Nouveau clash entre l'Azerbaïdjan et l’Arménie : un test pour la crédibilité de la Russie comme allié militaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats russes en mission de maintien de la paix près de la ville de Shusha
Des soldats russes en mission de maintien de la paix près de la ville de Shusha
©Karen MINASYAN / AFP

Nouveaux affrontements

La Russie avait défendu l’Arménie dans les derniers conflits.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : De nombreux bombardements de l'Azerbaïdjan sur l’Arménie ont eu lieu dans la nuit de lundi à mardi. Que savons-nous de cette offensive azerbaïdjanaise ?

Emmanuel Dupuy : Cette offensive ne se déroule pas au Haut-Karabagh (territoire né sur les ruines de l’Union soviétique, qui a fait l’objet de quatre résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU adoptées en 1993, réaffirmant “la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République d’Azerbaïdjan”), mais le long d’une frontière commune entre l'Azerbaïdjan et l’Arménie située au nord.

L'accord de sécurité de la Russie avec l'Arménie fait que Moscou est censée aider le pays dans de telles situations. Est-ce la preuve que la Russie a délaissé cet affrontement ? L’invasion de l’Ukraine a-t-il eu un impact sur ce dossier ?

D’une part, il existe un accord bilatéral entre les deux pays pour que la Russie intervienne en cas d’agression. Plus de 3 000 Russes sont positionnés sur deux bases militaires situées sur le territoire arménien. D’autre part, les deux pays font partie de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) fondée en 2002. Au regard de l’article 4 de ce traité, qui est la copie conforme de l’article 5 de l’otan, si un pays membre s’estime être agressé par un pays tiers, tous les autres pays doivent lui fournir l'assistance nécessaire, y compris militaire. Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a tout de suite demandé la mise en place de l’article 4. Mais la Russie n’a pas estimé nécessaire d’appliquer l'article 4 et a préféré opter pour une solution diplomatique. 

Le conflit en Ukraine a eu deux conséquences : premièrement, ce fut un test pour la fiabilité du principe de sécurité collective au sein de l’OTSC. Fin janvier, lors de grandes manifestations au Kazakhstan, le président kazakhstanais a demandé l’assistance aux pays membres de l’OTSC (Russie, Arménie, Biélorussie, le Kazakhstan, Kirghizistan et le Tadjikistan) afin de déployer des forces de sécurité. Les autres membres ont répondu positivement à cette demande. Mais lors du forum économique de Saint-Pétersbourg en mai dernier, le président du Kazakhstan a déclaré qu’il ne reconnaîtrait pas les deux républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk et qu’il n’enverrait pas de troupes en Ukraine. La solidarité au sein de cet accord de sécurité collective reste fragile. 

Deuxièmement, une bonne partie des troupes russes au Haut Karabagh (1 900 hommes, 90 véhicules de transports et 88 unités spéciales) ont été appelées pour combattre sur le front ukrainien.  

Peut-on voir dans cette action une forme de test pour la Russie ? 

C’est un test pour savoir si la Russie a la main sur ce dossier. Et cela reste le cas car c’est bien Moscou qui a tapé du poing sur la table. Le Premier ministre arménien et le président iranien ont appelé le président Vladimir Poutine après les bombardements menés par l'Azerbaïdjan.

Concernant le traité de sécurité collective, il reste bancal. L’Arménie n’a envoyé aucune troupe en Ukraine et la Russie continue de vendre du matériel militaire à l’Azerbaïdjan. 

Plus généralement, cette situation de vives tensions entre l’Arménie et l'Azerbaïdjan confirme la marginalisation du processus de Minsk dans le cadre de l’OSCE et fragilise la nouvelle forme de médiation lancée par le président du Conseil européen Charles Michel. 

Si la Russie ne réagit pas, sa crédibilité internationale va-t-elle être engagée ?

Non. C’est un cas mineur dans le dispositif politico-militaire de la Russie. Vladimir Poutine a externalisé en partie la gestion de la région à la Turquie. On a la confirmation qu’il y a un rapprochement assez paradoxal entre les Russes et les Turcs, aussi bien en Ukraine, en mer Noire ou au Haut-Karabagh. Les autres acteurs internationaux sont minorés du fait de l’accord tacite entre la Russie et la Turquie, malgré quelques contradictions apparentes : la Turquie est associé à Israël dans le soutien à l'Azerbaïdjan, pays chiite à 75% mais éloigné diplomatiquement de l’Iran, ce dernier soutenant l’Arménie, pays chrétien et qui se trouve dans une logique occidentale. 

Cela peut-il inciter certains alliés à la Russie à se détourner d’elle ? D’autres pays peuvent-ils profiter de la situation ?

Le troisième pays du Caucase , la Géorgie, qui possède une frontière commune avec l'Azerbaïdjan et l’Arménie, veut rester indépendante vis-à-vis de la Russie et cherche à se tourner vers l’Otan. Quant à la Turquie, elle ne doit pas tourner le dos à l’Arménie ni à la Géorgie, surtout si les Géorgiens intègrent un jour l’Otan. La Turquie veut servir d’interconnexion gazière entre la mer Caspienne et la mer Noire, c’est pourquoi elle s’évertue à apaiser ses relations avec ses voisins. 

Malgré la bonne volonté du Premier ministre arménien d’établir la paix, il y a à Erevan des faucons qui cherchent à caviarder l’accord de paix et à relancer le conflit avec le voisin azerbaïdjanais. Ils sont dans une logique de revanche.

Enfin, la résurgence du conflit met en péril les efforts de la communauté internationale pour encourager l’Arménie et l'Azerbaïdjan à signer la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel de 1997.

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