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Nucléaire iranien : le grand schisme occidental. Et ses délicates conséquences pour l’Europe
©ATTA KENARE / AFP

Et maintenant ?

Donald Trump a décidé de retirer les Etats-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien. Une décision qui a suscité de vives réactions de la part des capitales européennes impliquées, de Paris à Berlin en passant par Londres, mais également des institutions européennes.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Le retrait américain de l'accord de Vienne de 2015 concernant le nucléaire iranien a pu provoquer de fortes réactions de la part des capitales européennes impliquées, de Paris à Berlin en passant par Londres, mais également des institutions européennes. Une opposition illustré notamment par les propos de Bruno Le Maire qui a pu déclarer qu'il n'est pas acceptable que les Etats-Unis soient le gendarme de la planète. Cette fracture entre Europe et Etats Unis a-t-elle des précédents depuis 1945 ? Quelles peuvent en être les conséquences ? 

Edouard Husson : Les Européens se ridiculisent. Sont-ils prêts à aller à l’épreuve de force avec les Etats-Unis? En ont-ils les moyens? Vont-ils menacer Washington de sortir de l’OTAN? Madame Merkel va-t-elle annoncer la fermeture de toutes les bases américaines sur le territoire allemand? Cela fait trente ans, depuis l’ouverture du Mur de Berlin, que l’Union Européenne se berce d’illusions. A l’époque, l’OTAN n’avait plus de raison d’être, il était possible de prononcer sa dissolution au profit de ce grand accord pour la sécurité en Europe que le Général de Gaulle avait esquissé dès les années 1960. Cela signifiait passer un accord avec la Russie, la réintégrer au jeu européen et affirmer une “Europe européenne” face aux Etats-Unis. Bien entendu cela impliquait que nos pays soient prêts à fournir un effort de défense conséquent au lieu de continuer à vouloir avoir le beurre de la protection américaine et l’argent du beurre - jouer à être indépendant. En 1945, une Europe exsangue a remis son sort entre les mains des USA et de l’URSS. En ce qui concerne la partie occidentale de l’Europe nous avons pris l’habitude de nous en remettre à une puissance qui construit toujours sa vision du monde selon une logique manichéenne. Charles de Gaulle, Willy Brandt, Margaret Thatcher, Mikhaïl Gorbatchev, les papes successifs des années de guerre froide ont fourni à l’Europe la possibilité de revenir à un modèle européen de diplomatie et de sécurité, fondé sur l’équilibre des puissances et le compromis. Or les dirigeants européens, depuis les années 1990, l’ont refusé! Il ne faut pas s’étonner que nous soyons aujourd’hui à la merci d’un changement de politique américaine. Après la phase pro-chiite de Bush Junior et Obama, voici le retour d’une phase pro-sunnite, avec Trump. Nous sommes à la merci d’un tel changement. Mais je trouve que les Européens devraient avoir la décence de se taire. On ne peut pas cracher en permanence au visage de la Russie et ensuite s’effrayer d’être à la merci des changements de cap de Washington.

Que révèle cette question de l'extraterritorialité juridique imposée ici par les Etats Unis ? Faut-il y voir une faiblesse européenne ou un "abus de pouvoir" de la part de Washington vis à vis des européens ? 

Il s’agit bien évidemment d’un abus de pouvoir de la part de Washington. Mais ce n’est pas nouveau. La puissance américaine a permis aux Etats-Unis d’imposer leur conception des relations internationales. Cet abus de pouvoir s’arrête à la frontière des autres grandes puissances du monde actuel: la Russie et la Chine. La crise actuelle révèle, une fois de plus, que l’Union Européenne n’est pas une puissance. Là encore, vous ne pouvez pas fabriquer une monnaie européenne dont les responsables refusent de mener une politique de change active et ensuite vous offusquer de ce que la puissance américaine, moins sûre d’elle qu’il y a trente ans, soit prête à tout pour sauver la prépondérance du dollar. Un Iran indépendant et réintégré à la communauté des nations pèserait suffisamment pour contribuer, avec d’autres, au basculement du monde hors du système de l’étalon-dollar. Les Etats-Unis ont une vraie appréhension de voir la multiplication des transactions pétrolières dans des monnaies autres que le dollar. Quand il s’agit de la Russie et de la Chine, ils assistent impuissants à cette transformation. L’Iran étant une puissance moyenne, il est encore possible de le menacer et de chercher à le faire plier. Par la même occasion, Washington réaffirme la subordination de l’économie européenne à ses propres intérêts Les Européens vont devoir avaler la soupe à la grimace, une fois de plus.

Comment les capitales européennes, mais également les institutions de l'Union pourraient-elles réagir face à une telle situation ? 

Les pays de l’Union sont doublement discrédités. Auprès du gouvernement Trump, qui leur reproche d’avoir aidé le gouvernement Obama à élaborer un mauvais compromis avec l’Iran. Et auprès de l’Iran qui doit constater que l’UE ne pèse rien. L’alternative est simple: rentrer dans le rang et se faire l’auxiliaire consentant de la nouvelle négociation américaine. Ou bien se rapprocher de la Chine et de la Russie pour mettre le nouvel équilibre des puissances au service du droit des Nations Unies. Les Européens ne se rendent pas compte du poids qui est le leur - dans une situation globale d’équilibre mondial entre, d’une part, la Russie et la Chine et, d’autre part les Etats-Unis, l’Union Européenne a les moyens de faire pencher la balance du côté qui sert le plus ses intérêts. Et la paix. Evidemment, il faut être prêt à une très dure épreuve de force avec les Etats-Unis - qui réagiront avec la  violence de celui qui réprime une révolte d’esclaves. Et puis il faut être disposé à se réconcilier avec Moscou: mais Paris ou Berlin sont-ils prêts à reconnaître que Vladimir Poutine avait vu juste dans son discours de février 2007 devant la Conférence pour la Sécurité de Munich lorsqu’il dénonçait l’unilatéralisme américain?  Sont-ils prêts, aussi, à changer complètement de politique vis-à-vis d’Israël: il est impensable de prôner l’équilibre des puissances au Moyen-Orient sans, en contrepartie, affirmer que toute menace de la part de l’Iran envers l’Etat d’Israël suspendrait automatiquement la médiation européenne. C’est un jeu subtil mais exactement celui que joue Poutine lorsqu’il invite Netanyahou à Moscou pour les cérémonies du 9 mai. Cela impliquerait de régler les conflits syrien et yéménite par la même occasion. En Syrie, cela voudrait dire exiger non seulement le retrait de toute force iranienne mais aussi le désarmement du Hezbollah en échange de la stabilisation du régime d’Assad. En un mot, cela voudrait dire se remettre à pratiquer une politique d’équilibre des puissances, dans la grande tradition européenne. On est très loin des confidences de salon sur l’inévitable « impeachement » de Donald Trump quand les démocrates auront gagné les mid-terms; et l’on sort enfin du droit-de-l’hommisme des dernières décennies qui n’aura servi qu’à justifier les guerres américaines et camoufler l’aboulie européenne. 

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