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Fawzia Zouari : "Nous pouvons en France montrer à l'islam sa capacité à répondre aux défis de la modernité, à marcher à l'heure du monde, à s'intégrer et à devenir universel"
©Reuters

Sous le voile

Dans son ouvrage "Je ne suis pas Diam's", Fawzia Zouari, tunisienne et musulmane, se détache de l'islam revendiqué par la chanteuse Diam’s. L’auteur s’engage avec conviction en faveur d’un islam éclairé, intégré dans le pays de la laïcité, la France, dont elle défend les valeurs.

Fawzia Zouari

Fawzia Zouari

Fawzia Zouari est essayiste, romancière tunisienne. Docteur en littérature comparée, elle vit à Paris et est journaliste à Jeune Afrique et pour France 2. Elle a notamment publié Je ne suis pas Diam's (éditions Stock, 2015).

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Atlantico : Vous dénoncez un Islam à la carte mis en place par des femmes en France, prônant une pratique rigoriste sans accepter toutes les contraintes telle que Diam's. N'est-ce pas là une forme de contradiction ? Comment l'expliquer ?

Fawzia Zouari : Il en va de la nature même de cette religion, dans laquelle ces personnes peuvent trouver quelque chose d'assez ouvert, de beau, et dans le même temps, toutes sortes de dérives possibles. On peut interpréter le texte d'une façon et de son contraire à la fois. Comme l'Islam ne possède pas d'Eglise, et donc d'individus pouvant faire le tri et expliquer ce qu'il en est du dogme religieux – ce qui en soi pourrait être positif puisque cela instaure une relation directe avec Dieu et qui aurait pu transformer l'islam en une religion laïque en l'absence d'intermédiaires – cela ouvre la porte à tous les prétendants en théologies. Ainsi, n'importe quel imam ou jeune garçon de banlieue n'ayant jamais lu le Coran peut se laisser la barbe pousser et affirmer : "Moi je connais l'Islam et moi je dis que… ", et il devient alors fournisseur de fatwa. Voilà le problème.

Lire aussi les bonnes feuilles : Islam à la carte : tout ce que la chanteuse Diam’s ne pourrait plus faire si elle voulait vraiment être musulmane

Ensuite, le texte lui-même porte à ambiguïté. L'interprétation d'une sourate peut être faite de plusieurs façons, du blanc au noir. Il faut prendre conscience que la manière d'agir de Daesh parfois n'est pas extrêmement éloignée de celle de certains pays islamiques.
Comme très souvent l'interprétation provient des hommes, la lecture est faite à leur avantage. Les femmes n'ont que très peu de parole sur les textes, même si ces dernières années on a vu une espèce d'exégèse au féminin.
Nous devons sortir de ce référent religieux, ce piège énorme, nous sommes dans une République qui permet de s'appuyer sur la laïcité pour rentrer la religion à la maison.

Vous soulignez dans votre ouvrage que nous sommes "en pleine déclaration d'un conflit ouvert entre identités opposées" à propos de ces femmes qui revendiquent le port de leur voile. Mais est-ce vraiment un conflit de deux identités ? Ces femmes ne sont-elles pas plus proches des valeurs républicaines françaises qu'elles ne le laissent penser ?

Je suis persuadée qu'elles sont très proches de la France. Vous les mettriez ailleurs, en Arabie saoudite par exemple, elles ne survivraient pas ! Nous sommes dans ce positionnement difficile à vivre pour beaucoup de jeunes. Ces jeunes héritent d'une histoire assez complexe, d'une réalité sociale particulière, une manière qu'a eue la France de gérer l'immigration pas toujours bonne... Ils se situent dans cette équation : "Je t'aime moi non plus", une forme de passion et de détestation en même temps.

Si vous regardez d'autres populations immigrées comme les populations asiatiques, elles ne sont pas dans cette situation, leur rapport à la France est différent.

Certains expliquent que la France leur a fait du mal, que le pays à tort etc. Ils disent ce qu'ils veulent, je les respecte. Je demande maintenant une autre parole se questionnant afin de savoir si cela est vraiment une solution que de dire à cette France que vous la détestez. Autre point, est-ce une façon de bien faire d'opposer à ses manquements, aux injustices peut-être de la France la religion comme expression de désamour de ce pays ? Pourquoi ne pas plutôt essayer d''expliquer ce qui ne va pas avec la France par l'engagement social, politique ? Pourquoi vouloir lui opposer cette identité ? Telles sont les questions que j'aimerais poser à ces jeunes.

Comment aider aussi bien ces jeunes musulmans que la France pour sortir de ce piège ? Cela est compliqué. En effet, vous avez à gauche un déni de réalité flagrant, à droite on observe un surlignage des difficultés réelles à des fins politiques, les sondages montrent l'image d'une France repliée et raciste ce qui est faux... Il faut sortir de cette ambigüité du discours et trouver un ennemi commun qui n'est autre que l'islamisme selon moi.

Dans votre ouvrage, la France apparait comme un pays manquant de solidité dans son application de la laïcité et son rapport aux religions notamment à l'Islam. Quelle responsabilité incombe à la France face à cet enjeu de société ? Pourquoi le pays semble dépassé ?

La tendance actuelle du gouvernement français est de négocier avec les imams, d'être dans un langage quelque peu timide, des discours de compassion à l'égard des musulmans en expliquant qu'ils sont des victimes. Dans ce discours de circonstance ou d'opportunité, le dialogue se fait entre des instances dites représentatives de l'islam et des gouvernants. Entre les deux notre destin se fait sans nous, sans cette parole laïque.

Le référent religieux ne doit pas être une grille de lecture pour les musulmans que nous sommes, je suis en faveur d'un islam qui se vit sous forme de spiritualité, de rituels mais pas ostensibles, qu'il rentre donc à la maison comme le christianisme est rentré à la maison.

Nous pouvons en France montrer à l'islam sa capacité à répondre aux défis de la modernité, à marcher à l'heure du monde, à s'intégrer et à devenir universel. La base est là en France. Ce pays est une démocratie, garantit la liberté de penser… Le contexte nous offre un exercice de rencontre entre religion et laïcité, et de réconciliation possible.

Le Nobel de la paix a mis à l'honneur la transition démocratique tunisienne cette année. Quel regard portez-vous sur la Tunisie d'aujourd'hui ?

Je ne vous cache pas que je suis restée très lié à mon pays, ce prix me ravit. J'espère que ce prix servira comme une méthode Coué afin que la démocratie et la liberté adviennent. Me rendant régulièrement en Tunisie, je constate une islamisation de la société qui est terrible. Le mal islamiste y est. Comment en venir à bout ? Je ne sais pas. Ce prix va montrer à tous ceux qui rêvent de charia et califat que la démocratie a été soutenue par le monde entier. J'y vois un message fort pour la société tunisienne : "Maintenant vous ne pouvez plus faire marche arrière". 

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