique sur le racisme, la réalité pas moins inquiétante de la ségrégation de fait des modes de consommation culturelle aux Etats-Unis
©Reuters

Chacun ses goûts

Alors qu'aucun acteur noir n'est présent dans les nominations pour les Oscars cette année, la question raciale s'est de nouveau invitée dans le débat public américain, cette fois dans le domaine culturel. Une situation qui fait écho au communautarisme américain, auquel le monde de la musique ou du cinéma n'échappe pas.

Talia Soghomonian

Talia Soghomonian

Talia Soghomonian est une journaliste américaine basée à Paris, ex-Metro et New-York Times, aujourd'hui freelance. Elle écrit sur le cinéma, la mode et la musique, et a été publiée dans Rolling Stone, InStyle, Marie Claire.

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Atlantico : Au-delà de la polémique à Hollywood sur les Oscars, le repli communautaire de la société américaine n'est-il pas le plus gros souci de l'industrie culturelle de ce pays ?

Talia Soghomonian : Le modèle commercial de la culture américaine, qui façonnait le monde depuis les années 1950, est menacé car il faut désormais intégrer différentes cultures, satisfaire tout le monde, toutes les classes sociales, toutes les nationalités et il n'y a aucune place pour l’erreur ou la "faute diplomatique”. L’industrie culturelle des Etats-Unis bénéficie, certes, de sa diversité d’ethnies, mais au même moment il commence à en souffrir car il faut satisfaire chacune des communautés minoritaires. Il y a une égalité à respecter, une parité dans les castings de films, par exemple. Les séries télés sont tenues d'avoir une diversité ethnique en leur sein. La communauté hispanique, dite latino, est la plus grande et désormais majoritaire en Californie. Ils se parlent en espagnol, tout comme les Coréens qui parlent en leur langue, et ainsi de suite. Et Los Angeles, ma ville d’origine, est un vrai melting pot d’ethnies diverses. Sauf que dans melting pot, il y a le mot “fondant”, et cette notion est devenue archaïque. Chaque communauté garde sa culture et ses traditions tout en revendiquant d’être désormais américaine… à un certain point. La plupart vivent plutôt bien cette nouvelle double culture, mais malgré leur intégration, beaucoup de communautés gardent une certaine distance. La culture américaine telle qu’on la connaissait n’est pas en voie de disparition, mais en transformation. 

Peut-on dire aujourd'hui que certains produits culturels (cinéma, musique...) sont conçues uniquement pour certaines minorités ethniques ? En quoi est-ce dangereux pour la société américaine ?

Pour satisfaire chaque communauté et les aider à garder leur identité, certains produits s'adressent en effet à ces minorités ethniques. De nombreuses chaînes de télévision avec séries et des différentes communautés existent. Il y a toute une industrie cinématographique et musicale faite spécialement pour eux. On n'immigre plus pour laisser son identité dans son pays d'origine, mais pour la reconstruire ailleurs. 
Puisque chaque communauté revendique sa culture et ses traditions et refuse d’oublier (et c’est tant mieux) sa propre culture, comme faisaient jadis les immigrés, un fossé se creuse progressivement entre la vieille Amérique telle qu'on la connaît et ses différentes communautés. Certains Américains y voient un refus d’assimilation ou un rejet de la culture du pays d’adoption de certaines ethnies et se sentent menacés, craignant une invasion. D’autres le considèrent comme une richesse de plus pour le paysage culturel américain. 


Dans les concours ou remises de prix, les artistes de couleur sont-ils représentés à leur juste valeur ? Quand ils sont présents, sont-ils en course pour les catégories les plus prestigieuses ?

De nombreux acteurs et actrices de couleur ont été nominés et ont gagné un Oscar par le passé. Certes, ils sont nettement moins nombreux que leurs comparses blancs. Peut-être parce qu’il y avait moins d’acteurs issus des communautés minoritaires par le passé, ou comme Viola Davis a évoqué lorsqu’elle a accepté le Emmy Award de la meilleure actrice à l'automne dernier, décerné pour la première fois à une comédienne afro-américaine, les acteurs de couleur manquaient de bons rôles et d’opportunités jusqu’ici. On pensait que malgré les tensions dues au comportement meurtrier de certains policiers envers les jeunes Noirs, tout le monde était égal dans les arts et la culture. Après, les Grammys récompensent de nombreux musiciens issus des minorités ethniques, tout comme les American Music Awards. Mais la musique est différente du monde du cinéma... Et parmi puis les plus grands contributeurs à la culture musicale figurent un grand nombre d’artistes issus de communautés minoritaires. Il est donc difficile de comparer les Grammys et les Oscars. 

Mais prenons l’exemple de Will Smith, musicien et acteur. Il a remporté quatre Grammys, il a été nominé pour cinq Golden Globes et deux Oscars (pour Ali en 2001 et pour A la recherche du bonheur en 2006). Favori cette année pour son rôle dans Seul contre tous, il n’a cependant pas été retenu pour une nomination aux Oscars. Et sa femme a vu rouge. Ou plutôt blanc, au vu de la liste des nominés. L’actrice Jada Pinkett, scandalisée par l'absence d’acteurs de couleur de la liste des nominés du meilleur acteur, a exprimé son désarroi et annoncé son boycott de la cérémonie le mois prochain. Son mari ne s’y rendra pas non plus, ni le cinéaste Spike Lee par solidarité. Pourtant, le mois précédant l’annonce des nominés, les réseaux sociaux et même la presse posait une seule question : Leonardo DiCaprio allait-il être nommé et enfin gagner un Oscar pour son rôle dans The Revenant (sortie en France le 24 février prochain) ? Mais Leo a vite été oublié. Selon Will Smith, “la série de nominations de l’académie ne reflète pas la beauté de la diversité américaine.” 


Dans quelle mesure cette situation est-elle comparable, ou non, avec celle de la France ?

La France est confrontée aux mêmes soucis culturels que les Etats-Unis, et comme l’Amérique, elle a toujours revendiqué sa culture bien à elle, mais aussi le fait qu’elle était ouverte à d’autres cultures. Mais on ne voit pas une si grande diversité aux Césars non plus, ni aux Victoires de la Musique. Certes, ce n’est pas comparable aux Oscars ou aux Grammys en terme de taille, et cela fait une petite différence.

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