On n’est peut-être pas ce qu’on mange mais notre humeur, si <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Insolite
Certains aliments ont un effet très net sur notre humeur.
Certains aliments ont un effet très net sur notre humeur.
©Reuters

Des hauts et des bas

Poisson, chocolat, pommes de terre... Certains aliments ont un effet très net sur notre humeur, positif ou négatif.

Jean-Michel Cohen

Jean-Michel Cohen

Le Dr Jean-Michel Cohen, bien connu du grand public est médecin nutritionniste. Il propose à tous l’apprentissage d’une hygiène de vie et d’une alimentation nouvelle qui laisse une grande place au plaisir. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Le Guide d’achat pour bien manger 2015/2016 et anime également le site internet www.savoirmaigrir.tv.

Voir la bio »
Catherine Grangeard

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre Comprendre l'obésité chez Albin Michel, et de Obésité, le poids des mots, les maux du poids chez Calmann-Lévy.

Elle est membre du Think Tank ObésitéS, premier groupe de réflexion français sur la question du surpoids. 

Co-auteur du livre "La femme qui voit de l'autre côté du miroir" chez Eyrolles. 

Voir la bio »

Atlantico : Comment expliquer que des aliments puissent chimiquement parlant jouer sur elle?

Jean-Michel Cohen : La raison est simple. Un aliment c'est à la fois des macronutriments comme les glucies, les lipides et des protéines, mais c'est aussi une source de nutriments qui ont des effets sur l'organisme. On peut y trouver un tas de substance qui peuvent avoir un impact au niveau chimique sur nos récepteurs, de l'adrénaline, de la nor-adrénaline, et qui vont pouvoir modifier nos comportements. Par exemple, personne ne sait que l'aubergine contient de la nicotine, personne ne sait qu'il y a de la mélatonine dans les cerises. Ce sont des substances chimiques que l'on retrouve à l'intérieur des aliments et qui ont des effets sur notre corps tout entier. On connaît pour certaines les effets, comme illustré plus haut avec la mélatonine, mais on sait qu'il y a des omega 3 dans le poisson, de la caféine dans le café, et chacune de ces substances a, à chaque fois le pouvoir soit d'agir sur l'organisme, soit de créer des réactions dans l'organisme pour faire secréter d'autres substances.

Mais il y a aussi un autre mécanisme, tout aussi puissant que le mécanisme chimique, c'est le pouvoir d'influence des aliments. Un aliment a une connotation, qui nous provient soit de notre héritage alimentaire familial, soit d'un héritage culturel global. Par exemple, on mangeait autrefois de la viande essentiellement pour être fort, parce qu'on savait qu'il y avait des protéines, et qu'on était persuadé qu'il en fallait pour guérir des maladies ; au Japon, on mange de la viande faisandée, alors qu'elle n'est pas dans nos premiers choix en France, et qu'on considèrera plutôt comme pourrie. 

Cette valeur symbolique déclenche également des récepteurs hormonaux dans notre cerveau qui conditionnent nos réactions. C'est à dire qu'il y a deux effets : l'un purement chimique, et un autre qui est la "vision" de l'aliment, qui peut entraîner des éléments de simulation cérébraux, qui entraîne des modifications dans notre corps.

Catherine Grangeard : La composition de ce que nous absorbons a des effets sur notre corps et le chimiste expliquera comment les molécules interagissent. La psychanalyste que je suis s’en tiendra à expliquer que « la perspective » peut mettre en joie tout autant que les molécules. Le pouvoir de la pensée est tel qu’il peut ouvrir ou couper l’appétit. Un même mets consommé avec telle personne se révèlera aussi délicieux qu’infect… La soupe à la grimace n’est pas fameuse, et ça n’a rien à voir avec ses ingrédients. C’est affaire de circonstances.

Un bol de riz n’a pas la même connotation en Chine ou ici. Le contexte culturel y est pour beaucoup ! De même, si vous avez faim, le même bol de riz, ici, deviendra délicieux… Sans mésestimer que si les diététiciens en vogue décrètent qu’il contient tout ce qu’il faut pour aller au mieux, vivre longtemps et en pleine santé, il gagnera en saveur à vos papilles…

Pourquoi le cerveau n'est-il pas autonome dans le fait de décider de notre état d'esprit ?

Jean-Michel Cohen : Parce que le cerveau, c'est deux choses : la conscience, et la chimie. La conscience est le fruit de l'élaboration d'une pensée. La chimie c'est que le cerveau c'est aussi l'endroit où se trouvent tous les récepteurs de notre sensibilité aux émotions, à la réaction, à la bonne et à la mauvaise humeur, et que donc de temps en temps la pensée ne suffit pas à contrôler les réactions hormonales. Si j'injecte de la testostérone à quelqu'un, je ne fais pas qu'en injecter dans son corps, elle va stimuler des zones de son cerveau qui vont le rendre agressif. Quand je mange un produit c'est exactement la même chose.

Catherine Grangeard : Parce que le cerveau ne décide de rien ! Il est sous influence. L’autonomie est un vaste leurre. Vous connaissez bien sûr la Madeleine de Proust. Puisque cette Madeleine provoque des associations dans son esprit, qu’elle le renvoie directement à son enfance sans qu’il réfléchisse, automatiquement, eh bien, cette Madeleine détermine en lui de nombreux éléments. Nous en sommes tous là ! Certains vont donc adorer les Madeleines… C’est le rapport au souvenir ainsi réveillé, sans la moindre intervention de la conscience qui est en cause. Nous serons ainsi plongés dans la joie, la mélancolie, la colère, des émotions très violentes, parce que nous sommes des êtres humains et pas des machines.

Le cerveau n’est pas une boîte noire. Il ne contient pas matériellement nos émotions. La programmation est une résultante, plus que complexe. Déjà la manipulation de nos désirs est réelle avec les moyens de propagande actuels.

Vous imaginez si la science venait à dépasser la fiction, le risque épouvantable qui en résulterait ?

Boire du café excite, manger du chocolat provoque un sentiment de relaxation... Quels autres types de sensations les aliments peuvent-ils induire ?

Jean-Michel Cohen : La consommation de protéines à pour effet de réveiller. Lorsque vous mangez des féculents, vous pouvez avoir une sensation de bonne humeur car ils contiennent de la vitamine B, et qui est susceptible de stimuler votre bonne humeur. Quand vous consommez des pommes de terre, vous ingérez du triptophane qui favorise aussi l'endormissement, tout cela par des circuits hormonaux. L'aliment n'a pas seulement une destination énergétique. Quand vous buvez de la camomille, vous vous sentirez plus calme. Le thé ou le café réveillent, mais sont aussi diurétiques. La mélatonine de la cerise favorise quant à elle l'endormissement. 

Si l'on voulait utiliser les propriétés de ces aliments, il faudrait faire attention car la concentration peut varier d'un produit à l'autre et d'une saison à l'autre. Les effets ne seront pas toujours les mêmes, mais cela peut malgré tout être efficace.

Catherine Grangeard : Mais, bien sûr, je vous l’accorde volontiers. Tout n’est pas psychique. Ce serait aussi stupide que de dire que tout est rationnel. Les composants des produits ont une incidence, pour le meilleur comme pour le pire. Bien sûr… L’épidémie d’obésité qui déferle sur la planète est, en partie, la conséquence des aliments trop gras, trop sucrés produits par les firmes de l’agroalimentaire. Qui plus est certaines saveurs ajoutées provoquent une dépendance et l’envie de continuer à en manger. Les industriels ont dénaturé les goûts pour faire du business. Le monde de la Santé a le plus grand mal à faire respecter les normes et les bagarres sont rudes entre des intérêts totalement opposés. Les aliments procurent tous types de sensations. Ceux qui aiment le piment recherchent autre chose que ceux qui engloutissent des glaces… Ceux qui consomment en quantité d’autres sensations que ceux qui picorent…

C’est l’interaction entre l’effet induit par un aliment et ce que recherche telle personne qui est à l’origine des goûts, variables non seulement entre les uns et les autres mais également selon les humeurs et les périodes de la vie.

Ainsi un même aliment n’induit pas les mêmes sensations chez tout le monde, ni la même sensation chez une personne en particulier à coups sûrs.

Un menu idéal pour être de très, très bonne humeur ?

Jean-Michel Cohen : Une salade de pommes de terre pour la vitamine B6 qui met de bonne humeur ; avec du poisson et de l'huile d'olive, pour les omégas 3 qui auront un effet bénéfique sur ma concentration. Ensuite, je mangerai une bonne glace au chocolat et un bon café.

Catherine Grangeard : Ah… si ça existait, toute personne préparant le repas familial, ou tout autre repas, s’empresserait d’y recourir pour avoir le plaisir de voir accueillir le résultat de son travail à son juste prix ! Vous savez comme les habitants des pays imaginaires des pubs sautent de joie à la vue de tel plat, applaudissent comme des fous devant tel bol, … La pêche qui donne la pêche, comme chacun sait ? Ou les champignons, pour les fanas d’Amsterdam ? Sans oublier tous les frustrés des régimes, bavant devant tout ce qu’ils ont été contraints de seulement regarder, à l’instant de craquer (en juste avant de culpabiliser) ? Pour être de très, très bonne humeur ? un ado et son kebab, mais pas sa diététicienne… De même chacun devant l’assiette de ce qu’il préfère et qu’il ne s’autorise pas souvent. Parce que pour apprécier vraiment quelque chose il faut en avoir envie et que ce ne soit pas trop souvent permis… Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse… Si  Alfred de Musset a laissé au travers des siècles cette pensée, c’est bien parce que la sensation importe plus que le produit.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !