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Nouvel an : ce que les Chinois attendent de l'année du singe de feu (et pourquoi ça peut nous concerner)
©REUTERS / Jason Lee

Happy new year

La nouvelle année lunaire du Singe de Feu Rouge s'ouvre ce lundi 8 février partout dans le monde taoïste et confucianiste, en Chine et en Asie. Les populations asiatiques, plus sensibles que nous à ces dimensions astrologiques, y voient des signes sur comment se comporter le long de l'année et quelles attitudes adopter. Ce faisant, les investisseurs chinois, entre autres, pourraient réagir d'une façon bien particulière... qui nous concerne au premier chef.

Chloé Ascencio

Chloé Ascencio

Chloé Ascencio est diplômée de Sciences Po Paris (1994). Elle a vécu et travaillé plusieurs années en Chine. Où elle était en charge du recrutement de talents chinois et conseillait les entreprises françaises en Ressources Humaines. Elle est spécialiste de la culture business chinoise et du management en Chine.

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Ce lundi 8 février 2016 marque l'entrée du monde chinois dans la nouvelle année lunaire du Singe de Feu rouge. Partout en Asie, de la Corée à la Chine, en passant par le Vietnam, Singapour, Taïwan ou Hong Kong, les festivités ont débuté. Les entreprises ont fermés pour vacance et l'économie chinoise, par exemple, est dorénavant en quasi-stagnation.

Traditionnellement, l'argent est une dimension très présente lors du nouvel an lunaire. Aux Etats-Unis, les banques sont prises d'assauts : il est coutume d'offrir des billets neufs à ses proches, célébrant la nouvelle année. Empaquetés dans des enveloppes ornées de rouge, ces billets ne sont pas les seuls cadeaux. Symboliquement, ceux-ci coûtent cher... Et pour les plus superstitieux, il convient de ne pas pratiquer la moindre activité associée à une perte. Enfin, c'est également la situation la plus propice pour régler les dettes. C'est là que les choses nous concernent – nous occidentaux – tout spécialement : cette nouvelle année lunaire du Singe du Feu Rouge implique une certaine attitude de la part des chinois. Les gouvernements occidentaux se sont récemment inquiétés du ralentissement de la croissance en Chine... et pour cause, le bien-être occidental est étroitement lié à la course de la richesse à l'Est.

Atlantico : Ce lundi 8 février marque l'entrée du monde chinois dans la nouvelle année lunaire du singe de feu rouge. Concrètement, en vue de ce changement d'année, à quoi se prépare le monde chinois, tant sur le plan culturel qu'économique ?

Chloé Ascencio : Question difficile. Le nouvel an est très important dans les cultures taoïstes et confucéennes – pas uniquement en Chine, donc – où il porte une très forte symbolique. C'est, par excellence, le moment où l'on rend hommage à ses parents. En sa qualité d'instant sacré, il correspond à moment où il est primordial pour les Chinois de témoigner de leur piété filiale. Il existe un lien très fort avec le confucianisme, qui est une idéologie familiale et paternaliste. Cette idéologie se centre donc sur le respect des parents et à travers eux sur le respect de l'autorité. La compréhension de ces éléments est essentielle pour saisir ce qu'est la Chine. La notion d'autorité, de hiérarchie dans la fonction sont autant d'éléments qui découlent de ce principe et qui ne changent pas, malgré la mondialisation ; en dépit de l'ouverture de la Chine à l'économie de marché. Par ailleurs, c'est quelque chose qu'il est possible de constater en observant la politique d'ouverture de la Chine : certes, elle s'ouvre au monde, mais le pouvoir politique demeure extrêmement fort. Il contrôle l'économie grâce à sa politique industrielle qui lui permet de développer des marchés tout en favorisant les entreprises chinoises. C'est une stratégie très volontaristes qui est mise en œuvre. A l'intérieur, la campagne de lutte anti-corruption demeure difficile à comprendre pour les occidentaux, dans la mesure où elle répond à énormément d'enjeux dont beaucoup ne sont pas seulement la corruption contre laquelle elle prétend lutter.

Cette nouvelle année annonce également la poursuite des rachats de groupes européens par des groupes chinois. C'est un phénomène qui n'est pas nouveau et qui se produira encore à l'avenir. Plus l'Europe – et c'est d'autant plus vrai pour la France que les situations sont contrastées sur l'ensemble du Continent – et plus ses entreprises seront en difficultés, plus elles seront tentées (si elles ont le choix) par la recapitalisation au travers d'un groupe chinois. Ces groupes chinois bénéficie justement de la politique industrielle dont nous parlions plus tôt : l'Etat chinois encourage ses entreprises à s'implanter et conquérir de nouveaux marchés (via des prêts à très faibles taux, notamment). Il est important de souligner que la France ne reçoit pas tant d'investissements chinois que l'Allemagne, par exemple, puisque nous sommes perçus comme aillant des lois sociales bien trop contraignante. Cela n'empêche pas que le phénomène s'amplifiera très vraisemblablement au cours de cette nouvelle année. C'est naturel : le rapport de force économique penche très nettement en faveur de la Chine aujourd'hui.

Les valeurs entrepreneuriales chinoises et occidentales sont différentes, voire opposées. Dans quelle mesure est-ce que cet enjeu est primordial pour comprendre et interagir avec les acteurs économiques chinois ? Quels sont les autres risques qui pèsent sur l'Europe à ce titre ?

Dans ce cadre-ci précisément, la compréhension des valeurs que nous évoquions ci-avant est primordiale, qu'il s'agisse du rapport à la hiérarchie ou des autres. Bien souvent ces valeurs chinoises diffèrent des nôtres, occidentales. Sur le plan hiérarchique, encore une fois, le contact est souvent difficile, tant sur le plan individuel que sur celui de l'équipe. Cela nécessite évidemment des ajustements qui sont loin d'être évidents. Une autre source de difficulté concerne l'efficacité et sa conception qui n'a rien à voir en Asie et en Europe. La gestion du temps, l'exigence de rapidité et de réactivité propre à la culture chinoise, s'oppose clairement à notre façon de concevoir l'efficacité. Nous fonctionnons sur le modèle de l'anticipation, de la planification, sur la stratégie. Ce sont deux façons de fonctionner diamétralement opposées, mais ce sont loin d'être leurs seules sources d'incompréhension. Le rapport à la loi – et à la règle de façon générale – est également à l'origine de quelques problèmes : la notion d'engagement est très différente entre nos deux cultures. En Europe, les relations professionnelles sont construites sur des contrats, permettant de travailler ensemble sans nécessité de faire confiance avec un partenaire. A l'inverse, en Chine, il n'existe de confiance que si elle est personnelle, intime. A ce titre, nous ne sommes pas avantagés en cas d'incompréhension : aux yeux de nos homologues chinois, l'engagement contractuel n'a pas de véritable valeur. Ce qui en a, c'est la relation privée que vous entretiendrez avec vos collègues et vos partenaires.

Le rôle de l'Etat n'est également pas pensé de la même façon. En Chine, la notion d'Etat providence n'existe pas, quand bien même il reste de nombreux pans de l'économie – dans le secteur public, tout spécialement – qui répondent à une logique très sociale. Dans ces secteurs, la retraite arrive à 55 ans, les soins sont gratuits... Cela ne vaut que pour les entreprises d'Etat. En revanche, il n'existe pas d'idéologie égalitariste, ni même de volonté de réduire les écarts sociaux. Le risque, dès lors, pour les entreprises en France, concerne la perception que nos partenaires chinois peuvent avoir de notre système social. Il est vu comme un frein, et de facto, limite l'efficacité des entreprises à leurs yeux. Le deuxième danger qui découle de celui-ci, c'est la restructuration. Dans le cadre d'une recapitalisation d'un groupe Français par un groupe Chinois, il vaut mieux prendre l'initiative. Cette lune de miel, juste après le rachat et les tentatives pour rassurer, correspond à la meilleur période pour ce restructurer comme on pourrait le souhaiter. Durant les deux premières années, les acheteurs chinois se placent régulièrement en observateurs. Attendre qu'ils interviennent et reprennent les choses en mains c'est s'exposer à une reprise particulièrement dure.

En cela, si la situation n'est pas préparée, elle est annonciatrice de conflits sociaux. C'est quelque chose qui a déjà été constaté par le passé : plus d'une entreprise européenne (et française) a connu une fermeture sans préavis, à la suite d'une grève. Le patron chinois ne s’assoit pas à table avec les syndicats. La gestion du conflit souligne une autre différence culturelle : ce dernier n'est tout bonnement pas toléré en Chine. Il est donc primordial de le gérer en amont... autrement la rupture est inévitable.

Outre les risques, cette entrée dans la nouvelle année lunaire ne représente-t-elle pas un certain nombre d'opportunités, tant pour le marché chinois que pour les entreprises européennes ?

Cela va de soi. Pour beaucoup d'entreprises françaises, la Chine est l'un des plus grands marchés existant aujourd'hui. C'est une orientation stratégique forte qui vaut la peine de se lancer... tant que cela n'est pas fait naïvement. Certes, la Chine représente des millions de consommateurs à portée de mains, mais la complexité culturelle et politique est très importante. En Europe, nous commençons seulement à réaliser qu'en Chine, ça n'est pas la loi qui régit les affaires. En France, nous avons mis bien plus de temps que nos différents partenaires occidentaux... Les Américains et les Allemands, pour ne citer qu'eux, ont compris bien plus tôt que nous les efforts qu'il fallait mettre à bout pour pouvoir vendre aux Chinois. 

La situation est également vraie pour les groupes chinois désireux d'investir en Europe. Ces différences culturelles représentent un coût, tant d'adaptation que de traduction – culturelle et en matière de politique d'entreprise –. Des grands groupes comme Huawei s'y sont essayé, avec parfois des difficultés d'ajustement. Les politiques RH sont, logiquement différentes en Europe, aux Etats-Unis ou en Chine.

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