Omerta dans l’Education nationale : la laïcité dans les établissements scolaires s’arrête là où commence la religion des parents vindicatifs<!-- --> | Atlantico.fr
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Des notes d'enseignants pour évoquer le meurtre de Samuel Paty lors d'un hommage au professeur d'histoire.
Des notes d'enseignants pour évoquer le meurtre de Samuel Paty lors d'un hommage au professeur d'histoire.
©SÉBASTIEN SALOM-GOMIS AFP

Bonnes feuilles

Patrice Romain publie « Omerta dans l'Éducation nationale Les chefs d’établissement sortent du silence » aux éditions Le Cherche Midi. Pour la première fois, des principaux de collège et des proviseurs de lycée osent s'exprimer sur la réalité de leur métier. Garants du bon fonctionnement de leur établissement, ils sont trop souvent contraints de se taire face aux dysfonctionnements qu'ils constatent et aux injonctions contradictoires de leur hiérarchie. Extrait 2/2.

Patrice Romain

Patrice Romain

Instituteur, directeur d'école puis principal de collège, Patrice Romain a pris sa retraite fin 2020, désabusé par la gouvernance de "son" école publique. Il est l'auteur d'une dizaine de livres sur l'Éducation nationale, dont le best-seller Mots d'excuse. Son dernier ouvrage est  "Requiem pour l'Education nationale - Un chef d'établissement dénonce : parents et professeurs doivent savoir !" (2021) aux éditions du Cherche Midi.

Voir la bio »

En France, la laïcité repose sur trois principes : la liberté de conscience et celle d’exprimer ses convictions dans les limites du respect de l’ordre public ; l’égalité de tous devant la loi; et, pour ce qui concerne plus particulièrement l’Éducation nationale, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses. L’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation précise par ailleurs que : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

Ce sujet est ultrasensible. Donc tabou pour les personnels de direction. La hiérarchie estime trop souvent que tout signalement de leur part est exagéré, voire dû à leur mauvais management. Forcément : les hauts fonctionnaires responsables de ce dossier épineux sont avant tout soucieux de rester en poste afin de garder leurs petits privilèges, de profiter d’un système qu’ils n’ont évidemment aucun intérêt à remettre en cause. Le brave peuple de France doit donc se contenter de leur version officielle, pensée unique à laquelle on est prié d’adhérer. Et tant pis si la réalité du terrain est tout autre.

Heureusement, certains cadres supérieurs, plus nombreux que ne le pensent le sinistre de la Désinstruction nationale et ses conseillers en démagogie dogmatique, sont révoltés par cet aveuglement volontaire. Cette armée de l’ombre décrit les coulisses des hautes sphères à des personnes de confiance, lesquelles tentent ensuite d’alerter la population. Je prétends modestement mais fièrement faire partie de ces dernières.

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Au vu des témoignages reçus et de ma propre expérience, je peux aujourd’hui affirmer par exemple que, contrairement à ce que clame haut et fort la gouvernance, la laïcité dans les établissements scolaires s’arrête là où commence la religion de parents vindicatifs. Je ne fais d’ailleurs qu’enfoncer une porte ouverte : de nombreux livres et articles de presse l’ont déjà démontré. Sans que la hiérarchie ne lève le petit doigt. Toujours ce fameux principe du « pas de vagues ». Puissent les décideurs agir avant qu’il ne soit trop tard, avant que la laïcité à l’école ne soit plus qu’un vain mot!

(…)

La haute administration se défausse régulièrement de ses responsabilités sur les chefs d’établissement. Personne n’y prête attention. Mais il est des circonstances dramatiques, donc médiatisées, qui mettent au grand jour ses pratiques. À preuve le rapport des inspecteurs généraux suite à l’assassinat de Samuel Paty. Ces hauts fonctionnaires affirment en effet que, dès le départ, l’affaire a été prise au sérieux par la hiérarchie. Certes, il y a eu des « malentendus » sur l’action « d’accompagnement du professeur et de l’équipe pédagogique » par Philibert l’IPR, lequel avait envoyé à l’enseignant martyr un courriel où il lui reprochait de ne pas maîtriser « les règles de la laïcité ». Mais la conclusion de l’enquête de Roger l’IG et de ses collègues est claire :

« La reconstitution du déroulement des faits tend à montrer que, tant au niveau de l’établissement qu’aux niveaux départemental et académique, les dispositions ont été prises avec réactivité pour gérer le trouble initialement suscité par le cours sur la liberté d’expression de Samuel Paty. »

Bref, le vrai responsable de ce meurtre ignoble est la victime. Sa hiérarchie, qui l’a abandonné, n’y est strictement pour rien…

J’attends avec impatience le procès, et surtout le verdict, du parquet de Paris concernant la plainte que la famille du professeur décapité par un terroriste islamiste a déposée contre l’administration. Cette dernière aura, cette fois, bien du mal à étouffer l’affaire. J’espère qu’elle devra alors rendre des comptes!

Les recteurs

Consigne officielle? Demande expresse officieuse? Toujours est-il que, depuis l’assassinat de Samuel Paty, les recteurs semblent un peu moins réticents à accorder une protection juridique à des chefs d’établissement, surtout lorsque ces derniers sont victimes d’incidents liés aux croyances religieuses et/ou à la laïcité. Terminé – croisons les doigts – le temps où un personnel de direction passait pour un vilain raciste auprès de son DASEN s’il signalait ce genre d’incident… Quand celui-ci ne l’incitait pas carrément à se remettre en cause.

Mais n’en déduisez pas hâtivement que les hauts fonctionnaires ont aujourd’hui plus de compassion qu’hier. C’est juste que, le sujet étant devenu très sensible, ils ouvrent désormais le parapluie plus rapidement.

Les DASEN

Arsène le DASEN, qui a (mal) relu la loi de 2004 sur la laïcité, donne une leçon de droit à ses personnels de direction :

« Il ne faut pas confondre « signe religieux » et « tenue religieuse ». Faites preuve de tolérance, sinon vous allez crisper certaines familles. »

Transmis aux porteurs de soutane, talit, kesa et autre kamis, qui sont donc les bienvenus dans les établissements publics de notre République laïque…

*

Arsène le DASEN commence à saturer du fait des signalements concernant les coups de canif au contrat laïc et républicain. Dans le cadre de « l’autonomie des établissements », il demande énergiquement à ses principaux de faire preuve d’initiative :

« Je ne veux plus entendre parler d’histoires de voile. C’est à vous de gérer ça à votre niveau! »

Les personnels de direction ont donc le choix entre la peste ou le choléra : soit ils mettent un foulard sur la loi et, accessoirement, sur leurs convictions (solution à privilégier pour complaire à Arsène), soit ils vont au clash avec la famille et se font ensuite atomiser par leur supérieur…

Lassitude, inutilité de la procédure, loyauté, désir de ne pas se faire remarquer, carrière : comment en vouloir aux perdirs qui, baissant les bras, ne mettent plus Arsène au courant des incidents?

Si la hiérarchie continue à se montrer aussi pleutre, je vous donne rendez-vous dans quelques années : l’école laïque n’aura plus alors de « laïque » que le nom.

Extrait du livre de Patrice Romain, « Omerta dans l'Éducation nationale Les chefs d’établissement sortent du silence », publié aux éditions Le Cherche Midi

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