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Tous obsédés par Piketty et ses théories, on en oublie les causes réelles des inégalités
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L'arbre qui cache la forêt

L'économiste Thomas Piketty vient de refuser la légion d'honneur. Pour réduire les inégalités, l'économiste propose un traitement purement fiscal, passant à côté d'un point crucial, le manque de croissance dans les économies développées.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Au regard de la situation du pays, il est assez surprenant de constater que la France est à l’honneur sur le front économique pour cette année 2014. Mais si le prix Nobel a été décerné à Jean Tirole, le grand vainqueur national reste sans conteste Thomas Piketty. Suite à la publication, et aux multiples traductions, de son ouvrage le Capital au XXIe siècle, le professeur de l’école d’économie de Paris est en voie de réaliser le grand chelem. Honneurs académiques, succès médiatiques, et controverses incessantes permettant de feuilletonner l’ensemble, ont offert à l’auteur l’ouverture d’un réel débat public sur les inégalités.

Pourtant, il existe un paradoxe. Comme l’indique le Financial Times qui a récompensé l’ouvrage comme étant "le livre de l’année", les propositions formulées par Thomas Piketty ne sont pas unanimement partagées : "Bien que les prescriptions ne soient pas acceptées par tous, nous reconnaissons la qualité de la recherche".

>> Lire également : Portrait social de la France 2014 : pourquoi les cris d’indignation sur le sort des plus fragiles ne sont malheureusement que des larmes de crocodiles

Ce que l’économiste français est parvenu à mettre en exergue est la très forte progression des inégalités de revenus et de patrimoine, à travers le monde, notamment depuis le début des années 80. Et si les inégalités mondiales sont à la baisse, notamment en raison de la fulgurante progression de l’économie chinoise et de la sortie de l’extrême pauvreté de plusieurs centaines millions de personnes, les inégalités se sont accrues à l’échelon national. C’est-à-dire qu’à l’intérieur même des économies les plus avancés, le partage des richesses s’est déséquilibré.

Mais la problématique de l’approche développée par Thomas Piketty, et la source de controverses, est qu’elle envisage de remédier aux inégalités en les traitants à posteriori. En effet, en privilégiant la piste du rééquilibrage des niveaux de vie après la distribution des revenus, c’est-à-dire en fiscalisant et en redistribuant, la cause même de la distribution inégalitaire n’est pas abordée. Il ne s’agit pas ici de contester absolument les pouvoirs de la fiscalité, mais de faire passer en priorité les causes du phénomène plutôt que le traitement de ses conséquences.

Car une cause majeure du développement inégalitaire depuis 30 ans est la propension des pays développés à subir une croissance inférieure à leur niveau potentiel. La conséquence d’une telle situation est le développement d’un chômage important qui frappe avant tout les personnes les moins éduquées et les moins qualifiées.

Et ce paradoxe se vérifie assez bien dans la très riche publication de l’INSEE de ce 19 novembre 2014 ; "France, Portrait social "

Dans un premier temps l’INSEE relate le creusement des inégalités (Dossier "La baisse des inégalités de revenu salarial marque une pause pendant la crise") en France depuis l’entrée en crise, et ce alors même que la croissance connue entre 2002 et 2007 avait permis la baisse de celles-ci :

"La période 2002-2007 était marquée par une baisse tendancielle des inégalités de revenu salarial due à une dynamique plus favorable des bas revenus salariaux. Entre 2002 et 2007, le premier décile de revenu salarial (D1) a augmenté en moyenne de 2,1 % par an, contre + 1,2 % pour le premier quartile, + 0,6 % pour la médiane (D5) et + 0,2 % pour le 9e décile (D9). Les revenus salariaux les plus faibles ont donc progressé plus rapidement que les revenus plus élevés, ce qui a resserré mécaniquement la distribution."

Ainsi, lorsque l’économie Française est en croissance, les inégalités tendent à se réduire. Mais depuis l’entrée en crise, la tendance s’est inversée :

"Après 2007, ce phénomène de baisse tendancielle des inégalités de revenu salarial s’interrompt. Le premier décile baisse de 0,2 % par an entre 2007 et 2012, alors que la médiane progresse de 0,4 %. Plus généralement, sur la moitié basse de l’échelle, les revenus salariaux proches de la médiane progressent désormais plus rapidement que ceux plus faibles, accroissant ainsi les inégalités"

Cliquez sur les graphiques pour agrandir

Afin de contrer cette évolution défavorable de la distribution des revenus, le gouvernement va se lancer dans une politique fiscale ayant pour objectif de corriger la situation. L’INSEE relate ces effets (Dossier "Redistribution : en 2013, les nouvelles mesures accroissent la fiscalité des ménages et réduisent légèrement les inégalités") :

"En 2013, la législation socio-fiscale a évolué. Les mesures nouvelles ont conduit à une augmentation des prélèvements directs à la charge des ménages, en particulier de l'impôt sur le revenu, mais la contribution des ménages les plus modestes a été limitée par le caractère progressif de ce transfert. Dans le même temps, les prestations n'ont été modifiées qu'à la marge. Au total, les mesures nouvelles ont conduit à une légère diminution des inégalités de niveau de vie. En l'absence de réforme, le rapport entre le niveau de vie moyen des 10 % les plus aisés et celui des 10 % les plus modestes se serait établi à 6,6. Sous l'effet des nouvelles mesures prises en 2013, ce rapport passe à 6,5."

Comme il est possible de le constater dans le tableau ci-dessous, la "réduction" des inégalités ne se traduit pas par une augmentation du niveau de vie des plus pauvres mais par une réduction du niveau de vie des plus riches. Le système est plus "égalitaire" mais ne peut être considéré comme satisfaisant puisque la situation des plus pauvres ne s’est pas améliorée.

Le résultat est que l’objectif recherché, la lutte contre la pauvreté, n’est pas atteint. On peut se targuer politiquement d’avoir "réduit les inégalités" mais dans la vie réelle, personne n’en profite. Car, comme cela était évoqué plus haut, la fiscalité ne s’est attaquée qu’à la tentative de redresser une situation existante plutôt que de s’attaquer à son fait générateur: le manque de croissance. Sans croissance, les chômeurs ne retrouvent pas d’emplois, les revenus des moins qualifiés ne font que stagner, et seuls les revenus des mieux qualifiés progressent encore.

Depuis 30 ans, la France compense son manque de croissance par une fiscalité de plus en plus lourde afin de contenir le développement des inégalités. Pourtant, seules de véritables politiques de croissance et de plein emploi pourront permettre de traiter les causes du phénomène.  Ce qui aura également pour effet de rendre le traitement fiscal moins douloureux pour l’ensemble de la population.

Si Thomas Piketty ne réclame évidemment pas d’imposer plus fortement le travail, mais le capital, il focalise bien trop son analyse sur une vision fiscale. Si l’objectif est bien de rétablir un équilibre entre travail et capital, afin de contrer la dynamique favorable au "capitalisme financier", la fiscalité ne pourra réparer que marginalement les dégâts. Pour un coût très élevé. Mais la dynamique qui conduit à ce déséquilibre ne découle pas d’un mystère insondable, elle est d’abord le résultat d’une politique macroéconomique de lutte exclusive contre l’inflation. En agissant de la sorte, le capital est porté au pinacle et Le travail n’est alors plus qu’un accessoire.

Cet article est une mise à jour d'un article publié le 21 novembre

A lire également, le nouveau livre de Nicolas Goetzmann :Sortir l'Europe de la crise : le modèle japonais, (Atlantico éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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