Organisation des attentats et détails des enquêtes : la police et le parquet en disent-ils trop ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Molins, procureur de la République de Paris, lors d'une conférence de presse en avril 2015
François Molins, procureur de la République de Paris, lors d'une conférence de presse en avril 2015
©Reuters

Apprendre à tenir sa langue

Les forces de polices et le parquet ont détaillé leurs méthodes de travail, dans le cadre d'une conférence donnée le mercredi 19 novembre par François Molins, procureur de Paris. La communication de plus en plus transparente autour de ces sujets présente de dangereux risques, puisqu'elle alerte les terroristes.

Philippe Vénère

Philippe Vénère

Philippe Vénère a été policier pendant 40 ans. Ce grand spécialiste français du doit des automobilistes a été notamment commissaire divisionnaire et officier du ministère public du tribunal de police de Paris de 1992 à 1996. Il a également enseigné à Paris 8 où il a effectué plusieurs travaux de recherche sur la délinquance des mineurs.

Il a publié Manuel de résistance contre l'impôt policier (J'ai lu / mars 2011) et Les flics sont-ils devenus incompétents ? (Max Milo / septembre 2011)

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Atlantico : Depuis quelques jours, les enquêteurs ont expliqué avoir travaillé sur les téléphones mobiles des djihadistes. Les policiers ont détaillé les méthodes par lesquelles ils ont pu obtenir des informations sur les terroristes. En quoi, ces révélations peuvent-elles constituer un danger pour la police et les enquêteurs ? Que peut-on craindre réellement avec la diffusion de ce type d'informations très précises ?

Philippe Vénère : Il est vrai qu’il y a une foule d’informations qui est diffusée quotidiennement, tant par les services d’enquête que du ministre de l’intérieur, sûrement pour démontrer que les services de l’Etat font preuve d’efficacité. Si j’admets que l’on commente les résultats, car la plupart du temps ils sont vécus en direct, je réprouve vraiment la présentation des méthodes. En effet, en exposant ainsi nos "modus operandi", on dévoile aux malfaiteurs ce qui nous a conduits à eux. Pour les enquêteurs, cela peut dresser des obstacles supplémentaires dans la conduite des investigations à mener ultérieurement et risque même de ne pas parvenir aux résultats escomptés. En fait certains individus encore recherchés sauront par où les membres de leur groupe ont péché et bien évidemment ne reproduiront pas les mêmes erreurs, ou bien renforceront les mesures qui ont révélé des faiblesses dans leur système de communication. Pour moi, la suite des opérations va se révéler plus compliquée et je redoute que les terroristes actuellement en fuite ne puissent être interpellés.

Existe-t-il un risque que ces révélations servent à des terroristes dans le cadre d'un futur attentat ? Comment peuvent-ils les exploiter ?

En effet, la crainte que je ressens, c’est que ces criminels de tous poils prendront des précautions supplémentaires pour la préparation de leurs attentats. Ils multiplieront les "coups de sécurité" notamment avec les téléphones mobiles ou fixes, mais aussi avec leurs ordinateurs. Ils veilleront à ne plus être identifiés par ces mêmes moyens de communication. J’ai bien sûr en tête une méthodologie que je mettrais en place si je devais me trouver dans leur situation, mais je m’abstiendrai, pour ma part, d’en donner le mode d’emploi. Ce que je peux dire c’est que les terroristes vont mettre à profit les explications fournies aux médias par les enquêteurs et personnes politiques, pour ne plus se faire piéger à l’avenir. Je pense que l’on commet des erreurs de communication très regrettables, car ce que je constate chez ces terroristes, c’est que leur organisation est très évolutive et a toujours un temps d’avance sur les services de sécurité. Je préfèrerais l’inverse.

Ces méthodes de communication ont-elles beaucoup évolué par rapport au passé ?

Il est vrai que la communication entretenue de nos jours par les services publics est bien moins contenue que par le passé. Lorsque la situation le requerrait, nous avions des consignes strictes de confidentialité. Donc interdiction de communiquer aux médias quelque information que ce soit. Seul un correspondant autorisé, faisant un communiqué sur nos interventions. Le procureur de la République étant seul compétent pour donner des informations à la presse.

Il m’est arrivé de mener une enquête dans la plus totale discrétion pendant plusieurs mois en 1982. Le réseau pédophile que je pourchassais étant international, j’ai pu réaliser plus de 30 arrestations sans que ma direction ne fournisse d’informations. C’est ainsi qu’au jour "J", le ministre d’intérieur a pu déclencher une opération nationale et que plus de 200 personnes ont été appréhendées. Si l’on avait "communiqué" immédiatement, je n’aurais eu qu’un résultat bien moindre.

Pour avoir approché la Section anti-terroriste de la Brigade criminelle à Paris dans les années 80, je peux vous affirmer que ses méthodes d’investigations étaient vraiment un "secret maison". Et pourtant cette section a été mise à rude épreuve entre 1982 et 1995.

Pour ce qui concerne le Pocureur de la République de Paris, seul habilité à tenir une conférence de presse, il énonce ce que les enquêteurs ont découvert, donc des faits avérés, il désigne les suspects présumés et dresse un bilan des investigations. Si je peux le comparer à un médecin, il donne le" bilan de santé" de l'enquête, mais communique aussi sur l'état des victimes  et leur nombre qui, hélas, est toujours évolutif en cette circonstance. Il ne communique pas sur les méthodes ou  moyens employés, sauf sur ce qui peut avoir permis aux policiers et magistrats d'avancer dans leur enquête et reste assez discret sur les opérations à venir ou en cours. En gros, il ne donne pas de détails significatifs.

Comment pourrait-on éviter la diffusion de ce genre d'informations ? Faut-il des consignes plus fermes de la part du préfet ou même du ministre en charge de ces affaires ?

A mon sens, il appartient à nos ministres de ne rien révéler sur les méthodes suivies pour parvenir à un résultat. Seul ce dernier doit être annoncé et, finalement, c’est ce qui importe à l’opinion publique. A nos autorités ensuite de faire "redescendre" la consigne. Je suis bien certain que si ces consignes sont fermement appliquées, parce qu’elles vont dans l’intérêt même des enquêteurs, tant pour leur intégrité physique que pour la réussite de leur investigations, je suis persuadé que la confidentialité que requièrent de telles enquêtes sera respectée à la ligne.

Entendons-nous bien, je ne mésestime par ce que font les servies d’enquête aujourd’hui et je tiens à leur rendre l’hommage qui leur revient, mais je pense que l’on pourrait minorer les risques physiques qu’ils encourent et augmenter leurs succès si on s’en tenait à une communication excluant totalement les méthodes d’investigation.

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