Non les smartphones ne font pas pousser des cornes sur le crâne des Millenials. Et voilà comment détecter les “études scientifiques” bidons<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Non les smartphones ne font pas pousser des cornes sur le crâne des Millenials. Et voilà comment détecter les “études scientifiques” bidons
©Valentine ZELER / AFP

Cornes de facebook

Une récente étude de Scientific Report est devenue virale dans l'actualité. Les smartphones développeraient des masses osseuses importantes autour de la tête, au point d'amener dans le futur à la création de…cornes.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

Voir la bio »

Atlantico : Une récente étude de Scientific Report est devenue virale dans l'actualité, reprise entre autres par The Washington Post et BBC Future. Il faut bien dire que les révélations avaient de quoi choquer : les jeunes de 18 à 30 développeraient des masses osseuses importantes autour de la tête, au point d'amener dans le futur à la création de…cornes. En cause : les smartphones. Problème, l'étude est désormais fortement contestée à raison d'une méthodologie plus que douteuse. En quoi cette étude est problématique ?  

Guy-André Pelouze : Il faut ramener les choses à leur juste proportion. 

Il s’agit d’une étude observationnelle. Autrement dit il ne s’agit pas de personnes qui ont été placées dans un essai clinique où l’expérimentateur aurait modifié les conditions de vie dans un groupe par rapport à l’autre et encore moins d’une expérience ou un tirage au sort aurait décidé dans quel groupe chaque individu allait être assigné. Pour des raisons qui ne sont pas mentionnées dans l’article, des radiographies de profil du crâne ont été réalisées dans un cabinet médical. L’étude de ses radiographies a permis de mesurer les caractéristiques d’une enthésophytose située au niveau de la protubérance occipitale. De quoi s’agit-il ? La protubérance occipitale est cette petite, et tout à fait naturelle, bosse que l’on sent quand on palpe son crâne à l’arrière, au milieu, juste au-dessus du cou. Cette protubérance est sous la peau, unique, en saillie franche se prolongeant vers le haut par la partie convexe de l’os occipital et vers le bas par une puissante aponévrose de plusieurs muscles du cou qui permettent les mouvements de la tête, relèvement, rotation, inclinaison.

Quelques précisions avant d’entrer dans le sujet de la question. 

Cette protubérance osseuse est tout à fait normale, elle est observée chez tous les individus du genre homo sapiens, avec les variations de taille qui témoigne que nous sommes tous différents avec nos caractéristiques ethniques et personnelles. Il est donc parfaitement contre-indiqué de réaliser une imagerie pour résoudre la question: est-ce que cette bosse osseuse que je sens derrière ma tête est normale? Ceci dit, comme toutes les caractéristiques de la boîte crânienne, cette protubérance est un marqueur du cours de l’évolution de l’espèce humaine car l’augmentation de la taille du cerveau, en particulier du cortex, a repoussé les limites osseuses autant que faire se peut. En particulier elle intéresse les anthropologues car, par exemple, elle est beaucoup plus marquée chez les néandertaliens. 

Cette protubérance est modifiée chez certains d’entre nous 

Dans ce contexte il est intéressant de rechercher des modifications de la boîte crânienne qui pourraient être en rapport avec des tendances évolutionnistes récentes liées aux modifications très profondes de notre style de vie, qu’il s’agisse de l’exposition à la lumière solaire, du travail physique, de l’alimentation ou d’autres habitudes très prégnantes comme l’utilisation du téléphone portable ou des écrans. C’est ce que les auteurs de cet article ont tenté de faire en analysant les caractéristiques d’une petite prolongation osseuse de cette protubérance au niveau de l’insertion de l'aponévrose que je décris plus haut dont le nom médical est un enthésophyte. C’est le point de départ de leur travail publié en 2016 dans un journal d’anatomie. Dans cet article de constatations anatomiques ils mettent en évidence que la prolongation ossifiée de la protubérance occipitale que l’on palpe à l’arrière du crâne est observée plus fréquemment qu’attendu dans les deux groupes qu’ils ont étudiés (41% des personnes avec un enthésophyte de 10–31 mm). Ces deux groupes, l’un d’étudiants volontaires pour une étude nécessitant aussi une radiographie du crâne et l’autre comparable en sexe et âges mais non étudiant sont assez arbitraires. On retient que l’enthésophyte peut-être observé plus fréquemment chez l’homme, être rarement symptomatique c’est-à-dire occasionner rarement des douleurs et ne peut être expliqué par des maladies connues comme par exemple la spondylarthrite ankylosante qui est un rhumatisme inflammatoire chronique de la colonne vertébrale et du bassin (articulations sacro-iliaques). Les deux groupes diffèrent car l’enthésophyte est légèrement plus fréquent chez les étudiants, cette différence est significative. Déjà dans ce travail les auteurs se livrent, dans la discussion, à une tentative d’explication de cette augmentation de fréquence chez les étudiants.  Selon eux il s’agirait de l’utilisation intensive des téléphones portables. C’est en effet un changement comportemental important et très significatif du point de vue du nombre d’heures d’utilisation chez les jeunes générations. En réalité le portable n’est rien d’autre qu’une hypothèse. Les caractéristiques de l’étude sont très loin des conditions où une différence entre deux groupes peut suggérer une causalité.

La nouvelle étude ne répond pas aux questions posées

Dans Scientific Reports, en 2018, les mêmes auteurs constatent qu’un enthésophyte au niveau de la protubérance est lié au sexe masculin et à un balancement de la tête en avant (index de protraction de la tête mesuré sur la radiographie du crâne et de la colonne cervicale de profil). Toutefois cette protraction de la tête, certes dans un échantillon plus important d’individus ne démontre rien. Rien surtout au sujet des écrans ou du portable. Il eut été utile de demander aux individus d’évaluer leur temps de consultation de l’écran de leur portable par exemple. En revanche, l’incidence des enthésophytes apparaît biphasique avec un pic jeune, une diminution à l’âge moyen, puis une augmentation à plus de 60 ans. Tout ceci est très difficile à interpréter et une relation avec l’utilisation du portable très infondée sur ces données. 

Figure N°1: Exemple d’évaluation radiographique de la protraction de la tête en avant (PTEA). L’étendue de la PTEA a été déterminée en mesurant la longueur (en millimètres) d’une ligne horizontale (a) tirée du bord du coin postéro-supérieur du corps de C2, à une ligne verticale (b) tracée en partant du bord de le coin postéro-inférieur du corps de C7 sur une radiographie cervicale de profil. (https://www.nature.com/articles/s41598-018-21625-1/figures/2).

Si la méthodologie est à ce point contestée –ce qui est ironique en ce qu'elle fonde pourtant toute démarche scientifique, comment expliquer qu'une revue comme Scientific Report ait pu laisser publier une pareille étude ?

Votre question est intéressante tout d'abord sur le plan formel. 

Ce n'est pas Scientific Reports qui laisse passer l'article. Dans les revues qui ont comme processus d'agrément des articles la lecture et la décision de publication par un comité de pairs,  ce sont les relecteurs du comité choisis par le journal qui sont responsables de l'acceptation. 

Mais au fond il y a semble-t-il une contradiction

Sur le fond de votre question, au moins en ce qui concerne la fréquence des enthésophytes chez les hommes par rapport aux femmes (plus de 5 fois plus fréquents d’après les auteurs) cet article demande à être réévalué et les auteurs doivent pouvoir fournir ce que l'on appelle les données brutes car l’article est incompréhensible. Il n’est pas possible de retrouver des preuves directes ou indirectes d’une telle différence. Les relecteurs qui sont des experts ne sont pas parfaits. Ils peuvent s’être trompés mais l’article est court et il n’y a pas beaucoup de données ce qui rend l’erreur peu probable. Il est possible que, dans le processus de modifications demandées au fur et à mesure des révisions, des informations aient été supprimées essentiellement pour des questions de place. On ne peut exclure, bien évidemment, une fraude. 

Avez-vous d'autres exemples d'études semblables où une méthodologie douteuse n'a pas empêché sa publication, ainsi que la crédulité du public ? D'ailleurs, selon vous, ces erreurs relèvent-t-ils généralement d'erreurs de bonne foi, d'incompétence ou simplement de malhonnête intellectuelles ? 

Oui certaines études ont une méthodologie faible au regard des conclusions hardies de leurs auteurs 

Nous avons dans Atlantico développé ces faiblesses au sujet des études épidémiologiques en rapport avec l’alimentation. Malgré des techniques statistiques sophistiquées, une étude observationnelle sur l’ingestion de milliers de molécules organiques différentes (notre alimentation) est toujours d’une extrême faiblesse. C’est pourquoi les différences mises en évidence (ce que l’on appelle le risque relatif de faire telle ou telle maladie ) sont faibles. La consommation de tout produit carné augmente le risque de cancer du colon de 15-20ù dans ces études. Mais cela n’a pas de sens car il faut de fortes consommations, plutôt des produits carnés que de la viande rouge et surtout ce 15% doit être rapporté au risque absolu… Admettons que le risque absolu toutes populations confondues soit de 40/100 000 personnes. Si on prend le groupe qui mange beaucoup de saucisses et plats cuisinés carnés ce sera 46/100 000, ce qui évidemment ne fait pas les unes des journaux. C’est en effet très difficile d’accorder une grande fiabilité à des différences aussi faibles. En revanche cela peut être intéressant en prévention ciblée si un patient a un risque familial c’est à dire génétique qui est bien supérieur à 40/100 000. On observe de telles incompréhensions du risque pour l’efficacité des médicaments ou bien la cancérogénicité des pesticides et il convient de les démonter. Les statines sont très peu efficaces chez les patients qui n’ont jamais fait d’accident cardiovasculaire majeur mais elles continuent à être prescrites dans cette indication et remboursées. De même pour le désormais célèbre glyphosate la dernière méta-analyse (c’est à dire un assemblage d’études existantes) met en évidence une augmentation de 40% environ d’un cancer rare le lymphome non hodgkinien. Mais dans aucun article de la presse généraliste n’est mentionné que ces résultats ont été obtenus en sélectionnant les plus hautes doses de manipulation du produit. C’est à dire que dans les conditions normales d’utilisation il n’y a toujours pas de preuves de cancérogénicité pour les agriculteurs et bien sur pour les consommateurs de fruits légumes et céréales de l’agriculture conventionnelle. Pour reprendre la même comparaison que précédemment il y a 19,6/100 000 nouveaux cas par an de lymphome non hodgkinien et 5,6/100 000 patients en décèdent. Une augmentation de 40% chez les utilisateurs en contact maximal avec le glyphosate représente une augmentation de 8/100 000 et une augmentation de la mortalité de 2/100 000 ce qui là aussi est extrêmement faible et donc difficile à confirmer. Dans le même temps, rappelons que le risque de cancer du poumon lié à la cigarette chez l’homme fumeur est de plus de 2000% par rapport à un non fumeur. Ce qui ne signifie pas qu’il faille négliger les petits risques mais simplement que l’incertitude à leur égard est très grande.

Il faut du temps pour faire la part entre erreur, fraude et changement de paradigme scientifique 

La première réponse touche à la question centrale de la science: les faits observés naturellement ou dans le cadre d’une expérience sont réels quand ils sont mesurables et reproductibles. Les interprétations, les théories sont falsifiables. Il n’est donc pas possible de croire. Et conséquemment il faut accepter l’incertitude en général, l’incertitude totale quand il n’est pas possible de colliger les faits l’incertitude faible quand existe une probabilité élevée d’affirmer que les patients traités qui vont mieux n’est pas le résultat du hasard mais sde l’efficacité de ce qui fait la différence par exemple un traitement. Or l’incertitude est inconfortable. L’étude de Wakefield dans The Lancet au sujet des liens entre autisme et vaccination contre la rougeole est un exemple très connu. Mais aujourd’hui ce temps se raccourcit car il y a de plus en plus de chercheurs dans le monde et par ailleurs le niveau d’éducation s’élève ce qui conduit des lecteurs de la presse scientifique à faire des commentaires pertinents et des critiques fondées au fur et à mesure des publications. Les comités de lecture sont ainsi renvoyés à une très grande prudence et surtout à poser toutes les questions nécessaires avant publication. La réputation des journaux est en jeu à la fois dans la publication mais aussi dans la rapidité de la rétractation en cas de fraude. Car soyons clairs il n’y a pas de malhonnêteté intellectuelle, une fois examinés tous les résultats (les données brutes), la question est celle de la fraude et elle peut être tranchée.

En conclusion il sera intéressant de suivre les réponses des auteurs au sujet de cet article. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !