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Opération reconquête... en plein chaos : mais qui Emmanuel Macron devrait-il s’attacher à convaincre en priorité ?
©Thomas SAMSON / POOL / AFP

Des paroles et des actes

Lors de sa visite aux Antilles, le président de la République a tenté de faire évoluer sa stratégie de communication après une importante baisse de popularité et suite à la succession de démissions importantes au sein du gouvernement.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Dans un contexte de baisse de popularité, de démissions ministérielles, et de tentative de reprise en mains de la situation par la communication, comment évaluer la stratégie d'Emmanuel Macron? Est-il pertinent pour le chef de l'Etat d'en appeler à "tous les Français" au travers de sa déclaration aux Antilles "J’ai besoin de vous, journalistes, population, élus", ou serait-il politiquement plus avisé de privilégier son cœur d'électorat ? 

Chloé Morin : Pour le moment, il est probable que la « stratégie de reconquête » ne soit pas perçue par l’opinion, et que l’impression globale soit surtout celle d’une grande confusion. En effet, même si l’inflexion de son discours ce week end aux Antilles est notable - on renoue avec la « bienveillance » dont il avait fait un mot d’ordre pendant sa campagne -, elle tranche beaucoup avec ses dernières sorties polémiques sur le pouvoir d’achat ou le jeune chômeur qui n’aurait qu’à traverser la rue. A ce stade, ce revirement soulève nécessairement la question de la sincérité : qui est le « vrai Macron »? Est-il sincère lorsqu’il avoue ses erreurs? Nous vivons dans un climat de défiance politique que 2017 n’a pas estompé, les Français décryptent tout, voient des « coups de com’ » même là où il n’y en a pas… l’enjeu, pour Emmanuel Macron, sera donc non seulement de fixer sa stratégie (on croit comprendre qu’il choisit l’inflexion sur la forme pour mieux persévérer sur le fond, et ne pas changer le ligne), mais aussi d’être jugé sincère, et donc crédible. 
Je note qu’à très court terme, le fait qu’il n’ait visiblement pas encore réussi à refermer la « polémique Collomb » envoie un certain nombre de signaux négatifs qui risquent de parasiter la reconfiguration de sa communication au cours des jours qui viennent, et donner le sentiment qu’au lieu de traiter « les vrais problèmes » la macronie s’enlise dans des querelles de personnes ou des polémiques secondaires. Initialement, le fait qu’un ministre semble pouvoir choisir le timing de son départ paraissait brouiller la chaine d’autorité hiérarchique et envoyer le signal que nous avions, à un poste régalien majeur en période d’attentat, un ministre pas 100% à sa tâche. Le fait que l’on annonce, dans l’entourage du Président, qu’il a refusé la démission présentée par son ministre avait le mérite de rétablir la chaine d’autorité, même si en creux certains commentateurs ont prétendu que ce maintien était contraint, notamment en raison d’un manque de remplaçants suffisamment expérimentés pour le poste. Mais avec son interview au Figaro, où il maintient sa volonté de démissionner, Gérard Collomb semble mettre en cause directement l’autorité du Président. En outre, cette affaire interroge sur les liens de confiance entre le Président et l’un de ses soutiens historiques. Or, souvent, les Français donnent sens à des événements complexes en les ramenant à des affaires de personnes. Ils psychologisent les affaires politiques. Dès lors, l’on peut craindre qu’ils lisent l’affaire Collomb comme un signe que mêmes les plus proches, ceux qui connaissent le Président, doutent de leur chef, ce qui viendrait conforter leurs propres critiques et leurs propres doutes sur la stratégie présidentielle. 
Au delà du « cas Collomb », si l’on revient à l’inflexion de la posture macronienne vers davantage d’horizontalité, à travers laquelle il prétend parler à tous et en mettant en scène sa volonté de rassembler, il me semble qu’il parle en réalité - contrairement à ce que vous dites - d’abord et avant tout à son socle électoral, dont les dernières mesures de popularité indiquent qu’il commence à douter - même si cela reste quantitativement tout à fait marginal. Son identité politique étant construite sur le récit du « en même temps », c’est à dire l’idée qu’il existerait un terrain d’entente entre gauche et droite et qu’il serait possible de dépasser des clivages idéologiques et partisans artificiels pour poursuivre l’intérêt général, il a besoin de renouer avec l’image d’un Président rassembleur, s’adressant à tous, sans se laisser enfermer dans un camp ou ne paraître s’adresser seulement à quelques catégories d’électeurs. 
Ce récit du rassemblement auquel adhèrent ses électeurs ne signifie pas que sur le fond, sa politique ne révèle pas des valeurs et des convictions qui ne sont pas unanimement partagées par la population. Nous savons par exemple que le libéralisme économique « idéologiquement pur » est très minoritaire dans la population. Certaines mesures, comme par exemple celles envisagées sur les droits au chômage, font l’objet de clivages partisans très forts entre droite et gauche. Elles sont loin de parler « à tous », et certaines comme la moindre revalorisation des pensions de retraites sont même impopulaires auprès de ses propres électeurs concernés... c’est pourquoi il est essentiel pour Emmanuel Macron ne démontrer qu’elles participent d’un projet qui peut répondre aux aspirations de l’ensemble des Français, bien au delà de son socle. 

Quels seraient encore les moyens dont disposerait Emmanuel Macron pour parvenir à souder son électorat derrière lui ? Des petites phrases à l'accélération, ou l'approfondissement des réformes, quels seraient les outils les plus efficaces pour parvenir à un tel résultat ?

Au delà de la question de la crédibilité de son nouveau positionnement aux yeux des Français, se pose la question de l’efficacité d’une stratégie de communication qui semble viser à rééquilibrer son image en gommant ses défauts, plutôt qu’en cherchant à réactiver en priorité ses qualités principales. Lorsque ses prédécesseurs ont tenté de corriger leurs défauts, ils se sont rendus compte qu’il fallait énormément de temps et de constance pour infléchir leur image, et que la moindre erreur pouvait ruiner des mois d’efforts… Il me semble qu’au stade où il en est, avec un capital d’image dégradé mais conservant des atouts, il devrait plutôt chercher à réactiver à travers son action et ses déplacements les éléments positifs que les Français lui reconnaissent : le dynamisme, la détermination, le côté « hors système » (venant du privé, jamais élu donc pas prisonnier de calculs partisans, de baronnies, d’horizons électoraux…), la compétence économique, la stature internationale, la capacité à incarner la fonction dans toutes sa solennité, l’autorité, la capacité à avoir une vision et savoir où il va… Autant de traits d’image et de caractéristiques qui fondent son identité dans l’opinion, et qu’il serait utile de consolider et de rappeler à la mémoire de ses électeurs. De ce point de vue, l’autorité me semble être un élément fondamental à préserver à très court terme dans le cadre de la polémique avec le ministre de l’Intérieur, tant sur la forme (autorité du Président sur ses ministre) que sur le fond (préserver l’idée que le gouvernement est entièrement consacré à la protection des français).
Un tel effort, consistant à souligner ce que les Français aiment chez lui, serait d’autant plus efficace que l’offre politique alternative est quasi invisible ou peu crédible. Le contraste avec les images ou les notoriétés de ses concurrents est tout à son avantage… 

Quels seraient les risques encourus par un Emmanuel Macron qui chercherait moins le clivage que par le passé ? 

Dans cette inflexion stratégique qu’il semble amorcer, il introduit davantage de proximité et d’horizontalité. Il veut davantage dialoguer, notamment avec les élus. Mais cela risque là encore de dérouter certains électeurs qui, dans son socle ou à droite, appréciaient justement la dimension césarisme de son exercice du pouvoir. Beaucoup aiment l’homme qui avance vaille que vaille, n’a rien cédé à la rue lors de la réforme du code du travail ou de la SNCF, et n’estime être l’otage d’aucun parti ni d’aucune baronnie, et ne devoir de comptes qu’aux Français. Autre difficulté : il faut toujours trouver la bonne distance, et ne pas confondre proximité (une capacité à « comprendre les problèmes des gens » qui fait défaut à Macron mais aussi à beaucoup de responsables politiques aux yeux de l’opinion), et familiarité. On avait reproché à Hollande ou Sarkozy en leur temps, et de manières bien différentes, des comportements qui désacralisait la fonction. La polémique de la photo avec le braqueur pose à nouveau cette question, et ce d’autant plus qu’il est spontanément plus difficile pour l’opinion, et notamment l’opinion de droite, d’avoir de l’empathie pour un « ex braqueur »…
S’il se veut plus « proche », il ne me paraît en revanche pas abandonner le désir de cliver. Il assume fortement ses positions, même lorsqu’elles semblent contradictoires entre elles. Il assume le débat, et ses propos gardent un côté tranchant qu’il associe à la spontanéité, que ce soit sur la responsabilité du jeune chômeur, ou lorsqu’il accuse l’extrême droite de xénophobie suite à la photo avec les jeunes antillais. Je ne sais pas si cela relève d’un choix délibéré de sa part, mais il me semble que dans le paysage médiatique actuel, la polémique est un des seuls moyens de faire exister - même si c’est souvent mal, et de manière caricaturale - un sujet. De ce point de vue, le clivage lui permet d’exister, de faire parler de sujets qui n’auraient sans polémique pas passé le mur du son (je pense ici au « Pognon de dingues » avant son discours sur notre modèle social).

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